Les Amis de Flaubert – Année 1965 – Bulletin n° 27 – Page 19
Flaubert et la Rouennaise Amélie Bosquet
Une ardente féministe du siècle dernier tombée maintenant dans l’oubli, une de ces amazones de l’esprit qui lutta avec opiniâtreté par la plume sous le Second Empire, contre les articles du Code civil si défavorables aux femmes et les mettant en vassalité jusqu’à nos jours à l’égard des hommes, Rouennaise d’origine par surcroît, Amélie Bosquet, de son véritable nom, publia la plupart de ses romans, sous le prénom masculin d’Émile, imitant sur ce point seulement George Sand, qu’elle admirait d’ailleurs beaucoup.
Comme la plupart de ces romancières qui eurent alors leur petite heure de célébrité, souvent plus régionale que nationale, elle ne fut pas citée dans les dictionnaires de bibliographie littéraire, ce qui est regrettable puisque maintenant elle est oubliée. Barbey d’Aurevilly ne la mentionna pas dans sa diatribe des « Bas-bleus », ce qui la consola un peu, car elle semble avoir été fort susceptible. Elle était difficilement attaquable, publiant beaucoup pour vivre, mais l’écrivain aigri et hautain de Saint-Sauveur le Vicomte eut sans doute la courtoisie ou la galanterie d’épargner une Normande qui, comme lui, avait abandonné sa province pour se réfugier à Paris, afin d’y trouver la notoriété, à défaut de la gloire. Le silence voulu ou non du Bas-Normand la soulagea. Il est possible aussi que Barbey ait redouté sa réponse, car elle savait relever l’outrage avec une vigueur toute masculine, comme elle le fit un peu à tort avec Flaubert, ayant pensé que son compatriote rouennais qu’elle estimait beaucoup l’avait ridiculisée, ainsi que ses amies, avec les femmes politiques de l’Éducation sentimentale.
Si Amélie Bosquet survit faiblement de nos jours, elle le doit en grande partie à Flaubert, avec lequel elle correspondit durant une dizaine d’années, après son départ de Rouen, mais aussi pour être l’auteur d’un ouvrage encore consulté sur le folklore normand : La Normandie romanesque et merveilleuse, dont le titre romantique exprime bien son époque (1).
Sa ville natale ne lui a pas attribué le nom de l’une de ses rues, ce qui est regrettable, car elle le mérite, et principalement dans ce quartier Martainville, qui fut le sien durant une quarantaine d’années. Personne n’a évoqué mieux qu’elle ce vieux quartier pittoresque et misérable, à l’atmosphère frondeuse, à la vie pénible et sans joie des fileuses de coton de sa jeunesse, dans son Roman des Ouvrières, romantique de tradition, mais suffisamment réaliste pour deviner qu’elle n’eut point besoin de se documenter, traduisant seulement le milieu professionnel et social de sa famille. Oubliée totalement dans sa ville natale, Amélie Bosquet a connu le sort habituel des Rouennais attirés par la capitale, comme les papillons du soir par la lumière d’une lampe.
Elle n’avait que cinq ans de plus que Flaubert, étant née à Rouen, l’année des Cent Jours et de Waterloo. Au terme de la loi, sa mère étant célibataire, elle était enfant naturel. Mais, à sa naissance, elle fut reconnue par son père, qui ne devait pas se marier par la suite avec sa mère Geneviève Fessart, fabricante de rouenneries rue Eau-de-Robec, dans ce même quartier où le Charles Bovary du roman avait sa chambre sous les toits.
Sa mère bénéficiait certainement d’une petite aisance, comme son père d’ailleurs, étant toutefois à la merci d’une des nombreuses crises cotonnières qui éliminaient sans pitié les moins aptes à survivre. Amélie Bosquet est donc née à la fin du Premier Empire et dans ses soubresauts. On se souvenait encore alors du Blocus Continental qui avait privé la seule et importante industrie rouennaise des nécessaires balles de coton venant de la Louisiane. Le tissage de ce qu’on appelait la fabrique de Rouen était encore dans sa forme artisanale et en partie rurale. L’emploi de machines à vapeur amenant la concentration sur le bord des rivières ne survint qu’une vingtaine d’années plus tard. On peut donc admettre que sa mère avait quelques métiers à tisser, avec quelques ouvriers travaillant soit aux pièces, soit à domicile ; qu’elle-même de temps à autre, sinon tous les jours devait pousser la navette, comme la plupart des fabricants de rouenneries de cette époque. La différence sociale entre le patron et l’ouvrier était encore minime. Amélie est donc née dans ce milieu qui n’était pas celui de l’habituelle misère, traînant à l’état endémique dans ce quartier durant tout le siècle, mais pas encore celui de la prospérité florissante des filateurs et des tisseurs des futures décades. Il semble que les mœurs aient toujours été assez volontairement libres dans ce quartier et ce milieu, comme sa naissance en témoigne. Sa mère, Geneviève Fessart, avait perdu la sienne à l’âge de quinze ans et son père, après avoir été laboureur Mesnil-sous-Jumièges devait mourir en 1829, à Paris, étant devenu marchand de légumes.
Amélie fut donc marquée dès sa naissance par ce sort étrange, qui dut !a frapper intimement et qui donne une explication possible à son comportement dans la vie. Elle fut donc déclarée à l’état civil cinq jours seulement après sa naissance, par un chirurgien, accompagné « du sieur Jean-Jacques Bosquet, aussi non marié (comme sa mère, bien entendu), teinturier, rue Préfontaine, originaire de Condé-sur-Noireau… mais qui a déclaré être le père du dit enfant et qui le reconnaît pour tel… ». Enfant naturel reconnu seulement par son père, elle s’appela Bosquet et non Fessart, dès sa naissance. Elle eut une sœur utérine sept ans plus tard, Zélie Fessart, qui ne fut pas reconnue par son père, mais dont l’un des témoins à sa déclaration semble avoir été l’oncle paternel d’Amélie. Elle eut aussi un frère agnat Jacques-Aimé Bosquet, né à Paris en 1821, la même année que Flaubert, qui fut aussi élève du Lycée Corneille de Rouen, en même temps que lui. Il devint commissaire en rouenneries, fit fortune au Venezuela dans son commerce, s’installa ensuite près de Mantes. Il devait mourir cinq ans avant Amélie. Aimé Bosquet, dans son âge mûr fut tenté par la poésie. Il fit imprimer des pièces en vers sur Madame Bovary et Salammbô, manquant d’élan poétique : rimeur plus que poète. Ainsi donc Amélie Bosquet eut un demi-frère par son père, qu’elle put connaître à la succession de celui-ci et une demi-sœur par sa mère, avec qui elle fut élevée. Ces anomalies sociales, que l’on dissimule habituellement par pudeur familiale ont dû laisser des traces profondes et jouer sur son comportement habituel. Elles expliquent sans doute sa tardive révolte féminine, qu’elle affirma nettement dès son arrivée à Paris, moins contre l’organisation familiale elle-même que contre certains articles du Code civil qui infériorisaient la condition féminine par rapport à celle des hommes.
De telles singularités familiales n’ont pas encore suffi. Alors que ses filles avaient quatorze et sept ans, leur mère se maria avec Pierre Goujon, plus âgé qu’elle, également fabricant de rouenneries. Dans la légalité, elle n’eut plus d’enfants. Sa sœur Zélie se maria en 1844, avec Narcisse Letellier, mécanicien pour machines textiles, dont elle eut trois enfants qui furent les héritiers naturels d’Amélie, en 1904. Ils eurent à se partager ses papiers et ses livres et sans doute ses Mémoires qu’elle dut écrire à la fondation Galigliani, demeurées manuscrits et que nous n’avons pas eu la bonne fortune de retrouver.
