Les Amis de Flaubert – Année 1966 – Bulletin n° 29 – Page 12
Les Bourlet de la Vallée et les Flaubert.
Lorsqu’on relate l’existence de toute une famille, on se heurte inévitablement à une série de dates de naissances, de mariages, de décès qui alourdissent les narrations, surtout si pour certains membres, ces dates retrouvées dans les registres de l’état civil, sont les seuls renseignements recueillis. On tombe alors dans une énumération fastidieuse qu’il est nécessaire néanmoins d’endurer.
Il en est ainsi, tout au moins au début, pour ces pages évoquant les Bourlet de la Vallée, vieille famille havraise qui, vers 1830, voyait un de ses rameaux se détacher d’elle et se rendre à Rouen pour tenter d’y faire souche et s’y développer.
Les Bourlet de la Vallée : arbre généalogique
Alexandre, Guillaume B. de la V. |
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Alexandre, Denis B. de la V. |
Étienne, Guillaume B. de la V. |
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Jean, Adrien B. de la V. né |
Marie, Victoire B. de la V. (1809-38) |
Pierre, Michel, |
Marthe, Étienne B. de la V. (1825-81)
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Pierre, Étienne B. de la V. |
Quatre enfants |
Un enfant |
Alexandre. Pierre, Étienne B. de la V. Négociant |
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Cinq enfants |
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Le chef de ce groupe qui délaissait le bord de la mer pour les rives de la Seine, avait vu mourir au Havre son père Alexandre, Guillaume, le 23 juin 1786 ; son épouse Marguerite Catherine, fille du capitaine de navire Fleury, le 7 janvier 1818 ; enfin sa mère née Cudorge Anne, Marthe, le 6 mars 1822. Alors, il avait rassemblé autour de lui ses deux fils, sa fille et son gendre, et s’était rendu dans la capitale normande où il se fixa 42, rue Malpalu. Il se nommait Bourlet de la Vallée Alexandre, Denis, né au Havre le 22 février 1780, n’exerçant aucune profession et ne se reconnaissant que l’état de propriétaire. Il est vrai que sa vue lui donnait de grands soucis et il devait devenir aveugle quelques années plus tard lorsqu’il se remaria, le 6 février 1839. Il épousait une descendante des célèbres peintres rouennais : les Jouvenet. Née à Rouen dans la paroisse Saint-Vivien le 5 janvier 1779, elle se nommait Godebin Félicité, rentière 3, grande-rue de l’Avalasse et était la fille de Pierre, Étienne et de Jouvenet Marie-Madeleine. Fière de sa descendance, la nouvelle épousée prit pour témoin Pierre, Hermel, Mulot, professeur de dessin, qui se voulait un peu artiste peintre, tandis que les deux fils Bourlet de la Vallée assistaient leur père aveugle
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Le cadet, Jean, Adrien, était lui aussi né au Havre le 1er janvier 1811. Reçu avocat, il devint agréé près du Tribunal de Commerce de Rouen. Comme bien des jeunes gens, Adrien fréquenta le milieu artistique et littéraire de la ville. Membre de la Société Libre d’Émulation de Rouen, il prit le professorat du code du commerce dans les cours gratuits de cette société, de 1836 à 1837. Poète à ses heures (1), il se prit d’amitié pour le poète-ouvrier Théodore Lebreton qui lui dédia plusieurs poésies dans ses Heures et Nouvelles heures de repos d’un ouvrier (2).
Jean, Adrien rencontra une artiste peintre : Langlois Louise, Marguerite, Espérance, la fille de Hyacinthe Langlois, professeur à l’école de dessin et de peinture de Rouen. De cette rencontre, une petite Marguerite, Adrienne devait naître le 25 septembre 1835, que le père se dépêchait de reconnaître, assisté du conservateur de la Bibliothèque municipale de Rouen : André Pottier. Cinq mois plus tard, le 6 février 1836, les deux jeunes gens convolaient en justes noces.
Née au Pont-de-l’Arche le 27 vendémiaire an 14 de la République (19 octobre 1805), Espérance, élève de son père à qui elle s’associait dans les travaux de gravure, de dessin, d’eaux-fortes, était très connue et estimée à Rouen où elle vint toute jeune résider, suivant ses parents et ses six frères et sœurs, dans le haut de la rue Beauvoisine.
Comment Espérance et Adrien se rencontrèrent-ils et surtout comment s’éprirent-ils l’un de l’autre ? Nous pourrions dire avec le vieux dicton : L’amour a ses raisons que la raison ignore. En effet, lui, aimant peut-être les lettres et les arts mais manifestement embourgeoisé par sa naissance, son éducation, sa vie et ses fréquentations ; elle, de tempérament foncièrement artiste, pauvre, vivant dans un demi-taudis.
Eustache, Hyacinthe Langlois s’était fixé à Rouen en 1816 délaissant Pont-de-l’Arche pour fuir la misère, mais la misère était à Rouen. « …Pour arriver à lui il fallait entrer alors par la porte qui donne sur le cloître. On traversait une galerie humide et ruinée ; c’est celle où l’on voit aujourd’hui notre beau Musée des Antiquités. Au bout de cette galerie, un escalier en bois, à jour, et rappelantexactement ceux qui se dressent à la porte des moulins à vent, conduisait dans un grenier poudreux et délabré. Cette immense antichambre était occupée par une nombreuse famille d’oiseaux domestiques qui se dérangeaient à peine pour laisser arriver les visiteurs jusqu’à la porte d’un cabinet de travail, seul recoin à peu près habitable… » (3).
