Le Voyage de Flaubert en Algérie-Tunisie – 3

Les Amis de Flaubert – Année 1956 – Bulletin n° 9 – Page 15

 

Le Voyage de Flaubert en Algérie-Tunisie

 En marge de Salammbô – Avril – Juin 1858 (3)

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LES ENSEIGNEMENTS D’UN VOYAGE

A. — L’ « historien » Flaubert

Lorsqu’après avoir « repassé à l’encre ses notes de voyage », Flaubert se retrouve, à sa table, devant son sujet punique ; il ressent d’abord tout naturellement, une impression stimulante : nourri de ce qu’il avait lu et de ce qu’il venait de voir, l’écrivain « commencera » enfin « d’aller dans Carthage » ; puis, au fur et à mesure que les souvenirs topographiques et sensoriels s’éloigneront, il va éprouver le sentiment, cruel et décourageant, qu’il a, dit-il, « eu les yeux plus grands que le ventre » et qu’ « il n’est sorte de couillonnade que je ne côtoie dans ce sacré bouquin ». Mais, foin de l’histoire ! puisque loin de poser à « faire vrai », l’artiste ambitionnait seulement, — tout en s’efforçant de « faire beau », — de faire vraisemblable (69). Par contre, si l’on tient absolument à mettre Flaubert en face de la réalité historique, il nous semble avoir démontré que le rédacteur du Carnet 10, en tant que « voyageur », et en marge de Salammbô, laissait une collection d’observations et de remarques sur l’Algérie-Tunisie de 1858, qui ne sont pas sans valeur documentaire aux yeux des historiens.

Mais, cela admis, le contenu du Carnet présente, — tout aussi précieux, — un autre genre d’intérêt, par l’originale contribution qu’il fournit à la connaissance de l’homme et de l’écrivain que fut Flaubert.

B. — Le « Commis-voyageur » de 1858

1. — Soucis et Fantômes

Tout d’abord, à la connaissance de Flaubert-voyageur. Sans doute, en effet en 1858 de même qu’en 1849, nous assistons au débat intime qui se livrent en lui, comme il disait, le « cul-de-plomb et le commis-voyageur » (70) ; le second venant relancer, tarabuster le premier pour échapper de temps à autre à ce que les Concourt appelaient l’ourserie de l’homme de lettres au XIXe siècle (71). Donc, une fois de plus, le solitaire de Croisset a dû secouer sa naturelle apathie, déjà soulignée par Maxime Du Camp ; surmonter son dégoût à se décider ; enfin, mis en branle, triompher de l’autre peine qu’il éprouvait à freiner son élan, — cette dernière remarque, si vraie qu’à la veille de quitter la Régence, l’irrésolu Flaubert avouera, le 20 mai, à Feydeau : « Je m’en vais de Tunis avec une certaine tristesse, étant de la nature des dromadaires qu’on ne peut mettre en route, ni arrêter ». Pourtant, cette fois encore, le « commis-voyageur » a eu raison du « cul-de-plomb ».

Cependant, partant pour l’ Afrique du Nord, Flaubert manque de ce sentiment d’euphorie qui l’animait en 1849. D’abord, le quasi-quadragénaire n’a plus l’insouciance du jeune homme de vingt-huit ans quittant Croisset la bourse copieusement remplie et nanti d’un compagnon de route que l’on a injustement tendance à considérer comme un être égoïste, uniquement soucieux de son avenir littéraire. Car, — Thibaudet le rappelle, — Du Camp « s’occupait de tous les détails matériels…, remorquant l’ami insolent et goguenard » (72), ainsi qu’il l’avait promis à la mère de Flaubert. Aujourd’hui, le voyageur est seul, face à lui-même : « Je n’ai pas, note-t-il à l’heure de son embarquement, depuis huit jours, échangé dix paroles ». Seul, et avec son humeur de vieux célibataire, bougon et souvent morose ; tenaillé encore par les soucis du moment : une mère vieillissante et malade ; une nièce, dont il s’est fait l’éducateur responsable ; des tracas d’argent ; un procès récent et qui l’a autant « dégoûté » qu’ « embêté ». En outre, avec l’obsession de l’aventure littéraire dans laquelle il s’est engagé et peut s’être fourvoyé ; la hantise de ce roman qui ne vient pas, devant l’inconsistance duquel il « reculait comme un lâche » (73). « On ne saura jamais, écrira-t-il à Feydeau, ce qu’il a fallu être triste pour entreprendre de ressusciter Carthage » (74). Ajoutons-y la contrainte où il se trouve, en un déplacement impérieux, aux fins positives et non touristiques, de surveiller parcimonieusement tous ses débours pour échapper, s’il se peut, à la cupidité des loueurs de montures et des guides : « drogman., 8 j. à 3 F.– 60 f. drog.-240 fr. chev », peut-on lire à la première page du Carnet. En Flaubert de confier, le 8 mai, à Feydeau, qu’il supprime, dans son itinéraire, « la côté. Est… Il fait cher voyager dans la Tunisie, à cause des chevaux et des escortes ». N’oublions pas que, « comme l’argent, hélas ! » lui fait défaut le temps et pourtant il y aura les indispensables visites, — autant de « journées perdues », — à aller saluer MM. Wood, Rousseau, Davis, de Marcel et consorts. Enfin, imaginons, sans risque de nous tromper, la prescience d’un Flaubert instruit par l’expérience, à évoquer l’inexorable et redoutable crise de tristesse de la rentrée, car, en effet, il n’y échappera point. À peine noté un « sentiment de débarras, de retour, de bien-être », dès Dijon, il est repris par ses vieux compagnons : le Désenchantement, l’Ennui, ainsi traduits : « Quel sot pays que la France ! »