Trois semaines après le mariage de sa sœur, sa mère et son mari adoptèrent pour leurs filles Amélie et Zélie devant le tribunal civil. Il faut donc admettre que Jean-Jacques Bosquet était décédé à cette date. Si bien qu’à l’âge de vingt-neuf ans, tout en étant demeurée célibataire, elle aurait pu porter trois noms de famille différents, cas plutôt rare. Son acte de décès ne fait pas mention de cette reconnaissance. Pierre Goujon mourut en 1858. Il était encore manufacturier en textile, rue Préfontaine ; sa mère, quatre années plus tard. Elle s’était retirée avec sa fille aînée à Rouen, sur la place de la Pucelle. Amélie fut pour ses parents, fidèle et dévouée. C’est seulement l’année suivante de sa mort qu’elle partit pour Paris, afin de tenter sa chance. Il semble donc que ces deux filles eurent finalement une vie matérielle plus heureuse qu’on aurait pu le supposer avec leur enfance mouvementée, au regard des lois. L’une et l’autre, analysant leur vie ont dû penser aux bizarreries de l’existence et, sur un enfant aussi douée qu’Amélie, la marquer profondément, justifiant sans doute le caractère pointilleux de sa vie intellectuelle consacrée à l’émancipation de la femme (2).
Quoique Rouennais tous deux, Flaubert ne fit que tardivement la connaissance d’Amélie Bosquet et seulement en 1858, deux ans après la publication de Madame Bovary. Elle avait alors quarante-trois ans et Gustave trente-sept. Il la rencontra par hasard, la première fois, à la Bibliothèque Municipale de Rouen, alors installée, comme le Musée de Peinture, au second étage de l’Hôtel de Ville. Le conservateur était André Pottier, directeur de la Revue de Rouen et l’un des spécialistes de la faïence de Rouen. Il semble qu’il avait pris Amélie sous sa protection ; il a dû l’inciter à composer et à publier La Normandie merveilleuse et romanesque qui demeure, surtout pour la Haute-Normandie, le livre classique des coutumes populaires.
Flaubert, toujours tendre et chevaleresque quand il écrit aux femmes qui entrent dans ses vues lui a rappelé les circonstances de cette rencontre : « J’irai jeudi prochain à la bibliothèque, où je verrai votre vieil ami (André Pottier). Vous souvient-il que c’est là l’endroit de notre première entrevue. On a apporté des mirlitons. Le sucre en poudre faisait une moustache blanche à votre joli bec. Vous étiez charmante à vous donner envie de vous croquer comme les gâteaux… ». Amélie méritait-elle cet éloge ? Nous n’avons d’elle que son portrait peint à quatorze ans par Parelle. Elle devait alors être élancée et de grande taille. Ce n’était point une beauté fulgurante, mais son visage, son regard et sa coiffure romantique dénotent une femme qui ne peut guère passer inaperçue, aux yeux des hommes en quête d’affection. Elle s’apparente avec la silhouette de la jeune George Sand. On comprend que Flaubert ait été ému et ait vainement cherché à la courtiser. Vingt-cinq ans plus tard, selon diverses opinions, elle se serait fortement empâtée et son embonpoint était prononcé. Elle répond cependant bien au type de la Cauchoise, grande, à la poitrine opulente, aux appâts desquels les Normands de bonne lignée ne résistent guère, et l’on comprend que Flaubert ait tant cherché à lui faire tourner la tête. Elle était l’une des femmes les plus cultivées de Rouen et aussi des plus vertueuses, ce qui pouvait contraster, pour Flaubert, avec une autre belle célèbre, Louise Colet. On a aussi avancé que des amis lui auraient conseillé de l’épouser. Il leur aurait répondu qu’il ne voulait pas que personne puisse avoir des droits dans son bureau. Un passage d’une lettre d’Amélie ne laisse aucun doute sur les sentiments intimes qu’elle éprouvait à l’égard de Flaubert. Il semble que l’un et l’autre, fortement épris de liberté, n’auraient point été heureux. Gustave aurait souffert pour son œuvre littéraire et Amélie pour la cause sacrée du féminisme. Leurs regards réciproques ont été plus faibles que leur intellectualité et surtout leurs idéaux différents.
Jusqu’à la Troisième République, il n’existait pas à Rouen de véritables écoles d’instruction pour les jeunes filles ; seulement des maisons d’éducation visant davantage à la connaissance des belles et bonnes manières, ce qui paraissait suffisant pour la société bourgeoise d’alors. La mère d’Amélie, fabricante de rouenneries, avait cru bon d’envoyer sa fille dans l’une des institutions les mieux cotées de la ville : chez les sœurs Chevallier, qui avaient leur légende, et dont l’établissement se trouvait installé dans un ancien hôtel Louis XV, devenu aujourd’hui la Maison des Jeunes.
Une des sœurs Chevallier en imposait particulièrement par la grandeur de son passé royaliste ; elle avait été arrêtée comme noble, avait échappé de peu à la guillotine. Ce souvenir en imposait parmi les classes aisées et enrichies. Libérée, ruinée, elle avait ensuite fondé et dirigé avec l’une de ses sœurs cadettes cette maison d’éducation pour les jeunes filles de l’ancienne noblesse et de la nouvelle bourgeoisie, non reconnue par la loi, mais tolérée et en quelque sorte discrètement par l’Archevêque qui ne manquait pas de la visiter ostensiblement chaque année, lui donnant ainsi une consécration de fait. Ces demoiselles Chevallier apprenaient les manières et les grâces un peu dépassées du XVIIIe siècle. Amélie Bosquet a longuement raconté cet épisode de sa vie, la seule partie de ses mémoires qui furent publiées sous le titre d’Une écolière sous la Restauration (3).
