Les Amis de Flaubert – Année 1958 – Bulletin n° 12 – Page 42
Expositions Bovary
Cottin, Madeleine, L’Exposition Madame Bovary à la Bibliothèque nationale, p. 42-43
Autour du centenaire de Madame Bovary, p. 44-45
Flaubert à Paris : Exposition Homais à la Salpêtrière, p. 46
Exposition Madame Bovary à la Bibliothèque Nationale, p. 46-47
L’EXPOSITION MADAME BOVARY
à la Bibliothèque Nationale
Le 19 décembre 1957, une exposition s’est ouverte à la Bibliothèque Nationale, pour commémorer le centenaire du grand événement littéraire que fut la publication de Madame Bovary.
La place exceptionnelle que ce livre occupe dans l’histoire des lettres, lui vaut le privilège de faire à lui seul l’objet de cette exposition, à l’exclusion des autres aspects de l’œuvre et de la vie de Flaubert. Mais, ainsi que le précise M. Julien Cain, administrateur général de la Bibliothèque nationale, dans la préface du catalogue : « Ce n’est là qu’un ajournement. Il conviendra d’envisager un jour prochain une vaste exposition qui embrasserait l’ensemble de l’œuvre de Flaubert, et, au-delà de cette œuvre, la période de notre histoire littéraire qui vit le développement du réalisme et son évolution vers le naturalisme ».
Dans cet hommage rendu au grand écrivain, on s’est proposé de faire revivre l’histoire du chef-d’œuvre qui lui valut la célébrité et d’évoquer par le document et par l’image les divers épisodes qui en marquèrent la genèse, depuis ses origines jusqu’à sa publication et au procès retentissant auquel il donna lieu.
Prêté par la Bibliothèque de Rouen, le manuscrit autographe avec ses ébauches et ses brouillons constitue évidemment la relique essentielle de l’Exposition, le témoignage du labeur acharné auquel se livra Flaubert pendant près de cinq années.
Les « sources » les plus diverses attestent les scrupules de conscience de l’écrivain, soucieux, jusque dans les moindres détails, d’exactitude et de vérité. Sa volonté de perfection artistique, la lutte sans merci qu’il livra quotidiennement pour vaincre les difficultés du style et de la composition, sont révélées dans l’abondante et précieuse correspondance qu’il entretint avec ses amis Louis Bouilhet et Maxime Du Camp et surtout avec sa confidente Louise Colet.
Les lieux, réels ou fictifs, où se déroule l’action sont évoqués par un certain nombre d’images : Tôtes, sa hêtrée, son pavillon abandonné ; Rouen et ses divers aspects ; Ry, enfin, où très vite s’installa la légende de Madame Bovary.
À ce propos, on ne peut négliger certain passage d’une lettre de Maxime Du Camp à Flaubert, datée du 23 juillet 1851 : « Que fais-tu ? Que décides-tu ? Que travailles-tu ? Qu’écris-tu ? As-tu pris un parti ? Est-ce toujours Don Juan ? Est-ce l’histoire de Madame Delamarre (sic) qui est bien belle ? ».
Cette allusion est la plus ancienne, semble-t-il, à Delphine Couturier, la jeune et malheureuse épouse de Charles Delamare, officier de santé à Ry.
Mais Emma n’est pas le « daguerréotype » d’une femme unique ; c’est une création de l’art et, par conséquent, un personnage composite où Flaubert a mis d’abord beaucoup de lui-même ; il lui a prêté en outre de nombreux traits physiques ou moraux empruntés aux « inspiratrices » dont on peut voir les portraits : Mme Schlésinger, Edma Roger des Genettes, Louise Pradier, Louise Colet.
Notons au passage une amusante observation faite par Maxime Du Camp à Flaubert au sujet d’un « normandisme » que l’on peut lire encore dans la copie donnée pour l’impression dans la Revue de Paris : « Personne ici, écrit-il, ne comprendra « les pattes rouges des coquillages ». C’est un mot de terroir inconnu à Paris ; si je n’avais redouté tes vengeances, j’aurais mis des homards » (24 septembre 1856).
Parmi les pièces concernant le procès, plusieurs lettres font apparaître avec quel soin Flaubert prépara sa défense ; d’autres ont permis de préciser la date exacte de la première audience, celle où furent prononcés le réquisitoire et la plaidoirie : 29 janvier 1857.