Par ailleurs, au cours de cette randonnée nord-africaine, il apparaît que Flaubert, beaucoup plus qu’en 1849, éprouve une difficulté croissante à se détacher de son monde réel et aussi de celui qu’avait re-créé son génie, tous deux solidement ancrés en terre de France, normande et parisienne. Quoi qu’il en soit, à tout instant vient s’adjoindre, aux images neuves et distrayantes, le rappel, — on dirait nostalgique et parfois gênant — des choses et des êtres que son âme complexe a emmenés avec soi. Il ne peut s’empêcher d’évoquer « la Medjerdah large comme la rivière de Bapaume » ; de voir le village de Radès, « blanc et propre », comme « une espèce de Fontainebleau », rendez-vous de parties fines pour les Musulmans » ; (ce « Fontainebleau » qui va bientôt jouer sa partie dans l’Éducation Sentimentale) ou bien, après avoir visité le ravin du Rummel à Constantine, d’évoquer ce qui se passe à Paris à l’heure même où, sur le boulevard du Temple, la queue des petits théâtres commence « à se former » (75). Ou de penser, devant de nouveaux visages, aux visages métropolitains connus : la bizertine Mlle Costa, comparée aux filles « rougeaudes du pays de Caux » ; le commandant supérieur de Guelma qui « ressemble en beau à Delamare » ; l’horloger pied-bot, descendu de la diligence, qui chemine près de lui et qu’il ne peut manquer d’avoir rapproché de l’autre pied-bot, celui de Yonville, le fameux Hippolyte de Madame Bovary.

Le poursuivent d’autres images attendrissantes et sensuelles : celle d’Eulalie Foucaut à Marseille, où il est allé revoir, tout comme en 1850, la « fameuse maison » de ses juvéniles amours (76) ; et celle surtout de la maîtresse ( ?) du moment : Jeanne de Tourbey ; car, dit M. Jean Pommier, l’écrivain n’est point accompagné d’un seul fantôme, toujours le même, sur la route de ses fictions (77). « Je songe à vous presque continuellement, lui écrit-il de Tunis, le 15 mai… J’ai vécu depuis cinq semaines avec ce souvenir, qui m’est un désir aussi. Votre image m’a tenu compagnie dans la solitude, incessamment… Quand je veux rêver à Carthage, c’est la rue de Vendôme qui se représente… J’ai vu, ce matin, au palais du Bey, tous les dignitaires de la Régence baiser la grosse patte de cet homme. J’en connais deux autres que je lui préfère… » (78).

Voilà donc un Flaubert itinérant volontaire, mais compliqué, qui ne sait ni s’abstraire, même pour quelques semaines, du moi sédentaire ami de son confort, esclave de ses contraintes ; ni se déprendre de ses habitudes de vieux garçon casanier ; qui, à Tunis, ne peut s’empêcher d’inviter Lilinne (sa nièce Caroline) « à recopier sur un beau cahier ses rédactions du moyen-âge » et à « apprendre un peu ses dates » ; à « ordonner que l’on nettoie bien (mon) cabinet ; qu’on retourne le tapis et qu’on arrange (mes) portières. Le même Flaubert qui, en Orient, « se prenait de tendresse à en pleurer, en songeant à son cabinet de Croisset » ; le touriste mal adapté à l’heure et au site qui, à Carthage, rêve de « la Detourbey » tout comme il « découvrait » la Bovary devant la deuxième cataracte. Mais, tout aussi bien, le voyageur tourmenté parce qu’inlassablement épris de ces « ailleurs » dont parlait Loti et qui, à peine revenu parmi les bourgeois de Rouen, pouvait, « un jour de pluie atroce, incessante, lugubre », aussitôt confesser à son ami Saint-Foix : « Je rêvasse à la fille d’Hamilcar et aux pays où vous vivez ».

