Les Amis de Flaubert – Année 1956 – Bulletin n° 8 – Page 34
Le Voyage de Flaubert en Algérie-Tunisie
En marge de Salammbô – Avril – Juin 1858 (2)
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C’est précisément dans ce milieu, à la fois patriarcal et assez collet-monté que, tout joyeux d’avoir pu, pour quelques semaines, s’affranchir des soucis familiaux ou des préoccupations littéraires de Croisset, notre bon Flaubert, tel un écolier en vacances, va, avec sa pétulance et sa verve coutumière, faire irruption. Nous ne pensons pas que, pour ses visites au vénérable et officiel Fondouk des Français, construit dès 1583 par le Divan afin d’y loger notre représentant comme nos commerçants, et qui continuait d’abriter les chargés d’affaires de France, Flaubert se soit affublé de cet « accoutrement romantique » (33) dont se souvenait par la suite son hôte du Kef, le juif Elias. Il reste certain, en tout cas, — au témoignage de l’élève-consul comte de Saint-Foix (34), — que celui-ci eut l’attention retenue par « l’allure artiste dans toute la force du terme, avec ses idées erronées et le physique de l’emploi », qu’affectait l’écrivain à Saint-Foix adressé par M. de Billing (35), et qui s’avérait d’ailleurs comme un « excellent homme, ayant beaucoup d’esprit et d’instruction ».
Dans ses notes, Flaubert ne mentionne nulle part le nom de Léon Roches, alors qu’il est certain, par des dépêches signées du chef de notre Agence, que celui-ci se trouvait à Tunis au moment où vint le romancier. Mais il se peut que Léon Roches n’ait pas jugé opportun de recevoir personnellement un homme de lettres récemment traduit en justice à cause d’un livre tenu par le Procureur impérial pour scandaleux (36). En tout cas, avec tout le reste du monde consulaire, étrangers compris, les relations du voyageur furent excellentes, puisque de nombreuses notes attestent des visites réitérées aux uns et aux autres ; réceptions chez les Rousseau ; dîners chez les Wood (37) ; lunch chez les Heap (38) de Douar el Schott ; charmantes heures dans la belle villa du Dr Davis, à la Marsa, avec une « Mme Davis, maigre, gracieuse, petits yeux, os saillants ; prête, je crois, à accepter l’invitation à la valse » ; avec surtout, une fort agréable demoiselle de compagnie,
« Mlle Nelly Rosemberg, pur type zingaro, longs cils, lèvres charnues, courtes et développées ; un peu de moustache, des cils comme des éventails ; des yeux plus que noirs et extrêmement brillants, quoique langoureux ; pommettes colorées, peau jaune, prunelles splendides et noyées… » (39).
« Visite gaye », conclut Flaubert, lequel trouve le moyen de nous détailler encore, lors d’une autre réunion chez les Davis, les charmes de cette Nelly si captivante (40).
Grâce à ces cordiaux Européens de Tunis, Flaubert peut, du reste, satisfaire aux curiosités, sinon aux exigences d’une sensualité toujours en éveil. Et il décrit, folio 50, en termes parfois scabreux, une soirée de débauche très couleur locale chez la courtisane Ra’hel, près du souk aux Cuirs, en compagnie du « célibataire » Cavalier, de M. de Montès, le colonel Calligaris, Dubois et quelques autres :
« Dans le patio, flambeaux d’argile verts au milieu, sur une table, poissons dans un bocal et l’eau-de-vie. Les deux chambres ouvertes, un grand flambeau par terre, au milieu, comme un candélabre d’église. Ra’hel, petite, maigre, museau allongé, les sourcils complètement rejoints par de la peinture noire-rouge. Danse du crapaud. Grande liberté de manière. Le valet de Marsen, en veste rouge, cumule les deux goûts… Escaliers… une chambre au fond, une à gauche ; ces dames au Salon, un beau collier à grands anneaux tout plats. Ma chambre ! pierres ! on cale la porte avec deux pierres ; portière en mince calicot au fond ; gueulades des Juifs. On bouche la fenêtre avec un oreiller. Grand lit à moustiquaires, horribles draps, couverture à bandes rouges. Un matelas brun de crasse. On voit le jour par les murs et on a peur de faire s’écraser la maison en limant. Mouvement de poêle à frire continu. Le père Cavalier est venu dix minutes après moi — rires — et le garçon de Marsen était venu, avant moi… »
Scène de bouge, on le voit, qui, par son rudimentaire décor, rappelle plus de pareilles équipées en quelque port méditerranéen que l’épisode érotique décrit, avec autant de minutie, dans le carnet 5, en évoquant Kouchouk-Hanem, l’almée égyptienne (41). Puis, retour mélancolique « à l’aube spirituelle », comme eût dit Baudelaire. Aussi bien, conclut Flaubert, « on est triste quand on revient de la chasse… »
…Au surplus, quelques heures plus tard, atmosphère bien différente, car voici l’auteur philosophe de la Tentation, dînant avec H. de Bovy chez l’érudit colonel de Taverne (42), arabisant de réel mérite autant qu’expert instructeur militaire et se plaisant tous trois à une « conversation religieuse ». M. de Bovy est ce curieux capitaine de l’ « Hermus » au « front élevé, exalté, petite taille, bouche épaisse et très sensuelle », dont Flaubert nous disait précédemment, qu’à bord, entre Bône et La Goulette, M. de Bovy et lui avaient passé la nuit à causer religion et littérature. Car « le commandant sait par cœur bon nombre de vers de Virgile et d’Hugo, c’est un ancien voltairien devenu catholique, il accomplit toutes ses pratiques ; est-il sincère ?… »
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Les cordiales relations qui, dès le premier jour, se sont instituées entre Flaubert et ses hôtes européens vont, outre leur agrément, se trouver singulièrement profitables pour le romancier en quête de documentation. En, effet, afin d’occuper leurs loisirs, ces hommes, tous cultivés, s’adonnent soit à l’étude de l’arabe, soit aux recherches archéologiques. Et ils ne demanderont pas mieux que de renseigner Flaubert ou de l’accompagner à travers les ruines.
