Les Amis de Flaubert – Année 1955 – Bulletin n° 7 – Page 43
Gustave Flaubert et Madame Schlésinger
Les Portraits de Madame Arnoux
Je me suis toujours intéressé aux arts graphiques. Mais c’est seulement après avoir atteint l’âge mûr que je me suis mis à la recherche des portraits de Mme Arnoux, mon arrière Grand’Mère.
Nul portrait datant de son enfance, passée à Vernon, n’a été conservé ; on peut d’ailleurs se demander, si l’on a fait des portraits d’elle à cette époque.
Son premier et excellent portrait la représente alors qu’elle était déjà l’épouse de l’auteur Schlésinger. C’est la lithographie de Dévéria. Ma famille en a possédé trois exemplaires. Mme Arnoux porte un vêtement, ample et flottant. Ses cheveux noirs, ramenés en arrière du front sont enroulés en nattes qui forment, au-dessus de la nuque, un chignon hauts. Elle serre avec précaution son enfant dans ses bras. Celui-ci n’est pas Adolphe, mais Maria, ma Grand’Mère, Von Leins. Flaubert l’appelle Marthe. Elle est toujours restée attachée par un amour incomparable au pays de sa naissance.
Une petite peinture à l’huile, disparue entre temps en Italie, représente les trois membres de la famille. Maria a environ dix ans, Teichel est sans doute l’auteur de ce portrait. Seule subsiste une belle gemme qui ornait ce tableau. Cependant ce portrait, un peu conventionnel, n’est pas sans valeur. En tout cas, il est beaucoup plus lumineux, plus gai que le portrait austère et presque sombre, exécuté en 1849 par François Fatil. Fatil a souvent exposé au Salon de Paris, et, ses œuvres sont conservées aux Musées d’Aix-en-Provence, de Toulouse et de Montpellier. Le visage de Mme Arnoux a sur ce portrait une expression de mélancolie que seule une boucle retombant le long de l’oreille droite adoucit un peu.
Le tableau de Delacroix doit avoir été exécuté quelques années plus tôt. Mais il n’en subsiste ni copie, ni reproduction. Ayant été endommagé, il fut relégué dans le grenier de la maison de Baden-Baden, et il y a disparu.
Cette lacune pourrait être comblée par un excellent petit dessin au crayon dont l’auteur est inconnu. Il était en 1941 encore en la possession d’une petite-fille de Mme Arnoux. Malheureusement, il ne fut jamais reproduit, et jusqu’à maintenant on n’a pu le retrouver. Ce dessin représente Mme Schlésinger à sa table à ouvrage, cette table à ouvrage à côté de laquelle le jeune Flaubert s’assit bien souvent, trouvant de nombreuses occasions de jouer le rôle de chevalier servant.
Et voici venue l’époque où l’on va chez le photographe. La photographie de 1864 la représente assise à un bureau, une coiffe de dentelle sur la tête. Je possède deux petites photographies de 1870, qu’un hasard heureux m’a fait découvrir. Elles ont été prises à Stuttgart où Mme Arnoux avait fait un séjour, chez son gendre Friedrich Von Leins, le célèbre architecte du roi de Wurtemberg. Nous la voyons avec deux petits enfants : Marguerite, sa préférée, et ma mère Emma, âgée de six ans, sa sœur.
Je n’ai jusqu’à ce jour eu connaissance d’aucun des portraits qui ont été la propriété de Flaubert, George Sand, Dumas et autres personnes de cette époque.
Telle est l’image de cette vie que la profondeur de l’amour et de l’amitié de Flaubert a rendue immortelle.
Heilmut Steinhart-Deins.
(1) Notre Bulletin publie avec autant d’intérêt que de plaisir, cette courte étude de M. Heilmut Steinhart-Leins, arrière-petit-fils de Mme Schlésinger, qui réside au Wurtemberg et y entretient fidèlement la flamme du souvenir.