Or, si l’un des « deux Flaubert », le Flaubert préoccupé, triste et rêvassant, n’a pas cessé de se manifester tout au long du voyage d’Algérie-Tunisie, c’est, en dehors des raisons que nous venons d’invoquer, parce que l’écrivain a, peut-être, plus ou moins conscience du fait que ce voyage, fatigant et coûteux, ne sera que de médiocre provende. Bien que Salammbô soit, selon le mot exact de Du Camp, le livre qui « était le plus dans son tempérament » (79) et qu’il en ait fait d’ailleurs un chef-d’œuvre des lettres françaises, qui sait si Flaubert n’avouerait pas, dans l’intimité, qu’au fond, toute cette Antiquité, — celle des livres et aussi celle des ruines, éparses, mutilées par les siècles et les hommes, — mérite moins que, pour elle, « on se monte autant le bourichon » ? Puisqu’en fait, tout « en aimant l’histoire follement », l’antique ne l’inspire guère. Il s’en veut secrètement de s’être illusionné là-dessus. Par point d’honneur, il s’entêtera à décrire cette Carthage « qui le fera crever de rage » (80). Et, auparavant, il aura lu une centaine de livres, pris honnêtement des notes qui se veulent « techniques », voire des croquis, mais combien puérils ! (81) escamotant d’ailleurs, — comme s’il rusait avec lui-même. — une bonne partie de l’itinéraire prévu. Rappelons-nous, du reste, à propos de Flaubert en voyage, la confidence d’un Maxime Du Camp qui, pour son compte, étant soucieux d’observations sérieuses et méthodiques, jugeait, sévèrement peut-être, mais lucidement aussi, l’indolence fantaisiste de son compagnon en Orient… ; « les temples lui paraissaient toujours les mêmes, les paysages, toujours semblables ; les mosquées, toujours pareilles… » « Pourquoi ? » conclut A. Thibaudet ; c’est parce que « le cœur n’y est pas ». Quand il y est, c’est pour écrire ceci : « Réflexion : les temples égyptiens m’embêtent profondément. Est-ce que ça va devenir comme les églises en Bretagne et les cascades aux Pyrénées ?… » (82). Alors, il se peut bien que, tout bref qu’il soit, ce voyage d’études que Flaubert s’est imposé lui ait infligé, sinon des « ventrées d’embêtements », au moins d’âpres instants de lassitude et de dégoût. Il se peut qu’il ait, au milieu des journées harassantes, des nuits glaciales sous la tente, entrevu tout ce que, jusqu’au « Ouf ! » (83) terminal de 1862, le romancier devra endurer pour mettre sur pied l’œuvre punique. Aussi bien, ce n’est certes point par exagération grandiloquente des difficultés à surmonter que, durant la fameuse nuit de Croisset, Flaubert demandait humblement au Dieu des âmes la Force et l’Espoir, cette énergie et cette foi dont l’écrivain « lâche » et « triste » s’estimait secrètement démuni.

2. — La gaîté voyageuse « retrouvée »

Toutefois, et heureusement pour lui comme pour nous, l’autre Flaubert, le gai et verveux compagnon, celui qui « s’éjouissant, se gaudissant », choquait les aristocrates Goncourt ; « l’artiste », que sa tenue excentrique et ses propos hilares punissaient parfois d’un accueil « inhospitalier », nous le retrouvons au cours du voyage de 1858. Dès Valence, il nous dit sa « joie de voir des montagnes et le Midi ». Puis, tout en « se bourrant de bouillabaisse », sa joie de contempler « la mer bleue »… « J’ai bien humé le vent, écrira-t-il, le 11 juillet suivant, à Mlle Leroyer de Chantepie, bien contemplé le ciel, les montagnes et les flots. J’en avais besoin. J’étouffais depuis six ans que je suis revenu d’Orient »… Là-bas, « j’ai toujours été seul, bien portant, à cheval, et d’humeur gaie »… Même écho, dans une lettre du 10 mal à Jules Duplan : « J’ai été très chaste dans mon voyage », mais très gai — et d’une santé marmoréenne et rutilante… » Ou encore, lettre du 1er mai, à Feydeau : « Je me couche tard et je me lève de grand matin. Je dors comme un caillou, je mange comme un ogre et je bois comme une éponge. Tu n’as jamais vu ton oncle en voyage. C’est là qu’il est bien. La table d’hôte, où je mange, est bouleversée depuis ma venue et les gens qui ne me connaissent pas me prennent certainement pour un commis voyageur ». Une autre fois, au retour de la Mohammediah, « accès de joie : je chante Malborough et je fais claquer mon fouet !… » Quelques échappées de fanfaronnades, par-dessus des affirmations enthousiastes, montrant un côté plaisant, un aspect « Tartarin » de notre bon Flaubert, croyant à demi aux périls d’une équipée qui n’est pas sans danger, de manière à susciter l’admiration des Bouilhet, Duplan et autres pantouflards :

« Je m’en retourne en Algérie, par terre, ce qui est un voyage que peu d’Européens ont exécuté… ». « Il n’y a cependant rien à craindre dans la Tunisie, ce qu’il y a de pire comme habitants se trouve aux portes de la ville, il ne fait pas bon y rôder le soir, mais je crois les Européens résidant ici d’une couardise pommée… »

Au total, écrit-il de là-bas, à Caroline : « Je m’ennuie beaucoup de ta bonne petite mine, quoique mon voyage m’amuse énormément… ». Il confiera même à son Carnet l’émotion singulière qu’il a éprouvée au terme de sa randonnée tunisienne, saluant dans son délire : « Souk Ahras ! Souk Ahras ! » et se demandant. :

« De quelle nature était l’étrange frisson de joie qui m’a pris ? J’en ai rarement eu (jamais peut-être ?) une pareille… »

**

Mais si Flaubert a sincèrement et de mainte façon joui de ces six semaines de liberté, n’est-ce pas parce que ce séjour en, Afrique du Nord a satisfait en lui l’autre aspect de sa personnalité, et pour plusieurs mobiles correspondant, eux aussi, « à son tempérament » ? À en croire les Goncourt, Théophile Gautier prétendait, un jour de 1863, qu’ayant, comme lui-même, le goût de l’exotisme, non dans l’espace, mais à travers le temps », Flaubert « serait ambitieux de forniquer à Carthage » (84). Sans doute, celui-ci, qui déclarait drôlement avoir, dans une vie antérieure, été entr’autres métiers « batelier sur le Nil » (85), n’aurait-il point désavoué son ami, mais il eût peut-être ajouté qu’il aimait, bien plus encore, se souvenir d’avoir, à Esneh, connu les faveurs de la vivante Kouchouk-Hanem (86) ou, à Tunis, en compagnie joyeuse, apprécié celles de la non moins vivante Ra’hel, spécialiste tunisoise, sous le règne de Mahommed Bey, de la « danse du crapaud » ?

