Éditorial : Le Livre de Poche

Les Amis de Flaubert – Année 1964 – Bulletin n° 24 – Page 3

 

Le Livre de Poche

Éditorial

Un record : en dix ans, 75 millions d’exemplaires de « livres de poche » ont été vendus en France.

La palme revient à Choderlos de Laclos, auteur des Liaisons Dangereuses,  avec le chiffre de 224.590 exemplaires. Il est certain que le film du même titre, pourtant différent du texte, mais avec le procès qui a suivi, a contribué largement à sa publicité.

Maupassant, avec trois de ses ouvrages imprimés dans cette collection, vient en cinquième, douzième et treizième positions avec : Une Vie (134.589), Mademoiselle Fifi (86.826) et classement plus surprenant : Boule de Suif, avec 83.701 exemplaires seulement.

Flaubert, avec un seul titre imprimé : Madame Bovary, vient en huitième position avec 123.000 exemplaires.

Ignoré en France, il y a dix ans, le livre de poche a connu rapidement un grand développement, qui semble dû à la commodité de son format, autant qu’à son prix réduit. On le trouve partout, mais surtout dans les bibliothèques de gares où la proportion des ventes doit être la plus élevée. Livre de voyage, qu’on peut perdre ou se débarrasser, sans trop de regret. Les partants pour longs parcours se munissent de journaux, d’hebdomadaires, ou de ces livres de poche, permettant de se distraire et de lutter contre l’inaction.

Les vrais bibliophiles les aiment peu. Mais, nous sommes entrés dans une civilisation d’abondance — (le tirage) — et du bon marché. Il répond à l’une des caractéristiques de notre temps.

On imprime beaucoup de nos jours, trop même. Les gens se plaignent de ne plus trouver le temps de lire, comme ils le voudraient, lentement et à tête reposée. Les nouvelles formes d’expression, et la télévision davantage que la radiodiffusion contrarient sérieusement le temps que nos pères disposaient et consacraient aux bonnes lectures.

Le livre de poche peut paraître regrettable et cependant il est utile, par ailleurs. Parmi les 120.000 personnes qui ont acheté Madame Bovary dans cette collection, combien l’avaient lu précédemment et combien l’auraient acheté sans cette collection à bon marché ? Elle doit cependant avoir ce grand mérite à nos yeux : la culture populaire ou de masse, au gré de chacun, peut faire une incursion dans les ouvrages classiques et aider à découvrir un auteur connu seulement de réputation. Il se peut aussi que le lecteur, touché par un de ces ouvrages, soit tenté d’en connaître d’autres du même romancier. Et ma foi !

André Dubuc.