Les Amis de Flaubert – Année 1960 – Bulletin n° 16 – Page 30
Flaubert metteur en scène de Mademoiselle Aïssé
de Louis Bouilhet
Un personnage historique
Dans les dernières années du 17e siècle, l’Ambassadeur de France à Constantinople, M. de Ferriol, avait acheté une petite esclave d’origine circassienne. À son retour en France, il la confia à sa belle-sœur pour en faire l’éducation. La jeune fille fut élevée en compagnie des deux fils de sa tutrice, dont l’un, d’Argental, devint l’ami et le correspondant de Voltaire. Jalouse de l’intruse Mme de Ferriol, avec la complicité de sa sœur, Mme de Tencin, attira l’attention du Régent sur sa belle pupille, dans le dessein de mériter ses faveurs. Mais, chez Mme du Deffand, où elle avait été présentée, celle qui avait pris le nom de Mlle Aïssé fit connaissance d’un jeune noble de grand mérite, le chevalier d’Aydie, dont elle partagea la passion. Bientôt naquit une enfant, qui fut élevée secrètement au Couvent de Notre-Dame, à Sens. Bien que le Chevalier lui fût resté fidèle, la jeune mère, spontanément, puis sous l’influence d’une amie plus âgée, prit conscience de sa faute, des risques que sa liaison pouvait faire courir à l’avenir, même à la sécurité de celui en qui le Régent voyait un rival heureux, et elle demanda à se confesser. Sa mort, quelques années plus tard, dénoua une situation douloureuse tant pour son amant, qui respectait d’ailleurs son repentir, que pour elle-même. Alors, le Chevalier se consacra à l’éducation de sa fille, l’adopta publiquement et la maria. Puis, disant adieu à Paris et à ses Salons, il regagna le Périgord et son château natal où, près de sa sœur, il retrouva l’apaisement dans les travaux domestiques.
La pièce de Louis Bouilhet
En composant Mademoiselle Aïssé , Louis Bouilhet ne devait pas conserver un épilogue qui, quelle qu’en fût la grande vérité humaine, paraissait trop prosaïque à un disciple de Hugo : dans son drame, en effet, l’héroïne, pour échapper aux assiduités du Régent et convaincre ainsi son amant incrédule de sa sincérité, s’enfuit dans une petite auberge où celui-ci et d’Argental finissent par la retrouver. Mais, au moment où le coche va emmener les amoureux réconciliés, le Comte de Brécourt, à la tête des émissaires du Régent, vient cerner leur asile et ce n’est que par l’intervention opportune du Commandeur de Malte, qui exige de lui l’accomplissement de ses vœux et son renoncement à sa maîtresse, qui ne va pas y survivre, que le Chevalier est arraché à la vengeance de son Altesse.
Les Lettres de Mademoiselle Aïssé avaient été publiées d’abord en 1787, puis avec une Notice de Sainte-Beuve, en 1846 (1). Enfin, en 1854, un drame éphémère, qui transportait son aventure sur la scène, avait été joué à la Comédie Française. Pour écrire sa pièce, Louis Bouilhet bénéficiait donc de ces sources et de cette tentative, comme de la grande expérience dramatique qu’il avait acquise puisque, mises à part ses comédies, il était déjà l’auteur célèbre de Faustine, de la Conjuration d’Amboise et de Madame de Montarcy. Néanmoins, nous indique M. le chanoine L. Letellier dans la belle thèse qu’il lui a consacrée, Bouilhet, pour donner à ses tableaux plus d’exactitude, consulta méthodiquement les annales du 18e siècle.
Le drame fut terminé en mai 1809 et accepté par l’Odéon, non sans que son Directeur ait exigé des changements auxquels l’auteur se résigna difficilement. D’ailleurs, miné par la maladie et le découragement, celui-ci allait mourir le 18 juillet suivant, sans avoir pu mettre la dernière main à son texte. Retardée par la guerre Franco-Allemande, la première représentation n’eut lieu que le 6 janvier 1872, et dès le 15 février, la pièce disparaissait de l’affiche. À part Théophile Gautier, Théodore de Banville, Charles de la Rounat et Jules Janin, la Presse, dans son ensemble, tout en rendant hommage aux décors, avait trouvé la pièce ennuyeuse. M. le chanoine Letellier attribue cet échec à une composition défectueuse, à des vers parfois faciles, à la psychologie sommaire des personnages, aux libertés prises avec l’histoire et surtout au changement qui s’était produit dans le goût du public dont la faveur allait désormais à la tragédie pseudo-classique de Ponsard, plus encore à la comédie bourgeoise et moralisante d’Augier et de Dumas fils.