Car si Flaubert « s’amusait énormément », cela provient du fait qu’en Afrique du Nord, il respirait à nouveau, dès Constantine, « cette bonne odeur d’Orient » ; que la Goulette et son lac à « couleur jaune » lui rappelaient le Nil, ou qu’une nuit dans un douar le faisait délicieusement « penser » (sa) première nuit aux Pyramides ».

C’est encore parce qu’en Afrique du Nord, l’enchantait la re-découverte d’un milieu humain, bruyant et grouillant, violemment mêlé et bigarré : les « balles splendides », des « existences… fort variées comme loques et broderies, riches de saleté, de déchirures et de galons… », qui avaient déjà, en 1849, produit sur Flaubert un étonnement énorme des villes et des hommes… » L’Algérie et la Tunisie, comme l’Égypte, c’était toujours l’Afrique, dont la révélation, aux bords du Nil, restait, dit Louis Bertrand, « l’événement capital de son existence ». L’Afrique ancienne, sans doute, laquelle allait somptueusement colorer Salammbô de ce qu’elle comporte de « farouche et d’extravagant » (87), mais plus encore l’Afrique moderne, celle qui, à ce voyageur admirablement doué du point de vue sensoriel, au plus haut point séduit par l’étrange, le bouffon, « l’hénaurme » de certains êtres, actes ou circonstances, offrait à profusion son mélange d’images bariolées et contrastées (88). Des scènes, des types inconnus de notre monde émerveilleront cet Européen cultivé qui, au milieu des décors les plus hiératiques, conserve le sens de la vie courante et de l’humour, par leur absence de mesure, par le monstrueux, le cocasse ou le grotesque qu’ils dégagent. Quelle joie, dès lors, pour Flaubert, de rencontrer, par exemple, un village algérien uniquement composé d’ouvriers parisiens, avec « la crasse de la banlieue transportée sous le ciel d’Afrique « ! — « Ou, dans un café maure, d’examiner à loisir l’illustre Karoubi, le premier ruffian de la Tunisie et qui a posé devant S.A.R. M. le Prince de Joinville dans une fonction extra-virile. Il a l’air très vénérable : chapeau de paille et paletot de matelot…, barbe longue, bagues nombreuses, calvitie sur le devant de la tête… ; « peut poser pour un Saint-Jean… » — Ou encore, de pouvoir décrire quelque « fantasia » érotique après avoir, gravement, visité les « écoles religieuses » du digne abbé Bourgade. — Ailleurs, de consigner l’imprévu, le piquant du spectacle à Carthage, de ce « chameau dans les airs », de ce « dromadaire sur une terrasse, tournant un puits ». — Ailleurs encore, image également savoureuse à noter : le Bey, omnipotent et apparemment débonnaire, avec « sabre et des pistolets…, sa tabatière et son mouchoir… »

…De fait, Flaubert aura, bien plus pleinement qu’en Égypte, saisi et apprécié « le côté psychologique, humain, comique du voyage » au pays magrébin. Il est probable, du reste, que ce fut Maxime Du Camp qui initia son ami à l’Orient « barbaresque » en soulignant lui-même, à propos de sa propre visite de 1845 en Algérie, le caractère « grotesque et splendide » d’Alger : cette « ville tumultueuse, où nos soldats étaient les maîtres et le faisaient voir ; (où) les deux races, avec leurs instincts si disparates, se servaient mutuellement de repoussoir » (89).

Quoi qu’il en soit, aux yeux de Flaubert, les soldats du Bey sont au moins aussi cocasses à contempler que ceux du Vice-Roi Abbas-Pacha, « aux boules les plus pacifiques du monde ». Et le fameux médecin Chamas, ramassé par Clot-bey pour organiser le Service de l’Armée égyptienne, — cet « être bouffi de vanité, gredin, voleur, qui assomme tout le monde de ses œuvres et est repoussé de ses compatriotes », n’est, dans son abjection, ni plus pittoresque ni plus inquiétant que « le colon Faucheux, dégradé, borgne au bras luxé », ou, sur le paquebot du retour, que ce singulier passager ainsi silhouetté :

« La plus belle balle, c’est un bourgeois hideux, le Ferrand des Mystères de Paris, cravate blanche, habits noirs fripés, chapeau blanc très haut et défoncé ; couturé de petite vérole. Une destinée ignoble est gravée là : il a fait tous les métiers et il doit être ou maître d’école ou pharmacien »

C. — Les bénéfices littéraires du Voyage algéro-tunisien

Des réflexions précédentes, il résulte que les Notes du voyage algéro-tunisien apparaissent, ainsi d’ailleurs que la Correspondance s’y rapportant, comme la suite naturelle et le complément du voyage d’Égypte. Mêmes curiosités de l’Afrique ancienne et moderne, avec une préférence marquée pour cette dernière. Même position intellectuelle et esthétique de l’écrivain devant le pittoresque de la « nature » et surtout devant l’allure et le comportement des hommes. Même intention, dès lors, d’utiliser ultérieurement tant d’observations et réflexions touchant l’Afrique moderne à des fins littéraires inconscientes, latentes seulement en 1849, mais que le voyage de 1858, avec sa propre et généreuse collecte, va bientôt contraindre l’écrivain à se formuler en projets d’œuvres futures.

