L’Icône de Flaubert

Les Amis de Flaubert – Année 1955 – Bulletin n° 7 – Page 44

 

L’Icône de Flaubert

« Je serai le seul homme de mon temps, s’écriait Flaubert, dont on n’aura pas l’icône ! »

Un dimanche, cependant, je lui apportai un crayonnage que Goncourt lui-même jugea fort ressemblant et que je racontai avoir trouvé dans la malle d’un peintre suicidé et dont on avait vendu les bibelots de l’Hôtel Drouot pour indemniser son propriétaire. Au-dessous du portrait, on lisait en lettres mal formées : M. Flobert de Rouen, car un peintre n’est point forcé de savoir l’orthographe des noms illustres, et je comptais sur cet effet de probabilité.

Flaubert, très vexé de la découverte de l’icône qui démolissait la légende, ne voulut jamais convenir de sa ressemblance. « Non, non, ce n’est pas moi, c’est le père Sandeau ! C’est visiblement la « gueule » du père Sandeau ! » Et à tous ceux qui entraient, il produisait le papier, provoquant leur jugement. Il fut unanime, car on l’aimait : c’était et ce n’était que le père Sandeau, mais à la sortie, ils voulaient tous l’avoir.

À quelques jours de là, Flaubert me fit prier par un ami commun de détruire l’icône. Je le jurai et n’en fis rien. Et quand le Maître mourut, je le donnai à Liphart qui en tira le seul portrait que l’on ait de ce grand et excellent homme. C’est mon unique succès de peintre…

Extrait de Caliban (Émile Bergerat).

Figaro reproduit dans le Journal de Rouen et le Nouvelliste de Rouen,

le 8 janvier 1887.