Malgré tout, sa condition familiale devait trancher avec celle de ses camarades de pension. Elle y fut longtemps demi-pensionnaire et en sortit à l’âge de quatorze ans. Elle y avait perdu la foi catholique qui était cependant le principal des buts recherchés par cette institution et ne devait pas la retrouver au cours de sa longue vie. Elle devint par la suite féministe ardente, voltairienne paisible, foncièrement républicaine sous le Second Empire et vaguement socialiste. Elle fut l’une des meilleures élèves de cette maison d’éducation, au point que la demoiselle Chevallier implora sa mère de la laisser une année de plus, tant elle tranchait du petit ensemble par son intelligence et son esprit. Elle commença à écrire fort jeune, puisqu’elle publia à vingt-quatre ans, dans la Revue de Rouen, à ses débuts, quelques légendes sur Bonsecours (4). À trente ans, elle fit paraître la Normandie romanesque et merveilleuse, le seul de ses ouvrages qui lui survit. Elle collabora avec Raymond Bordeaux, avocat à Évreux, à la Normandie Monumentale, écrivant la partie consacrée à la Haute-Normandie. Elle fut en quelque sorte une historienne régionale et non sans valeur. Elle chercha davantage par la suite sa voie dans la littérature, en publiant des nouvelles dans la Revue de Rouen, publiant Rosemonde, un roman de caractère historique, dans la même veine que ceux de Walter Scott, alors très à la mode et par conséquent romantique. Tous ses romans, par la suite devaient être publiés sous le prénom masculin d’Émile, conservant toutefois son nom, ce qui lui fut dit-on imposé par son éditeur pour certains, et une erreur de celui-ci pour d’autres (5). Il semble que, vivant chez ses parents, la littérature fut pour elle une sorte de délassement. Nous savons qu’elle écrivit à Rouen : Louise Meunier, Une femme bien élevée, Jacqueline Vardon, ce dernier titre étant le nom de sa grand-mère paternelle, originaire de Condé-sur-Noireau, faisant partir son roman, de Jumièges dont sa mère était originaire, pour Une passion en province. Ses romans ont alors la région rouennaise pour cadre. Elle les publia en feuilleton dans divers journaux et même à la Revue de Paris, ce qui prouve que son talent était reconnu. Maxime du Camp, l’un des directeurs, lui écrivit en octobre 1856 : « …Votre nouvelle modifiée a été acceptée sans discussion et nous la ferons paraître, aussitôt que cela nous sera possible… Nous publions maintenant un long roman d’un de vos compatriotes, de M. Gustave Flaubert… » (6). Il s’agit de Madame Bovary. Sa nouvelle ne put paraître qu’après une autre de Laurent Pichat. Elle fut rétribuée 100 francs-or, la feuille de huit pages. Comme elle ne connaissait pas encore Gustave Flaubert, il est impossible d’admettre son influence auprès de Maxime du Camp. Ses romans nous apparaissent aujourd’hui un peu vieillots par leur composition et leur style. Elle était fort bonne observatrice, mais beaucoup moins réaliste que Flaubert, par pudeur féminine sans doute et par tempérament : elle était une jeune fille de famille et tenait à le montrer. Il reste chez elle un fond d’idéalisme qui l’apparente à George Sand. C’est plus tard, quand elle fut définitivement installée à Paris qu’elle fut une bourgeoise révoltée contre la condition juridique faite à la femme par les articles du Code Civil. Son esprit anti-bourgeois est foncièrement, différent de celui de Flaubert. Si elle fut une ardente féministe, elle ne réclama jamais le droit au suffrage universel pour les femmes. Son style est agréable, souvent attachant, il s’est même amélioré avec l’âge : la partie publiée de ses mémoires : Une écolière sous la Restauration est même écrite dans une langue ferme et classique, qui ne déparerait pas une anthologie.
Sa mère mourut en 1862, ses conditions matérielles se trouvèrent sans doute modifiées par le partage avec sa sœur. L’année suivante, pensant sans doute qu’on ne pouvait réussir dans la littérature qu’à Paris, si l’on n’est point suffisamment fortunée, elle quitta Rouen, y revenant sans doute une ou deux fois chaque année, mais elle regretta sa ville natale, écrivant à ses amis Noël (7), demeurés rouennais : « Les petites rivières de Rouen tiennent une grande place dans mes souvenirs. J’habitais sur l’Eau de Robec. Ma mère avait une propriété sur l’Aubette. Toutes nos heures de flâneries s’étaient passées dans les faubourgs de Saint-Hilaire et de Martainville. Si j’habitais encore Rouen, je regretterais le temps où ses coteaux étaient couverts de genêts et de joncs marins. En sortant de la ville, on entrait tout de suite dans la vraie campagne, dans la grande nature. Il est vrai qu’au milieu de sa beauté, il s’en dégageait une impression mélancolique, dont j’ai trop souvent ressenti l’influence » : l’ennui persistant des romantiques désœuvrés. Devenue parisienne, elle allait passer ses vacances, à Cambremer, chez l’une de ses amies, Mme Fourneaux. Son départ pour la capitale lui fut-il finalement bénéfique ? Le critique Champfleury lui écrivait en 1861 : « Nous parlions dernièrement de vous avec Flaubert et tous deux nous nous trouvions d’accord. Si votre destinée vous avait amenée à Paris plus tôt, et quoique la vie littéraire soit si pénible et pour les femmes encore plus que les hommes, vous auriez joué un rôle que je vous engage à ne pas regretter. Vivant tranquille à Rouen, indépendante, écrivant à vos heures et à votre fantaisie, sans vouloir faire de votre plume un métier, vous enfouissez dans une dame les meurtrissures de la vie de province. Vous faites partie de ce groupe d’intelligences normandes qui, depuis quelques années, occupent le Paris libre » (8). Champfleury, comme Flaubert, lui manifestait son erreur d’avoir laissé la province. Grâce à Jules Levallois, autre rouennais, qui fut secrétaire de Sainte-Beuve, elle connut Adolphe Guéroult (9), originaire de l’Eure, dont l’épouse, Anaïs était également rouennaise. Il dirigeait l’Opinion Nationale. Il était un ancien Saint-Simonien et sa femme une ardente féministe. Ce couple normand fut de ses meilleurs amis parisiens, avec la famille d’Élysée Reclus. Ces fréquentations la campent mieux. On comprend que quatre de ses romans aient d’abord paru en feuilleton dans le journal de Guéroult avant d’être repris dans des journaux régionaux et même belges. Plusieurs ne furent pas édités en volumes. Le Journal de Rouen, à qui elle adressait parfois des articles de critique littéraire (10), en publia un en feuilleton : Le facteur de Saint-Sylvain, en 1868. Elle a dû également tenir, dans l’Opinion Nationale, une chronique féminine audacieuse pour l’époque. Elle bénéficiait de la sympathie des critiques parisiens pour la sincérité de ses convictions. Jules Levallois devait lui écrire après la publication de son Roman des Ouvrières, en 1867 : « Quand il a fait de son mieux, un écrivain a fait ce qu’il devait et il faut qu’on le laisse. Aussi bien n’en pourrait-il faire un autre. Allez donc demander de l’idéal à notre ami Gustave (Flaubert) ! Chacun pense avec son cerveau et c’est un reproche injuste que d’opposer ce qu’on aurait pensé soi-même sur le même sujet ? »
Ce roman rappelle le quartier Martainville et la vie pénible et avilissante des ouvrières du textile, où misère et prostitution se complétaient. Elle l’a vue plus que personnellement ressentie, mais de l’autre côté, comme derrière une vitre, de celui du petit patronat, souvent issu de la classe ouvrière, par le travail et la chance, auquel sa mère appartenait, mais encore si proche de l’artisanat plutôt que du prolétariat. Sa présence à l’institution Chevallier témoigne du désir de sa mère, de permettre à ses filles une probable ascension sociale, avec une éducation réservée à la noblesse et à la grande bourgeoisie. Sa révolte tient peut-être de la différence de son milieu familial avec ses camarades de l’Institution et des manières plus ou moins hypocrites pour mieux réussir dans le monde. Ayant vécu dans ce milieu textile affligeant, elle a pensé à une moralisation possible, à une sorte de paternalisme. Aucune autre romancière n’a mieux exprimé qu’elle ce misérable quartier Martainville dont elle était sortie. Eugène Noël lui écrivit à ce propos : « Vous serez vivement attaquée, à Rouen surtout, vous y serez et vous serez aussi partout chaleureusement défendue » (11). Les personnages de son roman ne sont d’ailleurs pas fictifs. Son féminisme ne fut pas excentrique. Elle s’efforça de faire valoir les droits de la femme et de l’égalité des sexes : ce qu’elle avait ardemment souhaité s’est lentement réalisé. Elle accepta pour cela de se conduire comme une Vestale d’une cause sacrée. Pouvons-nous le lui reprocher ou au contraire l’admirer pour la grandeur de son sacrifice ?