D’ailleurs, tous les voyageurs connaissent l’accueillant Sir Davis chez qui Flaubert « a été plusieurs fois ». Henry Dunant nous parle de ce cordial Anglais, « avec sa famille dans un charmant cottage, bâti sur les ruines mêmes de Carthage, se livrant à des fouilles très actives, envoyant même de belles et nombreuses mosaïques au British Muséum à Londres… »
En matière de fouilles, — comme en politique, entre Wood et Léon Roches, — Français et Britanniques rivalisent de zèle ; d’ailleurs, écrit A. de Flaux dans l’impartial ouvrage que nous avons déjà cité, « M. Davis travaillait avec les fonds du Gouvernement anglais » jusqu’au jour où celui-ci, reculant devant des dépenses excessives, a supprimé ses libéralités à ce « chercheur d’objets d’art » dont l’activité, du reste, était loin de s’avérer aussi désintéressée que celle de Beulé, archéologue authentique. À Tunis, la France des prospecteurs de ruines est représentée par Alphonse Rousseau, le futur auteur des Annales Tunisiennes (1864), ami du célèbre Berbrugger d’Alger (43) ; par Léon Roches lui-même, lequel, l’année même du voyage de Flaubert, vient « d’adresser au Musée d’Alger un remarquable bas-relief en marbre blanc, trouvé dans le milieu de l’année dernière, à Maalka, près du plateau de Byrsa (44). Et surtout, l’animateur passionné des fouilles de Carthage, c’est l’abbé François Bourgade, dont parlent également tous les voyageurs et auquel Flaubert n’a pas manqué de faire visite.
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Une très originale personnalité que cet abbé Bourgade (45). Il vient d’Algérie, où il servait en qualité d’aumônier des Sœurs Saint-Joseph de l’Apparition, Ordre fondé par la Mère Eugénie de Vialar et passé dans la Régence en 1840. C’est — face aux Capucins italiens chargés du culte catholique en Tunisie — le premier ecclésiastique ayant exercé là-bas son ministère dans notre langue. Or, grâce aux hautes relations qu’entretient à Paris la Mère de Vialar, celle-ci, par l’intermédiaire du Consul général de France d’alors, M, de Lagau (46), obtiendra la nomination de son protégé à un poste apparemment modeste, mais pourtant peu banal, car il touche de très près à l’histoire des relations franco-tunisiennes. L’abbé Bourgade a, en effet, été nommé par le Gouvernement français, non seulement chapelain du Consulat de France et aumônier des navires de guerre stationnant sur la côte, mais il se verra en outre, fin 1842, confier les fonctions d’aumônier de la Chapelle Saint-Louis de Carthage.
Sur l’emplacement même du vieil Eschmoun punique, puis du temple d’Esculape dominant la colline de Byrsa, il existait effectivement, jusqu’à l’année dernière, une chapelle chrétienne édifiée dès 1841 à l’endroit où serait mort le roi de la dernière Croisade. Présence étrange en plein pays barbaresque, mais résultant d’une promesse, le 8 août 1830, du Bey Hussein à notre Consul de Lesseps. Le Bey avait alors voulu manifester son amitié envers la France en lui concédant à titre définitif, sur la colline prestigieuse de Carthage, un petit territoire, lequel, avec sa chapelle commémorative, les logis de son chapelain et gardien, son jardin enfin, constituait une minuscule, mais véritable enclave française en terre turco-beylicale, sur le « mont Louis-Philippe » (47).
Évidemment, malgré ses fonctions officielles et privées, notre abbé Bourgade, en ce qui regarde spécialement Saint-Louis de Carthage, n’avait à exercer qu’une activité des plus réduites. En fait, sur ce point, il lui était seulement prescrit, comme l’écrira Alexandre Dumas lui rendant visite fin 1846 (48), de « dire deux ou trois messes par an (49), sur un emplacement qui fut bien plus sûrement un ancien temple païen que la couche funèbre du saint roi ». Dans ces conditions, outre la direction de l’hôpital que l’abbé avait fondé à Tunis en 1843 et celle du collège Saint-Louis qu’il ouvrit deux ans plus tard pour enfants de toutes confessions et nationalités, l’infatigable chapelain du Consulat de France trouva encore du temps pour se livrer à des études linguistiques et à des recherches archéologiques qui, les unes et les autres, ont beaucoup servi aux spécialistes. Il se peut bien que ce futur auteur d’études d’épigraphie phénicienne ait éclairé son visiteur sur tel ou tel point des propres recherches de Flaubert. En tout cas, celui-ci nous le dit : il visita le modeste mais précieux Musée que l’abbé Bourgade avait installé dans la petite bicoque lui servant de gîte quand il venait officier à Carthage (50). L’abbé a aussi remis le voyageur explorant les ruines aux bons soins de son auxiliaire, ce « gardien français, ancien domestique du colonel Pélissier », dont Flaubert apprend qu’il se sont rencontrés à l’aller de son voyage en Orient : « Je suis venu avec lui de Marseille à Malte ». Or, — car le gardien de l’enclos, depuis le premier titulaire, « vétéran de la grande Armée », est de tradition un ancien militaire — ce vieux soldat, du nom de Dalmas, A. de Flaux nous le décrit moins sommairement que Flaubert : « ancien soldat d’Afrique, le gardien est de Toulon. Comme tous les serviteurs, il se plaignait de son maître, le Consul de France, et me disait qu’il n’aurait pas de quoi vivre si le Bey, venant au secours de sa détresse, ne lui affermait à bon compte les terrains qui entourent l’église… » Depuis vingt ans qu’il se trouve là, Dalmas, « esprit intelligent et observateur, connaît mieux que personne, aussi bien que Falbe, la topographie de Carthage ». Et, continue honnêtement l’envoyé du comte Walewski, « je dois dire en toute humilité que les observations de cet homme ignorant, mais rempli de son sujet, m’ont été plus utiles pour mes travaux que la lecture des œuvres de Falbe, Durau de la Malle (51), de MM. Davis ou Beulé… » Précieux témoignage, et que, répondant à Frœhner, son censeur méticuleux, Flaubert aurait été heureux d’invoquer s’il en avait eu connaissance, puisqu’aussi bien, après avoir « déjeuné dans une chambre délabrée », c’est certainement avec ce même et compétent gardien que l’auteur de Salammbô parcourut Carthage.