Une vitrine réunit quelques précieux exemplaires de l’édition originale. L’un d’eux porte le touchant hommage : « À ma bonne mère, son vieux compagnon ». Les autres sont dédicacés à des écrivains célèbres : Victor Hugo, Alexandre Dumas, Sainte-Beuve, George Sand, etc.
Les adaptations scéniques auxquelles Madame Bovary donna lieu n’ont pas été oubliées : une documentation illustrée évoque les pièces de théâtre, l’opéra et le film.
Enfin on peut voir dans cette exposition, un choix d’objets personnels, empruntés pour la plupart au Pavillon de Croisset, et quelques bons portraits de l’écrivain.
Madeleine COTTIN.
**
AUTOUR DU CENTENAIRE DE MADAME BOVARY
Le Centenaire de la parution de Madame Bovary continue à faire beaucoup parler de lui. Ne nous en plaignons pas ! Voici quelques références à ce sujet :
I — Paris-Normandie, 23 septembre au 28 septembre 1957 :
Sous la signature de Jehan Le Povremoyne, interview en six chroniques de Mlle Gabrielle Leleu, qui a publié, en 1936, les brouillons du célèbre roman, et en 1947, avec la collaboration de M. Jean Pommier, une Étude sur les Brouillons, les scénarios et le texte de Madame Bovary.
Peut-être eussions-nous aimé qu’on parlât un peu plus de Flaubert et de son œuvre (car c’est, en définitive, de lui qu’il s’agit et non point de ses admirateurs ou critiques), mais on a toujours plaisir à évoquer le grand romancier et le grand roman. Et les confidences recueillies d’une savante exégète sont toujours une belle et profitable leçon de choses.
II. — Les Annales, décembre 1957 :
Sous la signature de Henri Guillemin, cette Revue littéraire dirigée par Félix Ambrière, publie un article de fond sur Madame Bovary et sur la vie littéraire de Gustave Flaubert. Excellent article, contenant de nombreux documents et une illustration copieuse de Flaubert et des siens.
Une seule ombre au tableau ! En première page, et en couverture de la Revue, et en référence : « Delphine Delamare (1822-1848) par Joseph Court. Plusieurs historiens, comme on sait, assurent qu’elle a fourni à Flaubert, le modèle de Madame Bovary… » Or, répétons-le à nouveau, le portrait que beaucoup de Revues ont utilisé est le portrait de Mme Joseph Court (qui se trouve au Musée des Beaux-Arts de Rouen, salle 20) et non pas de Delphine Delamare, née Couturier, qui fut le modèle (ou non) d’Emma Bovary.
Nous avons cru devoir, comme les nombreuses fois précédentes, signaler cette erreur au Directeur des Annales (notre lettre du 6 décembre 1957). Nous avons eu la satisfaction, dans le numéro suivant ( Les Annales , janvier 1958) de voir la rectification souhaitée (page 56), le chroniqueur ajoutant même que nos justes observations « détruisaient une assertion que d’aucuns tenaient pour certaine ».
Nous ne demandons pas autre chose et remercions à nouveau Les Annales de leur aimable courtoisie à l’égard de notre Société.
III. — Paris-Normandie, 11 décembre 1957 :
Sous la signature de Gabriel Reuillard, vivant article sur Maynial, Maupassant et Flaubert. On sait la part prépondérante prise par notre grand et fidèle ami Édouard Maynial dans les études flaubertiennes. M. Maynial, qui enseigna longtemps au Lycée Corneille de Rouen, a publié des ouvrages remarquables sur la Jeunesse de Flaubert et sur la Vie et l’œuvre de Maupassant. La Bibliothèque Municipale de Rouen a, de lui, des manuscrits de grande valeur. Gabriel Reuillard rend un bel hommage au lettré et au professeur, sans oublier le Président des Amis de Maupassant. Et combien a-t-il raison !
IV. — Exposition Madame Bovary à la Bibliothèque Nationale.
15 Décembre 1957-15 Février 1958 :
Par les soins diligents de M. Jacques Suffel, attaché à la Bibliothèque Nationale, et de Mlle Madeleine Cottin, adjointe au Département des Manuscrits, une très intéressante Exposition se rapportant au Centenaire de la parution de Madame Bovary a eu lieu à la Bibliothèque Nationale de Paris, du 15 décembre 1957 au 15 février 1958. Il y a eu 134 documents exposés, dont beaucoup provenaient de Rouen et de Croisset et se rapportant à la vie et à l’œuvre de Flaubert (manuscrits, lettres, encrier, plumes d’oie, etc…). La Société des Amis de Flaubert adresse ses compliments aux savants érudits qui ont permis la réalisation de cette Exposition, et le Bulletin est heureux d’avoir pu reproduire ci-dessus un article de Mlle Madeleine Cottin à ce sujet.
