Sur la Mairie d’Yonville-l’Abbaye dans Madame Bovary

Les Amis de Flaubert – Année 1961 – Bulletin n° 19 – Page 64

 

Sur la Mairie d’Yonville-l’Abbaye dans Madame Bovary

 

Question posée par M. Jehan Le Pôvremoyne :

 

G. Flaubert, dans son fameux récit des Comices Agricoles dans Madame Bovary, parle de la Mairie de Yonville-l’Abbaye dont on avait décoré le fronton par des guirlandes de lierre.

Par ailleurs, il a été souvent fait allusion (notamment dans les Documents iconographiques) à une Mairie avec fronton et péristyle telle qu’elle figure dans un tableau de Brispot. Il a été enfin parlé de ce tableau de Brispot qui a ou aurait été déplacé dans d’étranges circonstances et même (dit-on) vendu récemment aux enchères. Qu’en est-il exactement de toute cette histoire ?

Réponse (1). – Flaubert dans son récit des Comices Agricoles de Madame Bovary a effectivement situé la scène célèbre sur la grand’place de Yonville et devant la Mairie. Il a, en quelques lignes, décrit cette Mairie, lui attribuant un fronton et un péristyle grecs. Où a-t-il pris ce site ? Très vraisemblablement à Grand-Couronne, près Rouen où se tint un Comice Agricole, le 18 juillet 1852) et auquel G. Flaubert assista (voir sa Correspondance de l’époque à ce sujet). La Mairie de Grand-Couronne, détruite par bombardement en 1942 (et actuellement reconstruite en moderne), possédait, en effet, en façade, un fronton et un péristyle grecs de belle allure, dont l’écrivain s’est vraisemblablement inspiré lors de sa visite aux Comices de 1852.

 

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Cinquante ans de services, Salon de 1897

 

Fidèle à ce même parrainage, le peintre Henri Brispot qui n’ignorait vraisemblablement pas la chose, a, dans sa toile, reproduit la scène des Comices Agricoles se tenant sur une estrade adossée à la façade d’une Mairie reproduisant exactement celle de Grand-Couronne.

Cette toile a été déposée au Musée de Rouen en 1903 jusqu’en 1930, date à laquelle, dans des circonstances mal déterminées, elle a été envoyée – par ordre de l’État, semble-t-il – au Musée de Lisieux, où elle est encore.

Il est exact qu’en novembre 1960, il a été vendu, à la Salle Drouot, une toile de Brispot, représentant la scène célèbre des Comices Agricoles, mais il ne s’agit que d’une copie (adjugée d’ailleurs seulement 30.000 anciens francs),  l’original étant, comme expliqué ci-dessus, au Musée de Lisieux (2).

Nous ne saurions terminer ce bref exposé sans émettre la suggestion que les pays de Lisieux et de Pont-l’Évêque, qui furent le berceau de la famille maternelle de Gustave Flaubert et où se déroulèrent des Comices Agricoles auxquels l’écrivain adolescent assista certainement, ne sont pas étrangers à la volonté du romancier de décrire dans sa première œuvre l’un de ces Comices. Ce n’est, bien sûr, pas par hasard  que le nom de l’inoubliable conseiller de Préfecture Lieuvain porte le nom de la région : Lieuvin, et que Catherine Leroux, bénéficiaire d’un prix agricole, ressemble à la Félicité d’un Cœur Simple (qui se déroule aussi, d’ailleurs, à Pont-L’Évêque), lesquelles servantes sont bien du type de celles qu’employait la famille Flaubert. L’écrivain qui ne négligeait rien et se servait de tout a vraisemblablement ajouté à la scène voulue avant le déplacement de juillet 1852 à Grand-Couronne ce précieux élément d’une Mairie à la façade néo-grecque : celle vue par lui à Grand-Couronne.

En rejoignant Lisieux, la toile de Brispot a-t-elle rejoint son initial berceau ? La chose est loin d’être impossible ; voulu ou non, ce retour corrobore en lui-même, la thèse que nous croyons utile d’émettre eut ceci, en réponse additionnelle à la question posée.

 

 

(Renseignements communiqués par M. Jacques Toutain-Revel).

(1) Nous avons déjà traité cette question dans le précédent Bulletin 18. Nous la reprenons volontiers aujourd’hui.

(2) On pourra lire à ce sujet de fructueux détails dans le Liberté-Dimanche du dimanche 22 novembre 1960 et du dimanche 11 décembre 1960.