La mise en scène de Flaubert
Il suffit d’ouvrir la Correspondance de ces mêmes années 1869-1872 pour constater la part que, dès la mort de son ami, Flaubert prit à la réception de la pièce, au choix de ses interprètes, à ses répétitions, ainsi qu’à la mise en scène et notamment aux costumes : « J’ai travaillé moi-même les costumes au Cabinet des Estampes ».(2). — « À mes moments perdus, je fais de petites recherches dans les livres des Goncourt pour la mise en scène » (3). — « J’ai monté seul, absolument seul, Aïssé » (4).
De cette documentation consciencieuse puisée à la fois dans les Musées et les Bibliothèques, les notes autographes inédites dont nous offrons la primeur aux Amis de Flaubert apportent le témoignage. Et pourtant, c’est dans le même intervalle que Flaubert a fait paraître l’Éducation Sentimentale ; c’est au milieu des épreuves de la guerre et de l’occupation, qu’il a mis en chantier la troisième et dernière version de la Tentation de Saint-Antoine et que, pour honorer la mémoire de l’auteur de Mademoiselle Aïssé, il a recueilli et publié, en les préfaçant, ses Dernières Chansons.
Ces notes se composent 1° d’un feuillet de papier blanc de 22 cm x 15 cm, portant, dans l’angle supérieur gauche, la mention Aïssé ; 2° de trois feuillets in-folio de 22 cm X 17 cm de papier bleu, écrits au recto seulement. Aucun n’est numéroté. La disposition du texte a été respectée.
Mise en scène deMademoiselle Aïssé de Louis Bouilhet
Par Gustave Flaubert
Un salon en 1730. — Panneaux de soie sur les murs, glace surmontée de sirènes, fauteuils lourds à pieds tordus.
(L’Hiver, de Lancret, gravé par J.-P. Lebas).
Chambre à coucher : une délassante = sopha, devant la toilette.
La toilette est une table surmontée d’une glace parée de dentelles et de mousseline, encombrée de fioles, de pots, de tresses et de rubans — brochures çà et là.
(Mercure de France, 1722).
— Cartel en forme de lyre — paravent — coffre aux robes. (La toilette peinte par Baudoin, gravée par Ponce).
Le lever, gravé par Massard.
Costume des Suivantes — petit papillon de dentelles posé sur le haut de la tête, fichu des indes glissant entre les deux seins
— bras nus sortant des dentelles, jupe à falbalas retroussée, gd tablette de linge à bavette sur la poitrine.
(v. Freudeberg pour le Monument du costume physique et moral du 18e siècle. — La Femme de chambre, par Cochin, la jolie femme de chambre, publié chez Avoline.
Découpage. — On découpait surtout des estampes coloriées, puis on les collait sur des cartons, on les vernissait et on en faisait des meubles et des tentures, des espèces de tapisseries, des paravents, des cerceaux.
(Lettres de Mlle Aïssé).
Bals. — Grosses bougies de cire,
dominos, larges, avec des manches à gros nœuds, masques très lourds d’où pendent deux rubans noirs, avec les lèvres blanches.
Les préparatifs du Bal par Detroy, gravé par Beauvarlet.
Usage des tabatières pour les femmes.
Le Rouge de visage très haut en couleur, très exagéré le jour de la Présentation à la cour.
voir les portraits de Nattier où il est éclatant. Et corresp. inédite de Mme Du Deffand
(M. Lévy, 1853).