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Il convient d’adjoindre, au nombre des informateurs bénévoles de Flaubert un certain « M. de Krafft », c’est-à-dire le baron Alexandre de Krafft, qui, depuis Bône où ils se rencontrèrent, a servi de cicerone à l’écrivain dès leur arrivée à Tunis. Or, au sujet de ce voyageur russe dont Flaubert note la native « faculté d’assimilation », nous savons par un « écho » de la Revue Africaine, d’avril 1858, qu’il est fort apprécié des chercheurs en Afrique du Nord. Il fait du reste partie du nombre de ceux dont, le 26 décembre suivant, les évoquant en sa résidence de Croisset, Flaubert prie son correspondant, M. de Saint-Foix, de lui donner des nouvelles. Car le romancier n’a pas oublié le jeune comte. Celui-ci, qui venait d’arriver à Tunis deux mois seulement avant Flaubert (52), déclarait même que, tout nouveau débarqué qu’il était alors, ils avaient « parcouru et étudié ensemble les ruines de Carthage, et grâce aux vastes connaissances historiques » de l’écrivain, Saint-Foix se trouvait « connaître parfaitement cet emplacement et mieux sans doute que beaucoup de Tunisiens… »
C’est en effet à M. de Saint-Foix que, le 26 décembre suivant, l’ermite de Croisset écrit : « Mon cher ami, je pense souvent à Tunis et vous, et vous seriez bien gentil si vous m’envoyiez un peu de vos nouvelles. Ce voyage m’a laissé de charmants souvenirs, grâce surtout à votre compagnie. Jamais je n’oublierai les bonnes heures que nous avons passées ensemble. Or, que devenez-vous ? L’étude de l’arabe avance-t-elle ? La chasse aux pélicans, etc., etc. Que devient le baron de Graff ? (53). Et Dubois ? (53 bis) Taverne ? Bacquerie ? Avez-vous revu la splendide Rosemberg ?… M. Rousseau s’en va-t-il à Djeddah (54), comme je l’ai lu dans les journaux ? Présentez mes respects, mes souvenirs et mes amitiés à tout ce monde-là. Gardez pour vous la meilleure part. Songez à moi quelquefois. Mille poignées de mains très fortes ».
Au cours de la même lettre, Flaubert, après avoir donné des nouvelles de la capitale et de leurs relations communes, dit « s’être mis à (son) livre sur Carthage, après beaucoup d’hésitations et d’angoisses. C’est une affaire de deux ans. Aussi, pour avancer, je reste seul à la campagne, jusqu’au milieu du mois de février. Je vis comme un ours et je travaille comme un nègre… » En post-scriptum, il ajoute : « Si vous pouviez m’envoyer quelque chose de spécial comme couleur sur les mœurs des Psylles, vous seriez bien aimable. J’aurais besoin de savoir comment ces bonshommes-là s’y prennent pour prendre et éduquer les serpents et surtout quels remèdes ils leur donnent lorsque ceux-ci sont malades. Si vous savez d’autres particularités cocasses, je vous en serais très reconnaissant. Dans vos excursions, avez-vous trouvé un endroit pouvant être le défilé de la hache, à savoir un endroit complètement fermé, au milieu des montagnes et ayant plus ou moins la forme d’une hache ? Voilà surtout ce que je voudrais savoir. Çà doit être aux environs de Tunis, peut-être dans les montagnes de l’Ariana… »
De cette lettre, il ressort que, d’une part, Flaubert avait gardé un excellent souvenir de tous ces compatriotes qui, outre les étrangers, l’avaient très cordialement accueilli. Et, d’autre part, quoique, dès le 20 mai, étant encore à Tunis, il se vantât à Jules Duplan « de connaître maintenant Carthage et les environs à fond », qu’il revenait de là-bas encore bien insuffisamment informé, même à l’endroit de questions cependant essentielles pour la composition et la rédaction de son livre. Carthage, en particulier, ne lui avait guère livré de secrets, et pour une raison bien simple : les ruines de cette Carthage que Chateaubriand, en 1807, avait vue « n’ayant rien de bien conservé, mais occupant un espace considérable », faisaient depuis plusieurs années l’objet de prospections individuelles ressemblant à de simples pillages (55). Aussi bien, selon une remarque d’Henry Dunant, dont — nous le rappelons — le livre parut en 1858, « les touristes ont la faculté de garder tout ce qu’ils trouvent d’intéressant en fragments de ruines de Carthage ou d’autres villes, et en objets recueillis, sur ces emplacements… » Ce qui ne laisse pas de scandaliser l’auteur de la Notice sur la Régence de Tunis , soulignant combien ce laisser-aller au pays beylical contraste avec « la sévérité de Pompéi et d’Herculanum à cet égard ».