Elle a connu Flaubert en 1858. Elle est allée ensuite à Croisset et y fut fort bien reçue, aussi bien par sa mère que par sa nièce Caroline. On a même avancé qu’au besoin, elle était institutrice et qu’elle aurait donné des leçons particulières à Caroline, ce qui paraît erroné. Lorsqu’elle eut laissé Rouen, Flaubert qui regretta son départ, lui écrivit une trentaine de lettres. Amélie, sur les conseils d’Alfred Darcel, en fit don à la bibliothèque de Rouen. La bibliothèque Lovenjoul de Chantilly, conserve une dizaine de lettres qu’elle lui a écrites. Ont-elles été toutes conservées ? C’est fort douteux. Flaubert aimait écrire aux femmes qu’il estimait. En 1865, il écrira d’elle à sa nièce Caroline : « Je l’ai trouvée rayonnante. Elle rajeunit et flamboie ». Il n’y eut pas de liaison sentimentale entre eux ; la faute n’en revient pas à Flaubert, mais plutôt à Amélie ; l’amour platonique les frôla. Aucun homme aujourd’hui, n’oserait clore une lettre à une femme d’une cinquantaine d’années, par cette formule bien équivoque sur les intentions de Flaubert : « Vous savez bien que présentement, je songe beaucoup à vos yeux et à votre joli cou que je baise à droite et à gauche, en vous serrant les deux mains plus affectueusement que respectueusement ». Toutes ses lettres écrites avant 1866 ont de semblables formules terminales, ce qui, même chez Flaubert, est un indice sur ses sentiments.
Il lui a écrit à cœur ouvert des lettres qui, d’ailleurs, ne la laissent pas insensible. Lorsque Louise Colet publia son livre vengeur sur Flaubert, Amélie Bosquet lui demanda son opinion et en grand seigneur, il lui répondit : « Ma liaison avec Mme C. n’a laissé aucune blessure dans l’acceptation sentimentale et profonde du mot. C’est plutôt le souvenir (et encore maintenant la sensation) d’une invitation très longue. Son livre a été le bouquet final de la chose. Joignez à cela les commentaires, questions, plaisanteries, allusions dont je suis l’objet depuis la publication de la dite œuvre. Quand j’ai vu que vous aussi vous vous en mêliez, j’ai un peu perdu patience, je l’avoue, parce qu’en public, je fais bonne figure… » et sur la même lettre, il lui ajoute avec une verve et une intention visible : « Pourquoi aussi plaisantez-vous ? Pourquoi faisiez-vous comme les autres ? Car on a sur moi, une opinion toute faite et que rien ne déracinera… à savoir : que je n’ai aucune espèce de sentiment, que je suis un farceur, un coureur de filles (une sorte de Paul de Koch romantique), quelque chose entre le Bohème et le Pédant, quelques-uns même prétendent que j’ai l’air d’un ivrogne, etc, etc. » Il lui ajoute une sorte d’examen de conscience : « Je crois être, cependant, ni un hypocrite, ni un poseur. N’importe, on se méprend toujours sur moi, à qui la faute, à moi, sans doute ? Je suis plus élégiaque qu’on ne le croit, mais je porte la prudence de mes cinq pieds huit pouces ». Le Normand qu’il est, est toujours vigilant et le romantique impénitent qu’il demeure, son autre double ajoute : « Je suis encore timide comme un adolescent et capable de conserver dans des tiroirs des bouquets fanés. J’ai, dans ma jeunesse, démesurément aimé, aimé sans retour, profondément, silencieusement, nuits passées à regarder la lune, projets d’enlèvements et de voyages en Italie, rêves de gloire pour elle, tortures du corps et de l’âme, spasmes à l’odeur d’une épaule et pâleurs subites sous un regard, j’ai connu tout cela et très bien connu. Chacun de nous a, dans le cœur, une chambre royale. Je l’ai murée, mais elle n’est pas détruite ». On retrouve ainsi une allusion discrète à Mme Schlesinger. Il éprouve une confiance à s’exprimer ainsi à Amélie et il termine sa lettre par un aveu qui ne laisse aucune illusion, mais qui ne fut pas relevé par la destinatrice : « Et puis, il arrive un âge où l’on a peur, peur de tout, d’une liaison, d’une entrave, d’un dérangement. On a à la fois soif et épouvante du bonheur. Est-ce vrai ? Il serait pourtant si facile de passer la vie d’une manière tolérable ! Mais on cherche les sentiments tranchés, excessifs, tandis que le complexe, le grisâtre est seul praticable ». Lorsque Félix Frank (12) donna sa conférence en 1886 sur Flaubert, elle lui envoya une note : « Malgré ce qu’il y a de tendre et d’un peu épris dans les lettres que Gustave Flaubert m’a adressées et leur liberté d’expression à vrai dire, il ne m’a jamais, suivant la vieille expression « fait la cour » et je n’ai jamais désiré qu’il me la fît (voulu au lieu de désiré, serait vraisemblablement dans la vérité historique). En outre, tous ses amis savent que, du jour où il s’est livré entièrement à la vie littéraire, à partir de la publication de Madame Bovary, il eût redouté jusqu’au point le plus extrême, tout lien qui eût mis une entrave à son travail. Pourtant, nos conversations étaient fort animées, et il nous est arrivé, bien des fois, de causer deux ou trois heures en tête à tête. Mais l’ivresse qui s’emparait de nous, était toute intellectuelle et, si je juge de ce qui se passait en lui par ce que j’éprouvais moi-même, je dirai que cette flamme qui nous montait au cerveau absorbait complètement toutes les puissances de notre être » (13). Amélie tenait à défendre sa réputation de femme et ce rideau voulu de brouillard sur le sens profond de leurs sentiments était valable en 1886, mais ne le serait plus guère maintenant.
Les lettres d’Amélie à Flaubert conservées à Chantilly sont bien différentes de tonalité. Elles expriment une réserve parfois gênée et souvent hésitante. Comme Flaubert l’avait ironisée de son manque d’expérience pour décrire véritablement les passions dans ses romans, il lui avait écrit : « Si vous aviez un peu moins de cette vertu — dont vous me paraissez très fière, vous seriez plus forte en psychologie masculine, et vous sauriez, ma belle amie, que nos facultés ne sont pas à commandement et que la littérature ne remplace pas tout — c’est-à-dire ne tient pas lieu du reste, mais vous l’avez, vous, le reste aussi ! » Mise en verve, par cette attaque directe, elle lui répondit : « Non, je ne suis pas si fière de ma sagesse, en un mot de la vertu pure. À mon âge (elle a alors cinquante ans), il y a mille raisons pour une femme d’être sage et il y en a une bonne de ne l’être point. Que voulez-vous ? J’ai le tort d’être raisonnable, mais je reconnais qu’une femme qui a de la raison est un être manqué… » Quel aveu de part et d’autre et quelle résonance pour le sens de leur amitié véritable ! Une amitié blanche, certes, mais qui aurait pu devenir facilement une liaison, si Amélie l’avait osée.