Esprit général des modes
sous la Régence, Fêtes données par Mme de Tencin au Régent |
allégories mythologiques. Les couleurs que les femmes portent sont celles des Éléments, l’Eau, l’Air, la Terre, le Feu — nymphes, Dianes.(Figures françaises de modes, dessinées par Octavien — Paris 1725). |
Les Iris et les Philis de Troy ont un costume du matin garni de boutonnières en diamants — un bonnet de dentelles à barbes retroussées pliées en triangle — nœuds du ruban du corset en échelle.
La panier importé en France par deux dames anglaises, en 1714, s’exagère de plus en plus.
(Cabinet des Estampes. Hist. de France, vol. 53),
voy. Marché aux paniers, 1719. Satyre sur les cerceaux, Thiboust, 1727.
Galons —
(sous le Système de Law) — avec de l’or d’un seul côté qu’on appela « Galon du système) ;
(après le procès du P. Girard, 1731) — rubans à la Cadière.
Coiffures et vêtements — le glorieux et le Philosophe marié, de Lancret.
Gravé par Dupuis.
Le corsage s’ouvre sur un corps garni d’une échelle de rubans. Au côté, un « fagot de fleurs » — Manchettes de dentelles à 3 rangs — gants jusqu’au coude, étoffe de brocart très chamarrée.
Dans « le grand habit à la française », la robe décolletée et busquée faisait paraître le corps de la femme, isolé, et comme au centre d’une vaste draperie représentée par la jupe — la robe s’ouvrait en triangle sur une robe de dessous.
La femme était coiffée à « la physionomie levée » avec 4 boucles détachées et le confident abattu sur l’oreille gauche — perles aux oreilles et un bandeau de perles sur les cheveux.
Costume de maison pour femmes — bonnet rond, à rubans roses. Sous son manteau de lit de la plus fine étoffe, on aperçoit son corset garni sur le devant et sur toutes les coutures d’une dentelle frisée, mêlée çà et là de touffes de « Soucis d’hanneton ».
« La Fontange » se retrouve partout, enrubanne tous les vêtements.
Canne d’ébène à pomme d’ivoire.
Coiffures basses à partir de 1714.
Les femmes frisées en grosses boucles à l’imitation des hommes. On jette sur les rouleaux une plume, un diamant, un petit bonnet à barbes pendantes.
Costume du coiffeur — veste rouge, culotte noire, bas de soie gris.
Chevalier de Malte
doit porter, après sa profession :
— Sur le côté gauche du manteau, la Croix de toile blanche à 8 pointes qui est le véritable habit de l’ordre. (La croix d’or n’étant qu’un ornement extérieur).
Lorsqu’ils vont à la guerre, ils portent une casaque rouge ornée par devant et par derrière d’une croix pleine).
Le manteau qui se donne à la profession est à bec, de couleur noire, s’attache au cou avec un cordon de soie blanche et noire. Ce manteau a deux manches, longues d’environ une aune, larges par le haut d’un demi-pied environ et se terminant en pointe.
Autrefois, elles se rejetaient sur les épaules et se nouaient ensemble sur les reins.
Histoire générale des Ordres religieux de l’Abbé Banier, t. 1er, 374.
Costumes
Hommes : habit long à taille longue.
le gilet presque aussi long que l’habit descend jusqu’à la moitié de la cuisse.
V. au Cabinet des Estampes 1° dans l’œuvre de Watteau : Watteau et Julien.
2° Lancret — l’adolescence.
V. id. le glorieux dans l’œuvre de Lancret très important.
Le philosophe marié, du même.
V. id. dans la collection de l’Histoire de France.
Régence Ballet donné à Louis XV par le Duc de Bourbon à Chantilly.
Costumes militaires Suisses, pour le 3e acte, voyez uniformes militaires de Montigny — petit volume in-12.
Femmes — robe du matin
voyez Les deux Cousines et l’Île enchantée, dans Watteau.
Gaston Bosquet.
(1) Voir Portraits littéraires, T. III, p. 129-167.
(2) À Mme Régnier, 30 novembre 1871.
(3) À sa nièce, 26 octobre 1871.
(4) À Mme Roger des Genettes, début février 1872. Voir édition Conard, 6e Série, 1869-1872, respectivement p. 313, 299 et 349.