Du reste, accomplissant moins de deux ans après Flaubert, un « voyage archéologique dans la Régence de Tunis », — titre même de son ouvrage — voici comment, de la côte, Carthage apparut à Victor Guérin, ancien membre de l’École d’Athènes : … »Bientôt le capitaine me montra du doigt quelques pans de murs gigantesques renversés le long du rivage et, sur une colline solitaire, une petite coupole surmontée d’une croix… » Voici encore comment, en 1861, après plusieurs mois de fouilles, avant d’adresser le résultat de son enquête au comte Walewski, A. de Flaux, assez piteusement, se voyait contraint de conclure : … » J’ai trouvé ce champ fameux parcouru par tant d’habiles glaneurs qu’il n’y reste plus un seul épi de froment… » Heureusement pour lui, Flaubert, qui n’était pas un archéologue, pouvait-il, trois ans plus tôt, quitter « ce champ fameux » avec le souvenir de ce que des amis empressés lui avaient montré ou enseigné sur place pour corriger ses anciennes lectures et alimenter son imagination.
Au cours de sa randonnée à l’ancienne Hippozaryte, — Bizerte — par Utique, Flaubert a rencontré d’autres Européens signalés dans ses notes : à défaut de M. Monge, consul de France, il fut reçu chez l’agent consulaire sarde, Costa, dont la femme, « anciennement belle, yeux noirs, parle très vite ». M. Costa est « court, brun, excellent homme (ayant) l’air d’un bon maître de poste de province, abondance de Khépis (sic), pantalon verdâtre, brodé de soie sur les coutures ». Intérieur oriental, — par ses divans où les voyageurs « éreintés » peuvent faire un sommeil sans puces — et tout de même européen, avec « aux murs, gravures, images : « Passage du Saint-Bernard », et des sujets vertuoso-polissons : « Le Mari, l’Enfant, l’Accouchée ». Surgit dans ce décor un ecclésiastique au nom prédestiné, le Père Jérémie, curé de Bizerte (56), son allure et ses propos ont dû enchanter Flaubert puisqu’il les consigne sur ses tablettes : « Le Père Jérémie, jovial, ressemble un peu à Bourlet ; chéchia sur le derrière de la tête, cheveux ébouriffés, spirituel et très ironique, fait cas des « bons vivants », c’est son mot. Ancien curé de Boufarik, il a mangé, par expérience, du lion, du chacal, de la panthère, de l’hyène : il prétend que le lion est une excellente nourriture. Il élève un sanglier, « n’ayant que 41 paroissiens « , « s’occupe beaucoup de vers à soie ». Ce brave P. Jérémie se montre ici dans la tradition courante des « curés » algériens de l’époque héroïque : aventureux et débonnaire, optimiste et réaliste ; abandonné à ses propres forces, élevant d’innocents vers à soie, mais encore un sanglier. Et avec son tempérament débrouillard, le P. Jérémie nous fait songer à son confrère de Souk-Ahras, M. Gatheron, dont – s’il l’avait connue, – le bon Flaubert eût jugée hénaurme l’édifiante anecdote suivante : … « N’ayant pas de ressources pour se procurer les objets nécessaires au culte, M. Gatheron (57) se mit à faire le commerce du lion. Le capitaine Vérillon, chef du Bureau Arabe, lui donnait des lionceaux apportés par les indigènes ; le curé les faisait élever au presbytère ; puis, quand ils étaient arrivés à une certaine taille, il les vendait sur le continent tantôt deux cents francs, tantôt trois cents, et avec ces sommes, achetait des ornements et des vases sacrés… »
Pauvres et d’ailleurs très rares « églises » également, en cette Tunisie de 1858, avec leurs capucins desservants, « chauves humbles et empressés » ; ainsi, à Porto-Farina, « ce sont des tasses à café au lait enfoncées dans la muraille qui servent de bénitier ».
2 – DANS TUNIS L’ORIENTALE, AU MOIS DE RAMADAN
Cependant, la Tunis de 1858, – ne l’oublions pas – est, en dehors de sa curieuse mais infime société européenne, un État essentiellement barbaresque, dont S. A. le Bey est possesseur. Un Beylick avec sa Cour, en laquelle, grâce à ses amis bien placés, Flaubert pourra facilement pénétrer. Autre aspect donc, mais aspect musulman, « tunisien », plutôt que strictement oriental, de cette Cour où, pour se protéger des prétentions du Grand Seigneur à la souveraineté sur la Régence turque de barbarie, les Beys, depuis 1705, et surtout depuis le début du 19e, en sont fatalement réduits à s’appuyer sur l’aide intéressée des Consuls anglais et français. Ce qui amène peu à peu et plus ou moins insidieusement (58) le Bey et son proche entourage à une certaine européanisation très manifeste avec Ahmed-Bey reçu, du reste, à Paris, en 1846 comme un prince souverain. Européanisation qui ne manque pas de frapper Flaubert, car il note, au palais de la Manouba et surtout du Bardo, la présence d’un « mobilier (Empire et Restauration) : pendules dorées à sujets, canapés et fauteuils en acajou, avec des lithographies coloriées (Vieux Devéria : Amour, François 1er et sa sœur), déshonore cette merveille (le patio) de l’architecture arabe ».
Ce sont donc les nouveaux amis de Flaubert qui vont lui servir de truchements auprès du milieu beylical. À noter que l’écrivain se trouve à Tunis, par chance, au moment du Ramadan, ce qui lui permettra, à la solennité officielle qui marque la fin du jeûne, l’Aïd el Sghir, d’assister, au palais du Bardo, à la pittoresque « cérémonie » du baise-main. Cérémonie qui s’accomplit rituellement en deux journées, la première étant strictement musulmane. Et Flaubert, l’œil ouvert et égayé, de décrire très précisément les diverses manifestations de la réception :
« …Un gros homme habillé de rouge, portant un bâton à trois chaînettes, hurle d’une voix formidable ; le Bey (59) paraît et s’asseoit sur sa chaise en os de poisson… Figure fatiguée, bête, grisonnant, grosses paupières, œil enivré, il disparaît sous les dorures et les croix. Chacun, à la file l’un de l’autre, vient baiser l’intérieur de sa main, dont il appuie le coude sur un coussin. Presque tous donnent deux baisers : un ; puis ils touchent le haut de la main avec leur front, et un second baiser pour finir.