Comme à l’égard de Louise Colet il lui prodigua des conseils purement littéraires. Il lui écrivit : « J’ai fini de lire votre Louise Meunier dont je suis de plus en plus content. Ne perdez pas courage, persévérez ! Sur Jacqueline Vardon, paru seulement en feuilleton : « Je trouve que vous vous lâchez beaucoup sous le rapport de l’écriture. Vous étiez plus sévère autrefois quand
vous lisiez de meilleure littérature et que vous n’imprimiez pas. Il me semble que Paris vous perd ». Une autre fois, il lui conseilla : « Prenez garde, vous allez prendre la maladie parisienne de la célébrité. Pensez donc à vos livres et à votre style et à rien de plus… J’entends par travailler, lutter contre les difficultés et ne laisser une œuvre que lorsqu’on n’y voit plus rien à faire. Vous vous êtes complètement suffisamment préoccupée du vrai, mais pas assez du beau et je m’indigne comme la dernière fois quand je vous entends me parler de talents de XXIIIe ordre. Acharnez-vous donc sur les classiques, sucez-les jusqu’à la moelle, lisez rien de médiocre comme littérature, emplissez-vous la mémoire de statues et de tableaux et regardez surtout, regardez au-delà du peuple : c’est un horizon borné et transitoire. Ah ! quel livre écrit que le Roman des Ouvrières, avec un peu plus de patience et de considérations. Ne sentez-vous pas qu’il y a là-dedans des choses excellentes à côté de choses poncives ». Comme pour s’excuser : « Si vous aviez songé davantage à l’harmonie du livre, le disparate entre le jeune premier, personnage convenu et votre ouvrière, personnage vrai n’eût pas existé. C’est parce que je fais un très grand cas de votre esprit que je vous dis toutes ces vérités ». La différence essentielle entre le réalisme et le naturalisme s’inscrit dans cette remarque : « En quoi, dans le domaine de l’art, Messieurs les ouvriers sont-ils plus intéressants que les autres hommes ? Je vois maintenant chez tous les romanciers une tendance à représenter la caste comme quelque chose d’essentiel : cela peut être très spirituel ou très démocratique. Mais avec ce parti pris on se prive de l’élément éternel : c’est-à-dire de la généralité humaine… C’est une chicane que je vous cherche pour vous engager à faire sortir votre muse des classes pauvres. Il faut représenter les passions et non plaider pour des partis… » Elle lui avait aussi écrit que les deux seuls jugements qui comptaient pour elle, sur la valeur de ses romans étaient celui d’André Pottier et le sien. Pottier représentait pour elle le lettré qui l’avait aidée à ses débuts et Flaubert l’écrivain indiscuté et encore plus difficile pour lui que pour les autres.
Il dut y avoir une légère brouille entre eux, mais de courte durée. Il semble que des lettres adressées à Flaubert ont dû être supprimées. Elle chercha une réconciliation : « Faut-il maintenant vous faire une confession de femme. Eh bien ! J’ai été flattée aussi que vous pensiez encore à m’embrasser. Je craignais que George Sand ne m’eût tout à fait chassée de votre pensée. On dit que vous l’avez gardée quinze jours à Croisset et les imaginations brodent là-dessus. On suppose qu’il s’est passé des choses, mais des choses. Peut-être en invente-t-on plus encore que vous en avez réalisées. Enfin, on est persuadé que vous l’avez bien traitée et l’on trouve qu’elle est revenue avec des yeux allongés, le visage un peu tombé et l’humeur un peu guillerette. Pour ma part, je ne crois rien et je ne nie rien, mais je suis persuadée seulement que de cette rencontre de Mâtho avec Lélia, il sera sorti bien des théories sur l’art et des dissertations poétiques ». Elle termine d’ailleurs sa lettre par : « Croyez à ma plus tendre amitié ». L’ironie souriante de cette lettre dissimule mal une jalousie féminine. Il semble qu’Amélie Bosquet avait pour Flaubert une sorte d’affection qui dépassait légèrement ce que l’on convient d’appeler l’amour platonique (14).
Quelques semaines plus tard, étant en vacances comme chaque année à Cambremer, elle lui écrivit encore cette sorte d’appel : « Écrivez-moi un mot de souvenir, je vous prie, si court soit-il. Dans ma vie un peu solitaire de la campagne, ce sera une assurance de votre amitié reconquise à laquelle je me donne du meilleur de mon cœur ». Nous devons toucher avec les lettres de cette époque au cœur du problème sentimental dont la cause que nous pressentons n’est pas écrite ou peut-être a été volontairement supprimée par Amélie, lorsqu’elle offrit les lettres de Flaubert à la bibliothèque de Rouen. Telle est du moins notre impression. Ainsi, on trouve avec ses lettres, le besoin et le désir de renouer son amitié qui semble lui faire défaut. Sommes-nous si loin, pour ces deux enfants de l’époque romantique, de la pensée véritable et inexprimée du Lac ou de la tristesse d’Olympio ? Amélie Bosquet s’est guindée dans une réserve hautaine, par pudeur féminine peut-être, telle qu’on la concevait à cette époque, ou par volonté d’affranchissement et de liberté d’action. Par elle, nous touchons au problème des « Cérébrales » selon l’expression de Colette Yver. Voici donc deux êtres passionnés de littérature, originaires de la même ville, ayant subi de mêmes réflexes, s’admirant réciproquement, l’un avouant son attirance physique, l’autre son admiration intellectuelle qui, peu à peu, vont se séparer l’un de l’autre. Flaubert est trop détaché de l’actualité ; Amélie est au contraire attirée par l’amélioration juridique de la condition féminine. Il fallait des amazones et des martyres physiques pour cette nouvelle foi conquérante. Elle préféra sans doute souffrir dans son cœur, que renier le sens intellectuel de son action militante.
Leur correspondance s’arrêta en 1869. Amélie fut vexée par l’Éducation Sentimentale. Crut-elle se reconnaître dans ce passage de Flaubert ? « Elle était une de ces célibataires parisiennes qui, chaque soir, quand elles ont donné leurs leçons ou tâché de vendre de petits dessins, de placer de pauvres manuscrits, (c’est nous qui soulignons à dessein) entrent chez elles avec de la crotte à leurs jupons, font leur dîner, le mangent toutes seules, puis les pieds sur une chaufferette, rêvent un amour, une famille, un foyer, la fortune, tout ce qui leur manque… » Le tableau ne manque pas de ressemblance avec la vie solitaire d’Amélie à Paris. Elle se tut sur ce point, mais elle releva avec humeur, un autre passage : « L’affranchissement du prolétaire, selon la Vatnaz, n’était possible que par l’affranchissement de la femme. Elle voulait son admissibilité à tous les emplois, la recherche de la paternité, un autre code, l’abolition ou tout au moins une réglementation du mariage plus intelligente. Alors, chaque Française serait tenue d’épouser un Français ou d’épouser un vieillard. Il fallait que les nourrices et les accoucheuses fussent des fonctionnaires salariés par l’État ; qu’il y eût un jury pour examiner les œuvres de femmes, des éditeurs spéciaux pour les femmes, tout pour les femmes ». Quiconque a lu leurs lettres réciproques, est assez fondé à penser que Flaubert ait songé en écrivant ces phrases, à un des à-côtés d’Amélie, qui continuait politiquement la pensée féminine de 1848. Amélie Bosquet avait de sérieuses raisons de se croire caricaturée. En plus des romans qu’elle écrivit, dont la plupart parurent au feuilleton dans les journaux, elle donna de nombreux articles, contre les articles du code civil napoléonien défavorables aux femmes, ainsi que des critiques théâtrales dans Le Droit des Femmes, l’un des premiers journaux féministes, dirigé cependant par un homme, dans lequel on découvre de nombreuses collaborations féminines comme Desraimes, Minck, mais aussi masculines comme Jules Levallois, un autre Rouennais (15). Ce journal féministe combattait l’Empire et était vaguement d’inspiration socialiste. Elle publia donc les deux articles qu’elle consacra à l’Éducation Sentimentale dans cet hebdomadaire (16), où sa colère est mal contenue et elle envoya deux lettres à Flaubert : « Mon cher ami, je viens d’achever la lecture de l’Éducation Sentimentale. J’ai retrouvé là tout ce que je connais et que j’aime de votre talent et même de votre caractère. Je vous avoue cependant que je préfère de beaucoup le second volume au premier. Quant à votre système littéraire, je crois qu’il est bon pour vous parce qu’il convient à votre nature intime ; mais je ne conseillerai à personne de l’imiter ; je suis persuadé qu’avec tout autre que vous, il n’aurait pas le moindre succès : il faut, pour le faire valoir, votre supériorité d’écrivain et d’observateur. Vous avez donné un rôle bien humilié à la femme qui défend ses droits ; mais nous le relèverons, il est déjà relevé.