Effectivement, à la date du 29 mars 1862, quand le romancier est encore sous l’emprise de sa dernière randonnée, avant même la terminaison de Salammbô, les Goncourt relatent, d’après un propos de Flaubert, « le grand désir qu’il a eu, désir auquel il n’a pas renoncé, d’écrire un livre sur l’Orient moderne, sur l’Orient en habit noir ».

Or, ce « roman sur l’Orient moderne », qu’il eut intitulé Harel-Bey, ne cessera de hanter l’imagination et la volonté de Flaubert. « Pense à moi pour mon futur roman de « Harel-Bey », écrit-il à Duplan, le 14 mars 1868. Et neuf ans plus tard (novembre 1877), à Mme Roger des Genettes, parlant du Nabab de Daudet (90) :

« J’ai peur que ce ne soit fait trop vite, mais le sujet est bien fertile. Si j’étais plus jeune et si j’avais de l’argent, je retournerais en Orient pour étudier l’Orient moderne, l’Orient-Isthme de Suez. Un grand livre là-dessus est un de mes vieux rêves. Je voudrais faire un civilisé qui se barbarise et un barbare qui se civilise. Développer ce contraste des deux mondes finissant par se mêler ».

Est-il bien certain qu’enrichi des images et de la documentation recueillies en Afrique du Nord, Flaubert eut situé cette autre « truculente facétie » (91) en Égypte ? Ne suggéra-t-il pas à Feydeau l’idée d’un roman conçu dans le même esprit qu’Harel-Bey, mais où le cadre fut devenu algérien et qu’il eut peut-être entrepris lui-même, si le lui avaient permis le temps et les circonstances ? De toute façon, il engageait son ami alors en « Alger » à tout observer, à se débarrasser de Sylvie : « Fais-nous ensuite un grandissime roman sur l’Algérie… Il y a plus à faire sur ce pays que W. Scott n’a fait sur l’Écosse et un succès non moindre attend ce ou ces livres-là. Telle est mon opinion… » (92)

Nous estimons déceler la preuve que les sujets algériens ne cessaient de préoccuper Flaubert dans le schéma de la Nouvelle ( ? ?) à intituler Casque-en-Cuir, retrouvé sur le Carnet 19, celui des « Plans — idées en l’air ». — « Casque-en-Cuir, femme d’estaminet en Algérie, a reçu du duc d’Aumale cent mille francs, a été épousée par M. de Beaufort. » Le premier emploi de son argent a été d’acheter des ancêtres sur les quais. Il y aurait une belle scène à faire avec ces portraits -— quelque chose (en charge) qui serait le pendant de la scène des Portraits dans Hernani : « Celui-ci m’a coûté 7 fr. 50 ; celui-ci a été découvert chez une fruitière, etc., etc., lequel monologue viendrait après une exhibition solennelle des portraits à Paris, mon grand oncle le Cardinal, mon bisaïeul le commandeur, etc., etc. »

Nul doute que ce récit, dont le sujet savoureux et très couleur locale, provenait vraisemblablement de conversations avec les officiers algériens, ses hôtes, n’eut, tout comme Harel-Bey, fait appel à « l’expérience » du monde nord-africain, acquise par Flaubert au cours du voyage de 1858. Toutefois, au moment où l’écrivain songeait à ces œuvres sur l’ « Orient » moderne, le séduisait aussi la pensée d’un autre grand livre sur « Napoléon III », sur le Paris du Second Empire. Et nous ne connaîtrons jamais ni le « grandissime Harel-Bey », ni le plus modeste Casque-en-Cuir (93).

D. — Flaubert devant les Civilisations et devant l’Homme

Reste à se demander pourquoi Flaubert éprouvait, à propos de « l’Orient », ce goût instinctif, profond, invétéré, que l’on ne peut manquer de juger assez dépravé, voire morbide, puisque l’écrivain s’y manifeste par une joie sadique à dénoncer la contamination fâcheuse des races (94), « la canaillerie immuable et inébranlable » (95) qui, à ses yeux, en constituent le spécifique et séduisant attrait, c’est parce que pareille constatation, faite au cours des deux voyages, satisfait son incurable pessimisme et sa désillusion foncière à l’égard des civilisations. Car ces échecs de l’Europe, à plus ou moins longue, mais sûre échéance, il les note avec un âpre plaisir. Déjà, à Damas (96) : « …Comme ça se civilise ! Que deviendra l’Orient ? Il attend peut-être le Bédouin pour le régénérer ? » Ou encore : « Tout craque ici comme chez nous. Qui vivra s’amusera ! » (97). Puis, en Algérie, les Arabes lui apparaissent, dans leur misère, frappés d’ « une malédiction supérieure : « ça sent le paria ». Heureusement, leur inertie native les sauve et « notre brave civilisation en frémit de rage ».

Du côté européen d’ailleurs, impression aussi désolante au passage en ce nouveau et sinistre centre, dit de colonisation, de Millésimo, où il a, pour son compte et sans qu’il dénonçât expressément le « régime du Sabre », vu seulement « la civilisation par son plus ignoble côté ».

Ne cherchons ici ni à excuser Flaubert ni à discuter des jugements hâtifs et préconçus, hargneux ou agressifs sur lesquels, évidemment, il y aurait bien à redire (98). Prenons-le tel qu’il se montre à nous, tel qu’il est, selon son humeur du moment et sa constante position philosophique. Car c’est précisément cette sincérité qui, toute partiale qu’elle soit, nous intéresse et nous touche, puisqu’elle nous dévoile sans fard ni précautions de plume un tempérament, un esprit, l’homme Flaubert.