» D’abord les ministres, puis les hommes à turban vert et à turban potiron. Les militaires, en costume, sont pitoyables : gros culs dans des pantalons informes, souliers éculés, épaulettes attachées avec des ficelles, immense quantité de croix et de dorures ; les prêtres, blancs, maigres, sinistres ou stupides : l’air bigot est le même partout, l’intolérance du Ramadan m’a rappelé celle du carême des catholiques. Les lignes de troupiers finissent, re-prêtres. Le Bey rentre dans ses appartements. Le hurlement recommence ».
Le lendemain, cérémonie de caractère mixte, tunisienne et européenne, puisque bien qu’il s’agisse, quant au cérémonial, d’une « répétition de la veille », le Corps consulaire » est là, avec ses « binettes administratives, les bons habits exhibés. M. Rousseau nous introduit. Prière des ulémas et notaires, la paume des mains ouvertes, tandis que le baise-main continue… »
Relation très vivante et d’une parfaite exactitude. Il s’en dégage, de maints détails, l’impression étrange et ambiguë laissée par un principicule en goût d’évolution qui, avec ses uniformes, croix, dorures, épaulettes, joue au souverain à la française, cependant que l’impassible entourage des ulémas, adels et chaouchs de tout grade observe les rites immuables. Les images les plus disparates sont offertes par un roitelet barbaresque, voulant, en son Bardo ou sa Mahommedia, avec son armée à l’européenne, jouer au Roi-Soleil. Peu de temps avant la venue de Flaubert, l’excellent connaisseur des choses nord-africaines, Pélissier de Reynaud, qui fut cinq ans Consul à Sousse, avait, lui aussi, noté (60) « le faste » de cette Cour beylicale et aussi « ses médiocres revenus », son personnel domestique imposant, mais dont « les vêtements sont trop rarement renouvelés, montrant souvent, autre chose que la corde… Le fameux « pococurantisme » reproché aux Italiens, et qui est aussi le péché des musulmans, s’y fait partout remarquer par ce mélange de luxe et de misère, de parfums et de saletés, de marbre et de planches de sapin, d’or et de fer-blanc rouillé, que l’on rencontre chez tous les grands de l’Islam, depuis le Maroc jusqu’aux rives du Gange… »
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Avant les cérémonies du baise-main, lesquelles se placent aux 13 et 14 mai, Flaubert avait déjà noté diverses rencontres avec le Bey ou certains personnages de sa Cour ; ainsi, dès le 27 avril, à la Marsa, « la tente du Bey sur la place, au fond de deux lignes de canons ». Il a, le même jour, croisé, dans les environs de la Malqua, « de bons Turcs dans de bons cabriolets » ; un autre jour, revenant de la Sebka-el-Rouani, « rencontré le Bey dans une sorte de mylord », ces « mylordes » à deux chevaux, comme disent encore à Tunis les gens du populaire. « Rencontré sur un mulet un Officier du Général Khereddine », personnage fameux, ennemi et successeur du Khaznadar qui, tout en étant acquis aux innovations et parlant le français comme un Parisien, ne se gênait point pour juger fâcheuse notre influence et la desservir auprès du Bey. Ailleurs, sur la route de Medjez, « tentes installées par le Bey pour la sûreté de la route ».
Flaubert n’a pas omis de rappeler que la Cour beylicale s’entourait de fonctionnaires et serviteurs européens, français surtout : par exemple, à Porto-Farina ce « Français à haute chéchia, (que je prends pour, un employé du Bey, fils d’un instructeur français » et qui appartenait sans doute à la Mission militaire dirigée alors par le consciencieux colonel de Taverne (61). Ou encore, ce « jardinier français passablement idiot, camus », et qui nous semble bien être celui dont parle Stephen Chaseray, lequel a décrit, en connaisseur, certains aspects intimes de la Cour du Bardo (62). Flaubert a connu aussi le peintre Moynier (il demandera de ses nouvelles à Saint-Foix), établi à Tunis, très bien vu au Bardo puisqu’il exécuta, d’après de Flaux, le portrait du Bey Mohammed es Sadok. Il note encore le Maltais, Bogo, fils du premier interprète du Bey avec lequel il fera une randonnée à Utique ; Bogo lui montrant, à un endroit, « dans les oliviers », le lieu où son père fut assassiné par les Bédouins.
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Ainsi, avec de Krafft, Rousseau, de Taverne, Moynier, Bogo, Cavalier et bien d’autres, Flaubert aura pu, en « conversations libres » comme il dit, s’initier à la vie de la Tunisie « orientale », celle du beylik, et celle aussi qui, en ce mois du Ramadan, se déchaînant tumultueusement dès qu’a tonné le canon de fin de jeûne, est en liesse chaque nuit. Avec eux, outre les indispensables mosquées, il aura visité les « bazars », les souks illuminés, vu des « cafés pleins de monde et de bruit »… « des juifs et des juives avec des jambards d’or », des
« putains aux sourcils peints, complètement joints », des séances d’Aïssaouas et de Kharagheuss, ahurissants plus encore qu’obscènes. Rires de l’assistance : « Quel triste spectacle pour un homme de goût… »
Heureusement, Flaubert trouvait-il, ici et là, l’occasion de satisfaire son goût du bigarré : à côté (dans un café maure « chic » ) d’une « lithographie coloriée représentant une femme, des images de manœuvres militaires (Épinal) . Et au fond, deux lions gigantesques tirant la langue » ; puis « quantité de cages d’oiseaux… petites bêtes qui avaient l’air de se réjouir de la musique ». Par là-dessus, « odeur de tabac, de café, de musc et surtout de benjoin »...