Mes félicitations affectueuses » (17). Quinze jours plus tard, elle lui écrivit encore : « Je vous envoie le numéro du Droit des femmes où paraît mon premier article sur l’Éducation Sentimentale. Cet article n’est pas aimable, je l’avoue ; mais je n’ai pu le faire autrement ; ma pensée en se développant s’est imposée à moi. Par devoir d’amitié, j’aurais dû m’abstenir, d’ailleurs, personne n’y aurait perdu. Mais, j’ai pensé que vous me taxeriez d’ingratitude si j’écrivais cette critique et de lâcheté si je ne l’écrivais pas. L’alternative était embarrassante. À vous de dire si j’ai bien ou mal choisi. Mille amitiés ». Cette dernière lettre ne manque ni de panache, ni de sincérité et surtout de la part d’Amélie, un vif souci de préserver leur amitié réciproque.
Flaubert ne lui répondit pas ; il prit l’affaire de haut, ce qu’il faut regretter. L’un et l’autre étaient susceptibles et cette querelle purement littéraire devait les séparer. Nous connaissons l’opinion de Gustave, grâce à une lettre qu’il écrivit à Alfred Darcel (18). « Je vous assure qu’il n’y a aucune exagération. Tout cela a été imprimé en 1848. En fait de bas-bleu, j’ai connu la fleur du panier qui ne ressemblait pas du tout à la Vatnaz. Il en est une de notre connaissance intime, que j’ai servi le plus possible, pour qui j’ai couru, que j’ai défendu contre vous et qui a jugé à propos : 1° de m’écrire deux lettres fort aigres où il n’est pas plus question d’art que de géométrie et 2° de me vitupérer violemment dans la Voix des Femmes (19). Mais le sacerdoce avant tout… que l’ombre d’Eugénie Nibozet la bénisse ! » Leur sacerdoce était différent et ne pouvait se comprendre ! Il semble qu’Amélie avait le caractère fier et court (20). Un de ses meilleurs amis, Félix Frank lui écrivait en 1877 : « Vous êtes dure pour vos amis, lorsque vous êtes contrariée ». La rupture entre les deux amis était faite. Pourtant Amélie s’était efforcée par ses lettres de ménager l’avenir et nous sommes personnellement porté à lui donner raison dans cette querelle. Six ans après la mort de Flaubert, Félix Frank qui connaissait l’un et l’autre, écrivait à ce propos : « En vain, essayai-je spontanément lié avec l’amie de Flaubert directement et par ma famille d’opérer une réconciliation si désirable et qu’on devait juger facile, en arguant des immunités de la critique et en lui représentant qu’un homme de sa force avait tort de se formaliser pour cela. Il me répondit gravement, obstinément, qu’entre gens unis d’affection, il ne concevait pas un tel procédé, qu’il déclara hostile. Je déplorai l’exagération, de ce point de vue, mais je n’y pus rien changer. Pourtant, vers la fin de sa vie, les amis, brouillés depuis longtemps, se retrouvèrent face à face dans une rue de Paris ; par un bon mouvement, on ne s’évita point. On se prit les mains, on causa et l’on promit de se revoir. Hélas ! Il n’y eut plus de rencontre, car la mort guettait Flaubert, qui semblait si éloigné d’elle ».
Ainsi devait se terminer cette amitié autant humaine que littéraire. Flaubert avait été surpris de la voir prendre la parole au cours des premiers meetings de protestation républicaine organisés au Vauxhall, à Paris. Elle s’en expliqua et lui écrivit : « Oui, j’ai parlé, sans préméditation, c’est-à-dire qu’un orateur m’impatientant, je lui ai lancé une interruption qui courut tous les journaux et qui m’a valu des applaudissements comme si j’eusse été Adélina Patti… J’ai cru mon honneur engagé à faire un discours complet à la séance suivante, mais cette fois j’avais mon manuscrit. À vous dire vrai, je cédais à la tentation de dire aux ouvriers tout ce que j’avais sur le cœur contre eux relativement aux ouvrières. J’ai fait un discours à me faire casser les os ; mais aussi soigné comme forme que j’en étais capable…, je n’ai parlé qu’une seule fois : pour la liberté du travail des femmes.. Voici l’histoire de mes imprudences ; nous allions à ces premières réunions du Vauxhall, à dix ou douze personnes de la même société, tous les Reclus et le cercle d’André Léo ; on se montait la tête et voilà ». Chaque fois elle essayait de conserver l’amitié de Flaubert terminant sa réponse : « J’espère, mon cher ami, que ce n’est pas ce péché démocratique qui vous empêche de venir me voir, quant à moi, votre aristocratie ne m’empêche pas d’avoir pour vous la plus sincère affection ». Tous les deux étaient fiers (21). L’un, détaché de la vie quotidienne ne pensait qu’à l’art ; l’autre, au contraire, écrivant articles et romans pour vivre, pensait à l’amélioration sociale, surtout à celle des femmes. Dans leur séparation de dix ans, elle put songer à une phrase des lettres de Gustave : « Un romancier, selon moi, n’a pas le droit de dire son avis sur les choses de ce monde. Il doit, dans sa vocation, imiter Dieu dans la sienne, c’est-à-dire faire et se taire ». Nous trouvons sans doute dans cette remarque la différence essentielle de leurs caractères et de leur comportement.
Sur le conseil d’Alfred Darcel, elle offrit en 1892, à la bibliothèque municipale de Rouen, un ensemble de lettres qu’elle avait reçues et en particulier celles de Flaubert. En même temps, elle envoya au Musée des Beaux Arts son portrait peint par Parelle, alors qu’elle avait quatorze ans, et dont nous donnons la reproduction. Elle écrivit alors à Eugène Noël, l’ami de Michelet et des Reclus, directeur de cette bibliothèque, à propos de la liberté d’expression amoureuse de Flaubert : « Assurément, ceux qui me compromettraient dans leur pensée feraient un jugement absolument téméraire ». Nous le pensons volontiers. Une cause contribua insinueusement à leur séparation : le féminisme militant d’Amélie. Une autre par contre les rapprochait : leur origine rouennaise. C’est à elle qu’il écrivit : « Ce pauvre Rouen, comme vous y songez n’est-ce pas ? Il en est toujours ainsi. Les choses dans l’éloignement seules sont les belles. Pays et amours peut-être ? »
Que de sous-entendus et que d’aveux dans cette phrase ! Flaubert et Amélie Bosquet aimaient à leur manière leur ville natale. Parmi les femmes éprises de littérature qui furent ses correspondantes, elle fut la seule d’origine rouennaise. Leurs conceptions politiques divergeaient : elles furent aussi l’une des principales causes de leur séparation. Gustave se montra plus fier qu’elle. Le pessimisme de l’un, l’optimisme généreux de l’autre auraient pu cependant s’épauler. Était-elle la femme qui aurait pu le soutenir dans le désastre financier de ses dernières années ? Probablement. Mais le hasard qui conditionne si souvent les destinées humaines, les favorise ou les gêne, n’a pas joué en leur faveur. Elle devait mourir vingt-quatre années après lui, dans une maison de retraite de Neuilly.
Nous n’avons pas cherché à les réconcilier, mais seulement à les présenter, côte à côte, plutôt que face à face, dans le brouhaha d’une ville industrielle et commerciale, qui les méconnut, les oublia en partie et dont ils connaissaient cependant mieux que beaucoup d’autres les multiples aspects : l’un ayant servi l’art éternel, l’autre l’éternel féminin.
André Dubuc.
(1) La Normandie romanesque et merveilleuse (traditions, légendes et superstitions populaires de cette province) (Paris, 1845, Taschener, 520 pages).