Un tempérament avec ses véhémences et autres travers. Un esprit qui ne trouve, en fin de compte, refuge, pour l’auteur de Saint-Antoine, qu’en un amer nihilisme. Mais encore, ne l’oublions pas, un cœur : s’il méprise, en effet, les soi-disant civilisations, il aime l’homme, que ce soient les émigrants pitoyables, le petit colon qui dépérit sur sa concession, l’indigène du Caire, de Tunis ou du bled par lequel, du reste, grâce à la « balle » cordiale de ce roumi , il fut tout de suite adopté en Égypte et familièrement surnommé Abou-Cheneb : le père aux moustaches (99). Aussi bien ne cache-t-il nullement sa sympathie foncière vis-à-vis de ce « vieux peuple arabe » à propos duquel il confiait, le 8 août 1846, à Louise Colet, qu’il « ne se réjouissait nullement des victoires » de l’armée d’Afrique. Et il ne lui déplaît nullement d’aller un jour à Croisset, devant les Goncourt ébaubis, « fouiller dans ses costumes, défroques et souvenirs rapportés des voyages », remuant avec joie tout son vestiaire oriental, et le voilà se costumant et montrant, sous le tarbouch, une tête de Turc magnifique… » (100).

D’une manière générale, Flaubert s’avoue fraternellement curieux de l’homme, « ayant, notera-t-il en Égypte, cette manie de bâtir de suite des livres sur les figures que je rencontre. Une invincible curiosité me fait me demander, malgré moi, quelle peut être la vie du passant que je croise. Je voudrais saisir son métier, son pays, son nom, ce qui l’occupe à cette heure, ce qu’il regrette, ce qu’il espère » (101). Noble aveu de l’ « humanité » du bon Flaubert et qui, en maint endroit de ses Notes, s’exprime encore par les regrets qu’il éprouve à quitter ses hôtes, fût-ce d’un jour. « Adieu. Encore des gens et des lieux que je ne reverrai plus ». écrit-il en, quittant les Costa, à Bizerte. De même qu’à son départ du Caire, l’émotion le prenait à embrasser Raïs Ibrahim pour lui dire adieu et qu’en serrant la main à Lambert-bey, il notait : « Une sympathie quittée » (102).

IV

UN DIMANCHE DE FÉVRIER 1880 ET LE DERNIER APPEL DU  » CIEL BLEU « 

Ainsi, malgré leur elliptique et compréhensible brièveté (103), les Notes de voyage viennent illustrer les divers aspects de la si attachante personnalité que fut Flaubert. Cependant, et en manière de conclusion, l’idée essentielle que nous voudrions dégager de la présente étude, c’est que Flaubert, âme de désir, tiraillé entre deux « patries » : sa Normandie et I’ « Orient », fut, à partir de 1850, une sorte d’ « Oriental » exilé en Europe, « un Oriental dépaysé », comme le définissait Émile Zola. Donc, que s’il avait été contraint, à l’âge mûr, après la leçon de ses deux voyages, de choisir définitivement une retraite, il l’eût élue en quelque endroit du bassin méditerranéen, de ses « rivages du Maure inoubliés ». Qu’il eût ainsi, en y achevant ses jours, réalisé sa vraie destinée, tout comme son compatriote Charles Nicolle, lequel si longtemps directeur de l’Institut Pasteur de Tunis, se considérait « Tunisien » autant que « Français de France » (104). Les bons bourgeois de Rouen ne se méprenaient pas sans doute sur la nature foncière du propriétaire de Croisset, puisqu’on prétend que l’un d’eux, « à qui on demandait son opinion sur « le fi Flaubert », répondit : « C’est un original. Aujourd’hui, il est chez lui, installé bien tranquillement, et le lendemain, il fait ses malles et part pour Carthage… » (105).

Soyons-en persuadés ; s’il en avait eu connaissance, Flaubert se fût enchanté de cette définition d’un homme ainsi jugé par les siens. Sous une forme prud’hommesque, si révélatrice de leur âme provinciale, un tel jugement ne correspondait-il pas également à son propre et intime sentiment ? Aussi bien, un peu avant le voyage à Carthage, ne faisait-il pas déjà, à Mlle Leroyer de Chantepie, une confidence qui nous frappe par l’aveu d’une âme, enfin éclairée sur elle-même et espérant aller jusqu’au bout de ses désirs : « J’ai idée que je retournerai plus tard en Orient, que j’y resterai et que j’y mourrai… » (106).

Il a bien fait une seconde visite « aux pays du soleil », mais si rapide ! Et depuis, les habitudes, la nécessité, la Vie l’ont retenu loin des cieux lumineux et divertissants auxquels il ne pouvait désormais, hélas ! que »réserver le plus secret et le plus profond de sa tendresse ».

Un jour, la Mort est venue le surprendre à sa table de travail. Elle a, d’un seul coup, abattu le grand ouvrier des Lettres. C’était le 8 mai 1880. Or, quelques semaines plus tôt, « l’Orient lançait à son cœur las, sans espoir et cependant inassouvi, une dernière invite : « …Depuis quinze jours, écrit-il à Caroline, à 5 heures d’un dimanche de février, je suis empoigné par l’envie de voir un palmier se détachant sur un ciel bleu et d’entendre claquer un bec de cigogne au haut d’un minaret… Comme cela me ferait du bien au corps et à l’esprit ! Allons ! n’y pensons plus… » (107). Et devenu, lui aussi, une manière de cloporte, il retourne à ses « Deux Cloportes » (108).

