Les Amis de Flaubert – Année 1959 – Bulletin n° 15 – Page 47
L’Opinion des autres sur Gustave Flaubert
De J. Barbey d’Aurevilly :
— Personne ne pourra donc persuader à M. Flaubert de ne plus écrire.
**
De Paul Léautaud :
— Quand on songe qu’on dit : un grand écrivain de ce pauvre Flaubert, qui ne fut qu’un ouvrier de style — encore que ce style soit d’une uniformité désespérante et glacée — sans intelligence ni sensibilité !
Arriver à pouvoir écrire comme Flaubert est du reste à la portée de tout le monde.
Paul Léautaud (Journal).
**
De J,-P. Sartre :
— Flaubert qui a tant pesté contre les bourgeois et qui croyait s’être retiré à l’écart de la machine sociale, qu’est-il pour nous, sinon un rentier de talent ?
Et son art minutieux ne suppose-t-il pas le confort de Croisset, la sollicitude d’une mère ou d’une nièce, un régime d’ordre, un commerce prospère, des coupons à toucher régulièrement ?
Situation II, page 12.
**
L’écrivain est en situation dans son époque : chaque parole a des retentissements, chaque silence aussi. Je tiens Flaubert et Goncourt pour responsables de la répression qui suivit la Commune, parce qu’ils n’ont pas écrit une ligne pour l’empêcher.
Situation II, page 13.
**
On regrette l’indifférence de Balzac devant les journées de 48, l’incompréhension apeurée de Flaubert en face de la Commune. On les regrette pour eux. Il y a là quelque chose qu’ils ont manqué pour toujours.
Situation II, pages 12 et 13.
**
L’écrivain est si loin de vouloir du mal à la bourgeoisie qu’il ne lui conteste même pas le droit de gouverner. Bien au contraire, Flaubert le lui reconnut nommément et sa correspondance abonde, après la Commune qui lui fit si grand peur, en injures ignobles contre les ouvriers.
Situation II, page 167.
**
On m’a si souvent reproché d’être injuste pour Flaubert que je ne puis résister au plaisir de citer les textes suivants, que chacun peut vérifier dans la Correspondance :
« Le néo-catholicisme d’une part et le socialisme de l’autre ont abêti la France. Tout se meut entre l’Immaculée Conception et les gamelles ouvrières (1868). Le premier remède serait d’en finir avec le suffrage universel, la honte de l’esprit humain (8 septembre 1871). Je vaux bien vingt électeurs de Croisset (1871).
Je n’ai aucune haine pour les communeux, pour la raison que je ne hais pas les chiens enragés. (Croisset, jeudi, 1871).
Je crois que la foule, le troupeau sera toujours haïssable. Il n’y a d’important qu’un petit groupe d’esprits, toujours les mêmes qui se repassent le flambeau. (Croisset, 8 septembre 1871).
Quant à la Commune qui est train de râler, c’est la dernière manifestation du Moyen Age.
Je hais la démocratie (telle du moins qu’on l’entend en France), c’est-à-dire l’exaltation de la grâce au détriment de la justice, la négation du droit, en un mot l’antisocialité. La Commune réhabilite les assassins. Le peuple est un éternel mineur, et il sera toujours au dernier rang, puisqu’il est le nombre, la masse, l’illimité.
Peu importe que beaucoup de paysans sachent lire et n’écoutent plus leur curé ; mais il importe infiniment que beaucoup d’hommes comme Renan ou Littré puissent vivre et soient écoutés ! Notre salut est maintenant dans une aristocratie légitime. J’entends par là une majorité qui se composera d’autres éléments que de chiffres (1871).
Croyez-vous que si la France, au lieu d’être gouvernée en somme par la foule, était au pouvoir des mandarins, nous en serions là ? Si, au lieu d’avoir voulu éclairer les basses classes, on se fût occupé d’instruire les hautes. (Croisset, mercredi 3 août 1870). Les Amis de Flaubert – Année 1959 – Bulletin n° 15 – Page 47
**
C’est, bien entendu, à titre documentaire que sont publiées les « opinions » ci-dessus.
Il est en effet toujours facile — en extirpant de brèves citations des œuvres célèbres — d’affubler de tel ou tel costume quelqu’auteur que ce soit. Nous ne croyons pas que Flaubert et Balzac, n’en déplaise à J.-P. Sartre, aient haï le peuple.
Pourquoi ne reprocherait-on pas à Lamartine, dont on connaît les sentiments patriotiques, d’avoir écrit — il est vrai en 1841 et en réponse au poème germanophile de Becker — en sa Marseillaise de la Paix, ces vers célèbres :
Déchirez ces drapeaux ; une autre voix vous crie :
L’égoïsme et la haine ont seuls une patrie,
La fraternité n’en a pas !
Ce même Lamartine qui lors des événements de 1848 devait clamer si haut les bienfaits du drapeau tricolore.