Les Amis de Flaubert – Année 1958 – Bulletin n° 13 – Page 44
Une trouvaille :
La Spirale de Gustave Flaubert
M. E. -W. Fischer, qui a déjà consacré une part de son grand talent à des ouvrages et à des articles sur Flaubert et sur son œuvre, a publié dans la Table Ronde (avril 1958) un très curieux article sur une étude manuscrite de Gustave Flaubert, intitulé La Spirale.
Flaubert, dans les dossiers retrouvés à la Ville Tanit, aussi bien du vivant de sa nièce, Caroline Franklin-Grout, qu’à son décès, avait classé plusieurs projets d’œuvres et de nouvelles qu’il comptait développer après la parution de son dernier roman inachevé, Bouvard et Pécuchet. Dans ces dossiers figure un projet de roman, une ébauche intitulée par Flaubert : La Spirale. II s’agit là d’un document dont le thème de base s’apparente à la Tentation de Saint-Antoine, et où l’écrivain pose en principe qu’à force de recherches, d’études, de réflexions, voire même de prières, on arrive à un état extatique (selon lui) qui s’identifie à la matière, la pénètre et lui donne source de vie. C’est la théorie du panthéisme, en vertu de laquelle les choses s’animent sous le souffle du dieu universel.
Bien entendu, le manuscrit de Flaubert, un simple canevas, est informe, obscur, peu développé. On sent que l’écrivain, en l’une de ses crises nerveuses qui voisinaient l’hallucination (à l’instar d’ailleurs de Saint-Antoine) a voulu, sans plus tarder, coucher sur le papier son idée subite ; mais M. Fischer n’a pas craint (et il a eu raison) d’écrire un excellent article à la fois sur La Spirale et sur l’état hallucinatoire qui atteignait parfois Flaubert dans ses longues rêveries. Le critique écrit en un juste propos, ceci :
« L’état psychique le plus étrange chez Flaubert, c’est l’identification du moi avec l’objet. Il écrit à ce propos : « À force de regarder un caillou, un animal, un tableau, je me suis senti y entrer ».
Cette identification, cette pénétration de l’être humain, et pour reprendre le mot exact, ce panthéisme, sont fréquents chez Gustave Flaubert qui, d’ailleurs, écrivait un jour à Louise Colet (11 août 1846) : « Si je vaux quelque chose, c’est en raison de cette faculté panthéistique ».
En ce qui concerne La Spirale, on semble y déceler (rappelons qu’il ne s’agit là que d’une ébauche), cette idée que toutes les sensations sont à leur base comme des cercles qui se rétrécissent au fur et à mesure que l’on monte par l’imagination et même par l’extase, à la manière d’une spirale jusqu’à la parfaite connaissance, jusqu’à l’absolue lumière. Cette imagination tantôt physiologique, tantôt spirituelle, est indispensable pour monter cette spirale qui, selon Flaubert, conduit au parfait bonheur.
C’est aussi le dernier cri de Saint-Antoine : « Être la matière ! », c’est-à-dire s’identifier à elle, l’animer d’un souffle panthéiste, puis accéder au ciel de la béatitude et du repos éternel.
L’étude de M. E.-W. Fischer est juste et pénétrante. Elle éclaire, selon nous, d’un vrai jour le caractère parfois hallucinatoire de l’œuvre de Flaubert (résultat peut-être de ses crises comitiales) qui, ne l’oublions pas, avait pour l’œuvre de Cervantès, de Shakespeare et surtout de Gœthe (je parle évidemment de son Faust tout diabolique) une admiration sans borne.