Poignant regret, discret et pudique, que nous livre cette lettre presque ultime à la nièce tant aimée. Mais nous sera-t-il permis, au terme de ces pages, d’essayer de communier, une fois de plus, avec la pensée de Flaubert ? De nous demander si, avec son impeccable mémoire visuelle, en parlant d’un « palmier se détachant sur le ciel bleu », il n’évoquait pas précisément ce « palmier qui se découpait sur le ciel bleu », une nuit de lune à Tunis, sur la place de la Casbah ?… Et d’imaginer avec lui, comme autant d’ombres chères ou amies, sous ce palmier authentique. — symbolique aussi, — des fantômes, si exquis dans son souvenir, tous empressés autour du plaisant voyageur : Saint-Foix, Taverne, Rousseau, Davis, Costa, Bogo, Calligaris, Wood, de Krafft… ? Et surtout cette « splendide Rosemberg » aux yeux plus que noirs et extrêmement brillants, quoique langoureux » ; aux « cils comme des éventails » ; aux « sourcils démesurés, en arcs ? » Celle dont la sensuelle, la très vivante beauté remua si profondément Flaubert qu’il nous paraît bien s’être fortement et comme amoureusement inspiré de l’exotique, de l’inoubliable fille sémite, « au pur type Zingaro » pour essayer de ressusciter les traits lointains de la Carthaginoise Salammbô ? (109).

Fin de l’article
Aimé Dupuy

Conférence prononcée à la Société des Amis de Flaubert,
à Rouen, le 19 octobre 1952

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(68) La première partie de cette étude (Conférence prononcée par M. Aimé Dupuy à la Société des Amis de Flaubert, à Rouen, le 19 octobre 1952) a paru dans le Bulletin n° 7. La seconde partie a paru dans le Bulletin n° 8. Il s’agit ici de la troisième et dernière partie.

(69) V. Pierre Martino, sa remarquable étude : Pour le Centenaire de G. Flaubert, Salammbô, d’après quelques publications, parue dans la Revue de l’Afrique du Nord du 1er décembre 1921.

(70) Journal des Goncourt, tome III, 6 mai 1866.

(71) Journal, I, p. 213.

(72) Albert Thibaudet : Gustave Flaubert, 3e éd. 1935.

(73) Lettre à Feydeau, 1857.

(74) Lettre à Feydeau, nuit de mardi, Croisset, 1859.

(75) Lettre à Louis Bouilhet, 25 avril 1858.

(76) À Louis Bouilhet, 25 avril, et Journal des Goncourt, 20 février 1860.

(77) Jean Pommier et Claude Digeon : Du nouveau sur Flaubert, Mercure de France, 1er mai 1952.

(78) Voir au sujet de la genèse de Salammbô et, du rôle qu’aurait tenu Jeanne de Tourbey dans le Voyage en Afrique d’un « amoureux éconduit et malheureux », l’opinion d’Auriant : La Tourbey, in Les Secrets de la Comtesse de Castiglione, 1942.

(79) Souvenirs Littéraires, t. II : « Salammbô… est le livre le plus excessif de Flaubert…, mais c’est celui qui était le plus dans son tempérament, c’est celui où il s’est le pus abandonné sans contrainte, c’est celui sur lequel on le doit apprécier, car il y a mis tous ses défauts et ses qualités… ».

(80) Lettre à Feydeau, 1861.

(81) Dans ses Notes sur le Voyage…, plus haut citées, M. Pierre Martino a cependant bien mis en évidence, à propos du territoire même de Carthage, « les sept prises de vues panoramiques, qu’il faut séparer soigneusement… », rapportées par Flaubert de ses investigations, et qui (lui) « permettrait plus tard de ressaisir à volonté tout le paysage comme une réalité vivante… » Mélanges Vianey… p. 451. — On peut se demander pourquoi Flaubert n’avait point, au cours de son voyage, utilisé les secours de la photographie, puisque, par la suite, — et autrement qu’avec l’aide très rudimentaire de ses notes descriptives et de ses croquis bien imprécis —, il aurait besoin de tous ses souvenirs visuels, si encombrants à classer en sa mémoire.

À défaut d’aptitude particulière pour l’art photographique, il est probable que, parmi les amis qu’il s’était fait à Tunis, Flaubert eût trouvé un collaborateur pour cette partie documentaire de Salammbô. Il écrit d’ailleurs à Feydeau, et dès son retour à Croisset : « Il y a dans la rue Richer, je crois, un photographe qui vend des vues de l’Algérie. Si tu peux me trouver une vue du Medracen (le tombeau des rois Numides), près Alger, et me l’apporter, tu me feras plaisir… « . Mais peut-être Du Camp, au cours du voyage en Orient l’avait-il dégoûté à jamais des prises de vues, avec sa rage photographique ? Ou n’était-ce pas aussi bien une question de « principe » artistique, puisque Flaubert écrivait à Feydeau : Tu manques de principes… » (V. M. J. Durry. op. cit. p. 287).

(82) Gustave Flaubert, op. cit.

(83) Au sujet de la date de ce Ouf ! terminal, « N’y pensons plus ! », p. 321, Ed, Couard, voir A. Blossom : La Correspondance de Flaubert, R.H.L.F., mars 1913.

(84) Journal des Goncourt, t. II, 23 novembre 1863.