**
FLAUBERT À PARIS
I. — Exposition Homais à la Salpêtrière
Cette affirmation — la pharmacie Homais à la Salpêtrière ! — surprendra bien des flaubertistes qui imaginent la pharmacie Homais demeurée à Ry… ou ailleurs.
Pourtant, je l’ai vue à Paris, cette pharmacie, de mes yeux vue. Il est vrai qu’il s’agit d’une reconstitution, à la Salpêtrière, dans une intéressante exposition ayant pour thème « Claude Bernard et son temps », que « Les Entretiens de Bichat » viennent d’organiser.
Devons-nous souligner avec orgueil, pour nos compatriotes, que cette exposition doit beaucoup au Musée Flaubert de l’Hôtel-Dieu de Rouen pour de nombreuses pièces : des pots de porcelaine blanche en provenance de la pharmacie Jouanne, de Ry (Homais d’Yonville dans le roman) ; des bocaux à sangsues, des mortiers en bois et en marbre, un pilon « porphyre » pour pommade ophtalmique, un pèse-alcool, un microscope d’ivoire, des moules anciens pour suppositoires, une boîte à ventouses, une seringue pour piqûres, ayant appartenu au chirurgien Achille-Cléophas Flaubert, frère de Gustave, etc.
Mais la pièce rare, la plus « spectaculaire », celle sur laquelle de nombreux visiteurs se penchent plus particulièrement, c’est la tête phrénologique ayant appartenu à l’officier de santé Delamare (alias Bovary). II la reçut, selon le romancier, pour sa fête, toute marquée de chiffres jusqu’au thorax et peinte en bleu. Remarqué aussi la copie de l’acte de décès du pauvre mari si aisément berné. De même, surtout, l’exemplaire du Traité du pied bot, par Vincent Duval (1839), avec une dédicace de l’auteur au père du romancier, largement compulsé et annoté en marge par celui-ci.
Nouvel exemple du labeur exemplaire d’un des plus prestigieux ouvriers de la littérature française.
Tout cela est présenté, parmi bien d’autres curiosités qui parlent parfois autant au cœur qu’à l’imagination avec infiniment de goût.
Gabriel REUILLARD.
(« Paris-Normandie », jeudi 3 octobre 1957).
II. — Exposition Madame Bovary à la Bibliothèque Nationale
A côté de l’importante Exposition Baudelaire et à l’occasion du centenaire des Fleurs du Mal, la Bibliothèque Nationale a présenté, le 15 décembre 1957, une Exposition Madame Bovary, à l’occasion du centenaire de la parution du roman.
Par les soins des plus avisés de M. Jacques Suffel, attaché à la Bibliothèque Nationale, et de Mlle Madeleine Cottin, conservateur adjoint, du Département des Manuscrits, la Bibliothèque Nationale a réuni 134 documents puisés aux meilleures sources et du plus haut intérêt.
On se doute —- et c’est tout à notre honneur — que Rouen, aussi bien de sa Bibliothèque municipale que du Pavillon de Croisset, a fourni un nombre important de ces documents et des objets présentés.
On y retrouve, grands ouverts, les fameux Brouillons et Scénarios déposés à la Bibliothèque rouennaise par Mme Franklin-Grout. Voisinent aussi les Mémoires Ludovica, tous les dessins, photos, légendes exposés presque en permanence à Rouen. Mais on y trouve aussi de très précieux documents concernant Achille-Cléophas Flaubert, des lettres (dont une, typique, sur les origines de Madame Bovary) de Maxime Du Camp, venues de la Collection Lovenjoul, de Chantilly ; une très belle photographie de Louise Pradier, des portraits-charge de Flaubert et de Louise Colet, et, d’une manière générale, des éléments de premier ordre sur la genèse, les travaux et le procès du célèbre roman.
L’Exposition Bovary a remporté un grand succès, si grand même qu’elle a été prolongée jusqu’au 15 mars.
La Bibliothèque Nationale avait bien voulu convier la Société des Amis de Flaubert à l’inauguration de l’Exposition. M. Jacques Toutain-Revel représentait la Société, entouré de nombreux amis parisiens.
Mlle Madeleine Cottin, qui avait si heureusement coopéré à la tenue de cette Exposition, a bien voulu nous faire parvenir un article à ce sujet. Nous l’en remercions et publions ci-dessus cet article.