3. – À TRAVERS LE BLED TUNISIEN AVEC LES « BÉDOUINS »
Mais les jours passent. Nous voici, avec le voyageur pressé, sur le chemin du retour, où il découvrira, mieux encore que dans les régions entre Tunis et Bizerte, l’homme du bled, l’homme qui était là avant Carthage, ces Bédouins « armés de coutelas énormes » qui empêchaient le jeune Saint-Foix, « ne rêvant que képi et revolver », de dormir paisiblement. Voyage que Flaubert se targuera d’avoir accompli sans encombre. Et il est de fait que de telles sorties ne s’effectuaient pas sans incidents possibles (63). « …Je pars d’ici, armé jusqu’à la gueule, écrit-il à Feydeau le 20 mai, et escorté de trois solides gaillards ». Couché sous la tente ou dans quelque cour, après des « nuits terribles par les puces », il aura vu encore des ruines disséminées et des jujubiers, des oliviers, des champs d’orge, des plaines et des montagnes à l’horizon ; de-ci de-là, des hommes à burnous, l’un au fondouk de Bordj-el-Messaoud, portant « un plat de petits oiseaux ; blanc, propre, chéchia très en arrière, élégant. C’est un chasseur de lions : il en a tué 32. S’amuse très fort, amène des douzaines de femmes et ripaille, boit son café très lentement, accepte de l’eau-de-vie et demande la bouteille ». Plus loin, silhouette exquise de « la petite bédouine, le coude dans la main et la joue dans les trois doigts ». Vision encore de ces négresses à la fontaine, « battant le linge avec leurs pieds, éclaboussures d’argiles blanches partout ». Une autre nuit, « chez les Bédouins », avec « sa tente blanche, ouverte », le « vent terrible » et « l’ombre des animaux du douar passant comme des ombres chinoises ». Puis, dans l’exaltation joyeuse, d’avoir, sans malencontre, atteint et bientôt dépassé la frontière algérienne, autrement mieux policée, voilà notre Flaubert piquant des deux, « galopant, dit-il, ma pelisse sur les genoux, mon takieh sous mon chapeau ; zagarit, coup de fusil, fantaisia, le fils du caïd en ceinture rouge. Souk-Ahras ! Souk-Ahras ! tout cela envolé dans le mouvement. J’ai ralenti devant les tentes, ils vont venir me baiser les mains, me prendre les pieds… »
Enfin, avec « les lignes rouges des bâtiments militaires de Souk-Ahras, discernées après la descente de la forêt, la randonnée « aux rivages du maure » ne va pas tarder à prendre fin.
4. — DU PAQUEBOT « L’OASIS »
AU « PETIT PAVILLON QUI EST AU BOUT DU JARDIN »
Car, à partir de maintenant, en dehors d’une rapide reprise de contact avec l’Algérie, c’est par paquebot, d’abord, la rentrée, nantie de ce qu’elle offre encore de cocasse au voyageur passant une fois de plus la mer. Car « L’Oasis » ramène un monde fort mélangé : « le capitaine Robert, un avocat de Paris, un vieux en alpaga et à tabatière, conduisant deux jeunes femmes ; la petite garce des quatrièmes et le vieux gendarme guallant ; un chasseur d’Afrique ; le bureaucrate militaire à pantalon bleu en lunettes, en casquette et en canne rotin ; un Alsacien ; le comte polonais, tueur de lions…, un monsieur bien, officier de la Légion d’honneur… » (64).
Au total, spectacle presque banal de l’un de ces bateaux reliant la France à sa colonie nord-africaine, avec leur ordinaire cargaison de soldats, de touristes et d’émigrants, la fatigue ou l’indifférence des uns ; et chez les autres, des espoirs plus ou moins déçus. Flaubert n’a donc plus qu’à dire adieu, au passage, à Marseille — porte de l’Orient — et à supporter en chemin de fer la « compagnie d’un chirurgien de marine et de son chien », ou (de son) bureaucrate militaire qui va à Saint-Quentin et au-delà ; l’Alsacien est descendu pour aller à Strasbourg » Peu à peu, toute la compagnie qui le suivait depuis Stora s’est détachée de son regard. Il reste seulement un Flaubert « éreinté », pénétrant à Paris dans « sa maison vide » ; visitant quelques amis ou relations, dont les noms au crayon figurent au Carnet ; rentrant à Rouen, passant trois jours « à peu près exclusivement à dormir (65), avec l’impression que son « voyage est complètement reculé, oublié ; (que) tout est confus dans (sa) tête, qu’il se trouve comme « s’il sortait d’un bal masqué de deux mois ».
Un Flaubert se levant enfin, dans l’exaltation d’une nuit inspirée, clôturant son Carnet sur une note admirable, écrite d’un jet, avec deux seules ratures (66) ; terminant son elliptique récit par la pathétique adjuration au « Dieu des âmes », celui qui « donne la Force — et l’Espoir ».
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Dernier écho du voyage et qui nous montre la délicatesse de Flaubert faisant hommage de son roman carthaginois, enfin paru, au Souverain du pays dont il fut l’hôte : à la fin d’un autre Carnet, Louis Bertrand a en effet pu lire : « Aujourd’hui, 12 décembre 1862, anniversaire de ma quarante-et-unième année, été chez M. de Lesseps porter exemplaire de Salammbô pour le Bey de Tunis… » (67).
Aimé Dupuy.
Conférence prononcée à la Société des Amis de Flaubert,
à Rouen, le 19 octobre 1952
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(33) Avant Salammbô, op. cit.