(2) Amélie Bosquet, née à Rouen le 1er juin 1815 (état civil, naissances, n° 1143), fille de Geneviève Constance Fessart, née en 1791, à Mesnil-sous-Jumièges, fabricante de textile, demeurant rue Eau-de-Robec, n° 102, reconnue à sa naissance par Jean-Jacques Bosquet, teinturier, rue Préfontaine, n° 34, né à Condé-sur-Noireau en 1786. Leurs parents étaient cultivateurs. Sa mère s’est mariée à Rouen, le 8 octobre 1829 avec Pierre Goujon, fabricant de rouenneries, qui mourut le 10 février 1858. Sa mère mourut le 1er mai 1862. Elle eut une demi-sœur, Zélie Fessart, née le 18 février 1822, qui se maria le 4 janvier 1844 à Narcisse Letellier, dont elle eut trois enfants. Ces deux filles furent adoptées par acte du tribunal civil de Rouen, du 24 janvier 1844, acte que nous n’avons pu retrouver aux Arch. Dép., le registre n’existant plus. Amélie eut un frère agnat, Jacques Aimé Bosquet, né à Paris le 24 mai 1821, fils de J.J. Bosquet et de Adélaïde Lylia Antoinette Thirion, décédé au Grand Mélier, près de Mantes (S.etO.), le 27 octobre 1899. Il fut élève du Lycée Corneille de Rouen et y connut Flaubert et Bouilhet. Pendant les dernières années de sa vie, J.A. Bosquet a publié au Journal de Mantes une gazette rimée sur l’actualité. Il est l’auteur de deux plaquettes en vers sur Madame Bovary et Salammbô. Il mourut célibataire. Sa légataire universelle fut une demoiselle Thirion, une nièce du côté de sa mère probablement, demeurant à Montmorency. Il semble qu’il ait peu fréquenté sa sœur Amélie, s’ils se sont même connus.
Amélie Bosquet est décédée le 28 mars 1904 à la fondation Galigliani, boulevard Bineau, n° 53, à Neuilly-sur-Seine (reg. 1904, n° 173). L’acte comporte une erreur, la disant fille de Jean-Jacques Bosquet, ce qui est exact, et de Marie Vardon, son épouse, ce qui est faux. Vardon est le nom de jeune fille de sa grand-mère maternelle.
(3) Revue bleue (21 août 1897, n° 8, 4e série, tome VIII, p. 225) : Une écolière sous la Restauration (fragments de mémoires inédits). Pour Amélie Bosquet, Mlle Chevallier avait 60 ans et ressemblait à Mme de Longueville, gravée par Montellé. Les élèves étaient habillées de laine noire et portaient constamment un bonnet de lingerie. Les maîtresses portaient un voile de crêpe sur leur bonnet blanc. C’était une sorte de communauté enseignante appelée les « sœurs de la retraite ». « L’Institution périclitait et A. B. écrit d’elle : « J’étais l’enfant, élève programme, qui soutenait encore un peu la renommée du pensionnat ».
(4) Amélie Bosquet a commencé par publier des articles et des romans dans la revue de Rouen, dirigée par André Pottier. En 1839, une nouvelle : Maria, en 1841 et 1842, des traditions populaires normandes et une critique du salon des Beaux-Arts de Rouen. En 1844, un proverbe : Tout est bien qui finit bien et la critique de la Normandie de Jules Janin en 1845 ; une critique des études morales et politiques du Baron d’Haussez et une poésie ; en 1846, un roman, Rosemonde ; en 1847, Madame de Longueville ; en 1848, Une femme nulle. En 1852, elle collabora à la Normandie illustrée (textes de Raymond Bordeaux d’Évreux et d’Amélie. Bosquet, sous la direction de A. Pottier, pour la Haute-Normandie. (Nantes, Charpentier, 2 vol.). Elle a surtout écrit des romans pour feuilleton dans les journaux, dont peu ont été publiés en volumes : Une passion en province (Bruxelles, Méline), Louise Meunier et une femme bien élevée (Paris, Faure, 1867) ; Jacqueline Vardon ; le roman des ouvrières (Paris, Faure, 1868) ; Les trois prétendants (Paris, Sartorius, 1874) ; Une villégiature (Paris, Didier, 1877) ; Entre deux trains (Paris, Chaix, 1887). Elle a dû aussi écrire une histoire de France, d’esprit radical, dont nous n’avons retrouvé aucune trace. À Paris, elle a longuement collaboré au Droit des Femmes notamment : La femme et le code (15-22-30 janvier 1870) ; Exposé des motifs sur le code civil proposé par Léon Richer et Amélie Bosquet concernant les articles 148 , 213, 214, 340, 373, 1449, 1536, 1538 (5 mars 1870) ; Progrès de la cause des femmes (12 mars 1870) ; La femme et le code (1er mai 1870 et 5 juin 1870, 10 juillet 1870). Dans l’Avenir des femmes qui lui succéda : La femme et le code (1er et 15 octobre 1871). Le 24 juillet 1870, elle fut désignée membre du comité directeur des droits des femmes.
(5) Noté dans le Droit des Femmes (5 juin 1870), sous la signature de Léon Richer : « On nous a demandé plusieurs fois ce que signifie la double signature Amélie Bosquet (Émile Bosquet) que l’on voit souvent figurer dans ce journal. Amélie Bosquet est le vrai nom de notre collaborateur, sous lequel elle a publié en province plusieurs ouvrages d’archéologie et d’histoire locale. Émile Bosquet est le pseudonyme qui lui a été imposé lorsqu’elle a fait sa première publication dans la presse parisienne… C’est pour mieux connaître son identité dans le Droit des Femmes que Mlle A. Bosquet y signe ses articles de ses deux noms littéraires ».
(6) Bib. mun. de Rouen : lettres adressées à Amélie Bosquet.
(7) Les lettres d’Amélie Bosquet à la famille Noël ont été données à M. Robert Delamare, ancien journaliste rouennais. Il en a donné quelques extraits dans la Dépêche de Rouen des 8, 30 novembre et 5 décembre 1934. Une copie de ces sept lettres est maintenant au dossier d’Amélie Bosquet à la Bibl. mun. de Rouen (92 N).
(8) Bibl. mun. de Rouen. Ms Lettre de Champfleury à Amélie Bosquet (23 sept. 1861).
(9) Adolphe Guéroult (1810-72), originaire de l’Eure, ardent Saint-Simonien, fut correspondant en Espagne et en Italie du Journal des Débats, puis fondateur de l’Opinion Nationale en 1859, quotidien, journal politique, qui dura de 1859 à 1876. « C’était un journal bien fait, on y sentait la vie et le mouvement ». Sa femme, Anaïs Guéroult, d’origine rouennaise, était selon les notes d’Amélie Bosquet jointes aux lettres qu’elle reçut : « un caractère charmant, un esprit piquant, enthousiaste et gracieux. Son mariage, contracté dans la jeunesse, avait été une union de Saint-Simonien. Elle formait avec Jules Levallois le comité consultatif de lecture chargé de juger les romans présentés à l’Opinion Nationale. C’est à leur bienveillance à tous deux que j’ai dû les premières publications à Paris de mes romans feuilletons. Ce fut G. Guéroult, leur fils aîné, qui lut et accepta Un faux père, le quatrième de mes romans publiés dans ce journal ». C’est dans le journal de Guéroult que Flaubert publia le 24 janvier 1862, la réponse à Frœhner.