(85) Sans compter « Cocher du cirque à Rome ou à Byzance, ou encore Soldat dans les armées des Croisades… », etc.

(86) À Louis Bouilhet, 13 mars 1850.

(87) À Feydeau, 1858. — Voir à ce sujet René Dumesnil, p. XLII de l’Introduction à Salammbô, éd. Belles Lettres : … « l’idée première de Salammbô, c’est l’Afrique qui demeure le personnage essentiel du roman… ».

(88) Louis Bertrand parle « du grotesque violent qui se dégage de cette foule bigarrée » dans son si intuitif chapitre : « l’Orient dans l’œuvre de Flaubert », op. cit. pp. 41 à 87.

(89) Max. Du Camp : Souvenirs Littéraires, t. I, p. 288.

(90) On se souvient que Daudet a situé à Tunis, et non en Égypte, le cadre africain de la fortune de son nabab. Voir à ce sujet : Auriant : François Bravais ou le Nabab, Paris, 1943, notamment pp. 134 sq. — Dans son livre : Louis Bertrand l’Africain, M. Ricord écrit, p. 217 : « Le grand livre sur l’Orient moderne, que Flaubert rêvait d’écrire d’après Salammbô, c’est le romancier du Sang des Races qui nous l’a donné ». Or, M. Ricord reconnaît lui-même, un peu plus loin, p. 205, que dans l’ouvrage de Louis Bertrand, « l’Arabe n’apparaît pas ». Ce qui est exact et qui fait donc apparaître beaucoup plus original le projet, très net, de Flaubert, d’un livre où, au contraire, les « deux mondes s’affronteraient et finiraient par se mêler… ».

(91) C’est ainsi qu’avant le voyage en Tunisie, Flaubert définissait son futur roman à Jules Duplan.

(92) A Feydeau, 1860.

(93) V. M.-J. Durry : Le Carnet 20. Les Romans du Second Empire, op. cit. pp. 253 à 263. Mme Durry situe en 1862 ou 63 le scénario de Casque-en-Cuir.

(94) À Louis Bouilhet, 14 nov. 1850.

(95) Contamination qui est en quelque sorte l’un (les attraits permanents de l’Orient Africain, comme l’a bien vu Louis Bertrand op. cit. p. 37 sq : Si Flaubert a aimé une certaine antiquité, c’est celle dont les races ont été « contaminées par l’Orient. Carthage, Alexandrie, voilà ses villes de prédilection… ».

(96) Voyage en Orient, p. 245, éd. B. L.

(97) À Louis Bouilhet, Athènes, 19 décembre 1850.

(98) Flaubert constate, p. ex. l’échec de l’expérience de Millésimo et tacitement l’attribue à l’Armée qui en fut chargée. Or, dans ce cas précis, il y aurait eu, — ce que Flaubert passant ignorait, — de très réels efforts de colonisation tentés avec des éléments douteux, par un officier fort compétent en matière agricole, le directeur même de la colonie de Millésimo, capitaine Estrabon, lequel est « un ancien cultivateur » (V. plainte du Dr Piron, en faveur de son frère, colon à Millésimo, 27 juillet 1850 (Arch. Nat., F. 80).

(99) Lettre à sa mère, datée du Caire, 5 janvier 1850, Flaubert écrivait : Abou Schenep.

(100) Journal, t. II. 1er novembre 1863.

(101) Comparer avec la confidence, tout aussi révélatrice d’une sensibilité d’écrivain, de Balzac, au début de sa Nouvelle : Facino Cane. — Voyages, t. II, éd. B. L. p. 23.

(102) Voyages, id. p. 176.

(103) Les notes du voyage algéro-tunisien sont en effet réduites à un aide-mémoire sans nul souci d’écriture, alors que pour le voyage précédent, la plupart d’entr’elles, très étoffées de détails et d’un style soigné, sont déjà une œuvre « littéraire ».

(104) V. au sujet de Ch. Nicolle, dont le père fut lui aussi, médecin des Hôpitaux de Rouen, l’intéressante étude de Louis Poinssot : Revue Tunisienne, 1er et 3e trimestre 1941 : Deux lettres inédites de Gustave Flaubert.

(105) V. Ant. Albalat, Gustave Flaubert et ses Amis, p. 114.

(106) Lettre au 12 décembre 1857.

(107) Correspondance, 5e série (lettres à sa nièce Caroline, de 1856 au 2 mai 1880).

(108) On sait que tel était le projet de titre primitif de Bouvard et Pécuchet, ouvrage qui par la suite, devait avoir deux volumes : « au mois de mars (1880), il commença le dernier chapitre du premier volume ; il mourut, sans l’avoir achevé, le 8 mai 1880 ». (Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, p. 402).

(109) De même que, selon la remarque de M. R. Dumesnil. (Introduction aux Trois Contes), rappelée par Mme M.-J. Durry, il « décrira Salomé avec les mots mêmes dont il se servait jadis dans ses notes après sa nuit d’Égypte auprès de Routchouk-Hanem », de même, en effet, le souvenir visuel de Mlle Rosemberg reparaît très précis dans la description des traits et surtout du regard, de la fille d’Hamilcar : v. Salammbô, éd. B. L., p. 35, t. 1… « as-tu vu ses grands yeux sous ses grands sourcils, comme des soleils sous des arcs de triomphe ?… » — ou, t. II, p 43 : … » l’insolence de tes grands yeux tranquilles… » ; — ou encore, p. 53 : … »ses longs cils recourbés faisaient des ombres sur ses joues… ».