(34) Lettre du 17 juillet 1858, du comte de Saint-Foix à l’un de ses correspondants et publiée par Antoine Albalat, p. 15, dans son livre : Gustave Flaubert et ses Amis, Paris, 1927.
(35) Flaubert avait été recommandé à M. de Saint-Foix par le baron de Billing, lequel se trouvait, de 1857 à 1861, au Cabinet du comte Walewski, ministre des Affaires Étrangères. — V. au sujet de ce personnage, qui joua un rôle assez important, comme envoyé de Gambetta, dans la préparation du Protectorat, le livre de la baronne R. de Billing : Le Baron Robert de Billing, 1839-1892, Paris, 1895. Il est question de Saint-Foix dans ce livre, à la page 339.
(36) Il est permis de regretter que Flaubert n’ait pas fait la connaissance de Léon Roches, car cet ancien Secrétaire d’Abd-el-Kader, à la vie fort picaresque, eût sans doute fourni à Flaubert certains éléments pour son futur roman (projeté), où l’on devait voir « un civilisé qui se barbarise… » (carnet 2 des Notes de lectures). — V. au sujet de Léon Roches : M. Emerit : La Légende de Léon Roches (Revue Africaine, 1947, n° 91).
(37) « …Si tu étais ici avec moi, — écrit de Tunis Flaubert à sa nièce Lilinne (Caroline), — tu me serais d’un grand secours, parce que je suis obligé de parler anglais, et je le parle tant bien que mal. Il y a, à Carthage, un ministre anglais qui fait des fouilles. J’ai été chez lui plusieurs fois. Ni lui ni personne de sa famille ne dit un mot de français. Ce qui n’empêche pas que nous nous entendons très bien. Ils m’avaient invité pour aujourd’hui à dîner et à coucher chez eux, mais j’ai une autre excursion plus intéressante à faire… » (Correspond., Ve série, Éd. Conard).
(38) Le Dr Heap dont parle Flaubert est le fils de l’ancien Consul général des États-Unis à Tunis. C’est lui qu’évoque Calligaris : « Un jour, me trouvant chez Mrs Porter-Heap, épouse de l’Agent général des États-Unis, j’y rencontrai quelques maures d’importance. Ayant entamé une conversation particulière avec l’un d’eux, je lui fis remarquer l’élégance de la taille fine des demoiselles Heap qui sont fort gentilles : « Bah ! me dit-il, que voulez-vous faire de cela ? Six de ces marionnettes ne pèseraient pas autant que ma Kadidjé… » (Documents Historiques…, op. cit.).
(39) Flaubert « écrit : « …prunelles splendides » et ajoute : « noyées dans le sperme ».
(40) …Elle est grande, taille flexible, sans corset, profil un peu allongé, nez fort, peau brune, dorée, lèvres minces et retournées, rouges comme du corail et très dessinées, large bouche et dents admirables. Les yeux sont archi-noirs et la prunelle glisse sous la paupière comme un gland sous le prépuce dans une masturbation interne et incessante, sourcils démesurés, en arcs ; elle a l’air de toujours sourire. Quelque chose de langoureux et de bon enfant dans tout cela ».
(41) V. p. 594 et 599 ; les notes du Carnet 5, Voyage en Égypte, dans J’Éd. Belles-Lettres.
(42) Il faisait en ¡arabe ses cours à l’École militaire du Barbo, dont il devint directeur. V. à son sujet : P. Merty : Historique de la Mission Française en Tunisie (1827-82), in Revue Tunisienne. 1935.
(43) Auteur lui-même d’Itinéraires Archéologiques en Tunisie, parus dans la Revue Africaine de septembre 1856 et août 1857.
(44) Revue Africaine, années 1857-58, p. 327.
(45) V. Revue Tunisienne, t. XVI, 1909 : L’Abbé François Bourgade, par Eusèbe Vassel, et Gaëtan Bernoville : Émilie de Vialar, 1953.
(46) Noté, folio 69, au crayon, par Flaubert, au nombre, sans doute, des visites qu’il comptait faire dès son retour à Paris.
(47) V. au sujet de l’historique de cette Chapelle, depuis peu démolie « pour être remplacée par un monument différent », l’étude, publiée dans les Cahiers de Byrsa (1950 I), Paris, 1951, par Pierre Gandolphe, sous le titre Saint-Louis-de-Carthlage (1830-1950).
(48) Alexandre Dumas : Le Véloce, Paris, 1855.
(49) Et en particulier, selon l’accord passé entre Ahmed-Bey et Louis-Philippe, « une messe solennelle, tous les ans, le 25 août », date anniversaire, on le sait, de la mort de Saint-Louis.
(50) Une note du Carnet 10 mentionne : « …petite amulette. Se rappeler la figure en marbre de l’abbé Bourgade (Musée) ».
(51) À leur sujet, rappelons la réponse de Flaubert à Guillaume Frœhner : « Vous me blâmez « de n’avoir consulté ni Falbe ni Durau de la Malle dont j’aurais pu tirer profit. Mille pardons : je les ai lus plus souvent que vous peut-être et sur les ruines mêmes de Carthage ».
(52) M. de Saint-Foix résida à Tunis de février 1858 à novembre 1861, date où il partit, toujours comme élève Vice-Consul à Gênes. (Arch. Aff. Étr.).
(53) « M. le baron Alexandre de Krafft a dû quitter Tunis après les fêtes de l’Aïd-el-Kébir (vers le 25 juillet, pour se rendre à Tripoli, et de là pénétrer au centre du Soudan). Les vœux de tous les amis de la Science accompagneront ce jeune et courageux voyageur dans son entreprise difficile et périlleuse ». (Revue Africaine, oct, 1857-août 1858).
(53 bis) « …Je dine tous les Jours avec un ancien élève du père Carrel, M. Dubois, ingénieur… » (Corr. Supp.).