(10) Une de ses chroniques sur un roman des Goncourt, René Mauperin, parue dans le Journal de Rouen, faillit valoir un procès à ce journal. Elle disait que les auteurs avaient pris pour modèle du prêtre qui figure dans le roman l’abbé C…, vicaire de la Madeleine de Rouen. M. G. C…, « frère de ce curé, menaça le J. de R. d’un procès et Émile Bosquet d’un duel ; quand il sut qu’il y avait empêchement de mon côté, il se retourna vers les Goncourt, tout s’arrangea à l’amiable », notes de A. B. (bibl. mun. de Rouen, Ms mm 7).
(11) Lettre d’Eugène Noël (11 février 1866) à Amélie Bosquet, sur le Roman des Ouvrières : « C’est un cri parti du cœur d’une femme. Vous avez été inspirée par la pitié, que les pauvres vous sont bien connus et que vous serez bénie pour les avoir fait connaître à tous. Vous serez vivement attaquée à Rouen surtout. Mais vous y serez et vous serez partout chaleureusement défendue. Ne vous étonnez point de ma joie d’un tel livre. Je suis fils, gendre, mari, parent à tous les degrés, d’ouvriers, d’ouvrières et de paysans. J’ai vu de près le régime des ateliers et quand j’y pense tout mon sang bout… » (Bib. mun. de Rouen. Ms mm 7).
(12) Parelle J.B., né et mort àRouen (1790-1837) peintre de genre et élève de Gros.
(12) Félix Frank, d’origine bretonne, ancien chef de bureau et contrôleur principal des finances à la Préfecture de la Seine, ancien élève du Lycée Corneille de Rouen en même temps que le Dr Merry-Delabost et Sabatier, journaliste et ami de Flaubert. Il a donné une conférence à Paris le 22 novembre 1886 (séances de la Nouvelle Gaule), sur Flaubert, qu’il a repris en article dans la Revue générale (1er mai 1887, n° 84). Il a publié plusieurs recueils de poésie.
(13) Amélie Bosquet devait être coléreuse, pointilleuse et jalouse à froid : « Elle écrivait aux Noël (31 décembre 1878) : « Car vous saurez que j’ai des colères violentes, mais qu’elles sont longues » et bibl. de Chantilly (fonds Flaubert). Lettre d’Amélie Bosquet à Flaubert (14 déc. 1866).
(14) Amélie Bosquet dans la critique théâtrale d’Antony, de Dumas fils (Droit des Femmes, 20 nov 1869) donne son opinion personnelle : « La jalousie dans les excès qui dépassent les justes susceptibilités d’une tendresse délicate est encore un effet du despotisme de lointaines amours. Sur ce terrain, la femme est quelquefois l’émule de l’homme. Cependant quand elle est entraînée à des actes violents, c’est moins par la jalousie que par les détresses de l’abandon. Au reste que l’on appartienne à un sexe ou à l’autre, c’est une obligation de soumettre ses passions aux règles de la justice. Pour cela il suffit de se rappeler qu’il n’y a point d’autre droit naturel en amour, que de se faire aimer par les moyens persuasifs ou de refuser son cœur à qui ne vous offre pas une digne réciprocité ».
(15) Evelyne Sullerot, dans son ouvrage La presse féminine (col. Kiosque, Paris, A. Colin) page 31 : « Accueilli par un formidable éclat de rire, le Droit des Femmes eut des objectifs précis, un retentissement considérable et compta à son actif des résultats solides sur lesquels on ne revint jamais. Il lutta pour les droits civils des Françaises, demanda le rétablissement du divorce, la recherche en paternité, la possibilité pour les femmes de se présenter au baccalauréat, de devenir médecins et avocates ».
(16) Les deux articles d’Amélie Bosquet sur l’Éducation Sentimentale ont paru dans notre dernier numéro (mai 1965).
(17) Les deux dernières lettres d’Amélie Bosquet à Flaubert et concernant l’Éducation Sentimentale sont du 23 nov. et du 11 déc. 1869.
(18) Bibl. mun. de Rouen : lettre de Flaubert à Darcel (15 déc. 1868) : « On me remet à l’instant seulement votre analyse de l’Éducation Sentimentale parue dans le Journal de Rouen, il y a douze jours. Quand j’ai eu fini de le lire, mon cri intérieur a été : « Ah ! enfin ! en voilà un qui me fait des reproches justes ». « Vous êtes le seul, oui, le seul (selon moi) qui ait trouvé le défaut capital du livre… Mon livre est pris généralement à rebours. Mais dans peu de temps, il paraîtra tout simple ».
(19) Flaubert a commis une erreur en écrivant la Voix des Femmes ; il s’agit du Droit des Femmes.
(20) Amélie Bosquet écrivait, le 9 juin 1892, à A. Darcel : « Ensuite, il y a un petit billet où, répondant à une question indiscrète que je lui avais faite sur ses rapports avec Georges Sand, il me dit : « La littérature n’y suffit pas, il y faut autre chose, mais vous, vous avez tout » ; ce vous avez tout est un peu comprometteur pour moi ? Assurément, ceux qui me compromettaient dans leur pensée feraient un jugement absolument téméraire. Peut-être, cependant, pour ne pas donner prise à la malice, supprimerais-je le petit billet, si cette phrase flatteuse pour mon amour-propre ne me vengeait pas de Barbey d’Aurevilly. Si vous trouvez qu’il vaut mieux qu’il soit supprimé, ôtez-le… » Dans une autre lettre adressée à Eugène Noël et non à Darcel (15 juin 1892) ; elle demeurait alors (17, rue de la Clef, à Paris), elle écrit ; « Félix Frank ayant eu dessein de faire un article critique sur G. Fl., avait été demander à cette dame (Mme Commanville) la permission de citer ces lettres (de Fl.) en tout ou partie. Mme Commanville lui a refusé cette permission. C’est alors qu’il a fait une conférence qui, depuis, a été imprimée dans une revue, où il a pour ainsi dire haché les lettres qu’il voulait analyser, pour en mettre les fragments sous les yeux du public. Mme Commanville ne lui a point cherché querelle, peut-être parce que cette revue dans laquelle la publication avait eu lieu avait peu de lecteurs. Avant la demande de M. Félix Frank, M. Commanville ignorait que des lettres de G. Fl. m eussent été adressées ».
(21) Amélie Bosquet était susceptible. Elle se retira de la rédaction de l’Avenir des Femmes qui avait succédé au Droit des Femmes, n° du 14 octobre 1871 : « Mes convictions ne me permettent pas de suivre la ligne de conduite que vous avez adoptée ; conséquemment, je donne aussi ma démission de membre du comité de l’association des femmes. Je reste simple sociétaire et votre amie, si vous voulez bien mettre, comme moi, tous les intérêts et opinions de côté en faveur de l’amitié » (lettre à Léon Richer). Dans celui du 29 octobre 1871 : « Les termes vagues de la démission de Mme Bosquet ont suscité des interprétations erronées ». Le 5 novembre 1871, Amélie Bosquet regrette que la pétition adressée à l’Assemblée Nationale ait seulement été signée de Léon Richer et que son nom n’ait pas été ajouté. Le 12 novembre 1871 elle désapprouve la participation de Mme André Léo aux événements de la Commune et qu’elle écrive maintenant dans l’Avenir des Femmes. Léon Richer lui répond énergiquement : « Mme Bosquet, qui a refusé de signer purement et simplement avec moi le projet de loi publié dans notre dernier numéro, me met en demeure aujourd’hui de lui restituer la propriété d’un travail qui lui appartient, dit-elle. Il est parfaitement vrai que le travail de rédaction est en grande partie d’elle, mais l’idée première est de moi. Le nom de Mme Bosquet n’a d’ailleurs été enlevé qu’à la dernière heure, au moment du tirage, parce qu’elle nous a mis dans la nécessité de le faire ».