(54) Effectivement, Alph. Rousseau fut nommé Consul à Djedda, en 1858, peu après le départ de Flaubert (Arch. Aff. Étr.).
(55) Pierre Giffard, reporter, à deux reprises, du Figaro, et notamment pendant l’expédition en Tunisie, écrit dans son livre : Les Français en Tunisie,Paris, 1881, ceci :
« …II paraît qu’il y a quelque trente ans, on pouvait encore voir les traces d’un amphithéâtre, d’un cirque, de thermes, et une jetée. Tout cela s’est évanoui, et tout cela disparaît dans la poche des Anglais… Ils ont ainsi dépouillé toute l’ancienne ville romaine qui, évidemment, valait encore quelque chose il y a un demi-siècle… » D’ailleurs, à côté de ces « Anglais qui n’ont pas eu de peine à trouver de quoi emplir leurs poches », P. Giffard n’oublie ni les Gênois ni les Espagnols, sans compter les Arabes.
— Le 6 octobre 1848, venu en visite à Carthage, Mgr Pavie, évêque d’Alger, put, en compagnie de l’abbé Bourgade et du comte Raffo, remarquer, entr’autres choses, « de nombreuses et belles colonnes de marbre attendant, sur le bord de la mer, le navire anglais qui devait bientôt les transporter à Londres » (Mg Pons : La Nouvelle Église d’Afrique, Tunis, s. d.).
(56) Sur le P. Jérémie, v. La Tunisie Catholique, de janvier 1944 & février 1946 (supplément) : Histoire de la Ville et de la Paroisse de Bizerte, par Mgr Emmanuel Labbe. En fait, le P. Jérémie était né Sarde, en 1818, à Giletta, dans le Comté de Nice. II s’appelait Roustan ou Rostan. Il exerça sans doute son ministère à Boufarik, puisqu’il l’a dit, à Flaubert ; mais c’est plutôt lorsqu’il desservait Bône et La Calle, avant d’être envoyé, en 1852, à Bizerte, qu’il put apprécier le « goût » de la chair des fauves qui infestaient la région. Il habitait, à Bizerte, « une petite maison fort misérable qui, écrit le P. Anselme, appartenait à un Maure ». Le malheureux missionnaire fut victime de son excellent cœur : ayant, en effet, recueilli deux Siciliens misérables, ceux-ci vinrent lui voler le produit des quêtes faites en vue de la construction d’une chapelle convenable, en profitèrent pour l’assassiner, en 1868. – Quant au nombre exact de ses paroissiens, « deux cents âmes en 1857 », – d’après Mgr Labbe, p. 102, op. cit.) – « 41 », d’après les propos recueillis par Flaubert, il semble bien que le chiffre le plus proche de la réalité ait été fourni par le P. Jérémie, à Victor Guérin : … »ce bon religieux, originaire de Nice, me montre son humble chapelle et m’apprend que le chiffre de ses paroissiens est de 115 individus, parmi lesquels les Maltais forment la majorité… » Rappelons que c’est en 1860 que l’archéologue V. Guérin a parcouru une bonne partie de la Régence.
(57) Cet abbé Gatheron est sans doute le même qui créa plus tard le fameux vignoble de l’Archevêché de Carthage.
(58) Mohamed-Bey, le souverain tunisien que connut Flaubert, signa, sous l’influence de Léon Roches, le Pacte fondamental de 1857, lequel reconnaissait à tous les habitants de la Régence l’égalité devant la loi et octroyait divers avantages aux Français et aussi aux Anglais dans la Régence.
(59) II s’agit de Mobammed-Bey, qui régna de 1855 à 1859.
(60) V. Revue des Deux-Mondes, 1856 : Le Gouvernement des Beys et la Société Tunisienne. Flaubert note d’ailleurs, à plusieurs reprises, le double caractère de cette Cour, à la fois, fastueuse et indigente : p. ex. « visite au palais du Bey. Rien n’est ravissant comme le patio, incrusté de bandes noires sur le fond blanc du marbre. Au-dessus, des ornements en plâtre ! ! ! Les murs des appartements, en petits carreaux de faïence : puis, au-dessous de la faïence, la bande de plâtre… »
(61) Au sujet de la Mission militaire et de la création de l’Armée Tunisienne, voir, — outre les Mémoires de Calligaris, – Ct Drevet : L’Armée Tunisienne, Tunis, 1922, et P. Marty : op. cit.
(62) V. Le Père Robin (St Chaseray) in Gens et Bêtes de l’Oued Melhouf, Constantine, 1917, la Nouvelle intitulée Sidi-Bribi, et le personnage appelé Piraudon, jardinier en chef du Bardo.
(63) En plus des lions et autres fauves qui pullulaient en certains coins de la forêt ou de la steppe, il y avait, en effet, les « brigands », signalés d’ailleurs par V. Guérin, lequel faillit en rencontrer à son passage dans la région de Teboursouk.
(64) « …Nous sommes aujourd’hui, le 3 juin, jeudi, et je t’écris ce petit mot en mer, accroupi sur le pont comme un singe et entouré de messieurs les officiers
de l’Armée d’Afrique qui se rendent dans leurs foyers… » (À Louis Bouilhet, Correspondance, Supplément (1830-1863), 1954).
(65) V. Lettre à Feydeau, « Croisset, dimanche soir », 1858. V. aussi dans la lettre précitée à Bouilhet : « J’arrive un peu eschauffé, voilà quinze jours que je ne me suis déshabillé que trois fois… ».
(66) Flaubert a remplacé « que toutes les forces de la nature » par « énergies » de la nature ; et « que j’ai humées », par « que j’ai aspirées », …me pénètrent… ».
(67) V. p. 230, Gustave Flaubert, par Louis Bertrand, Paris, 1912.