La description se continue ainsi, lamentable, nous montrant cet homme si plein de verve, de gaieté, de bonhomie et de tendres sentiments qui parfois restait sans manger pendant plusieurs jours, ainsi que ses enfants en guenilles, alors que son épouse, ivrognesse invétérée, buvait l’argent du foyer. L’Université, propriétaire de l’immeuble, qui réclamait le montant du loyer, vit sa quittance réglée grâce à une souscription faite secrètement.
Cependant, depuis 1828, quand il fut nommé professeur de dessin à l’École municipale, la situation de Langlois s’était un peu améliorée, d’autant plus que l’épouse, délaissant définitivement le foyer conjugal, partait à Stains, près de Saint-Denis où elle devait mourir (4).
Quoi qu’il en soit, le ménage Bourlet de la Vallée-Langlois s’installa à Rouen 31, rue Ancrière puis 15, rue Herbière, les maisons familiales des Bourlet de la Vallée et c’est à cette dernière adresse que naquirent trois autres enfants (5).
Mais on en est maintenant à se questionner, les documents compulsés laissant planer comme un malaise sur la destinée du ménage et sur son bonheur. Lors de la mort de son fils Gustave, Alphonse, le 4 juillet 1843, le père est absent, vraisemblablement parti pour Paris. Après 1848, il y résidera définitivement cité Talma rue Vaugirard. Il s’occupera toujours des assurances et sera fondateur-rédacteur à l’Echo des Assurances de 1860 à 1863 et rédacteur à la Banque Industrielle de 1878 à 1880.
Quant à Espérance, elle alla habiter Sèvres 38, Grande-Rue, ayant trouvé à employer son talent d’artiste en peignant sur porcelaine, avec son frère Polyclès et son neveu Paul, pour la célèbre manufacture de Sèvres. Elle devait mourir dans cette ville le 5 décembre 1864, à l’âge de cinquante-neuf ans et c’est son fils Marie, Hyacinthe, Adolphe qui demeurait à Paris, ainsi que son jeune frère Eustache, Hyacinthe Langlois, artiste peintre lui aussi, qui lui fermeront les yeux (6).
On peut classer Espérance Langlois (7) parmi les promoteurs de la lithographie à Rouen et il est permis de penser qu’à la manufacture de Sèvres, comme son frère Polyclès, sur les parois des vases décorés par elle avec toute la prestesse de son pinceau, elle retraçait des camaïeux qui n’étaient autres que des souvenirs de Rouen et de tous les monuments de Haute-Normandie qu’elle avait contemplés, dessinés et gravés si souvent avec son père.
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Pierre, Michel, Alexandre Bourlet de la Vallée, frère aîné du précédent, était né également au Havre le 10 octobre 1808. Il commença ses études de médecine puis sollicita un emploi à la mairie de Rouen. Le 6 juin 1832, le maire Henri Barbet le nomma préparateur, aide naturaliste pour la leçon et le service du cabinet d’Histoire Naturelle de Rouen. Il se trouvait ainsi placé sous les ordres de Félix, Archimède Pouchet qui devait se rendre célèbre pour son opposition aux idées de Pasteur sur la génération spontanée.
Dès le début, le jeune préparateur se heurta contre le conservateur du Jardin des Plantes (8) qui lui refusait l’entrée du jardin, l’accusant de vouloir prendre la place de Pouchet. Bourlet de la Vallée, fort de son bon droit et de sa qualité de remplaçant quand Pouchet était absent, s’en plaignit au maire de Rouen le 16 juillet 1835 : « …C’est que le fauteuil a beaucoup de chaises à placer et qu’il craint que je ne me mette entre deux. Et après toutes ces tribulations je voudrais devenir professeur ! Oh ! non, j’aime mieux ma paisible existence. »
La lettre fut jugée un peu insolente mais Bourlet se vit défendre par les Flaubert auprès de la municipalité.
Pouchet entraîné par son goût pour les sciences avait voulu se faire médecin. Reçu premier devant la commission présidée par Flaubert père le 25 avril 1823, il devint chirurgien interne et étudia à l’Hôtel-Dieu de Rouen ayant pour maître le père du romancier et son examinateur Achille, Cléophas, à qui il dédia sa thèse en 1827 : « À mon premier maître, Monsieur Flaubert, témoignage d’estime et de considération ». Il poussa son disciple à continuer ses études médicales. Reçu médecin, malgré ce qu’il en avait écrit, Bourlet devint professeur d’histoire naturelle, mais la municipalité le considéra toujours comme le suppléant de Pouchet, alors directeur du Muséum et du Jardin Botanique de Rouen, c’est-à-dire un préparateur.
Peut-être parce que Pouchet était jeune et qu’aucun espoir d’accession à un échelon supérieur n’était possible, mais certainement pour une raison matrimoniale, il donna sa démission en novembre 1845. En décembre son successeur était nommé : « …J’ai consenti, écrira le maire de Rouen à Pouchet, — sur votre demande à donner à M. Naudin le titre d’aide naturaliste au lieu de celui de préparateur mais il reste bien entendu que ses fonctions seront absolument les mêmes que celles de son prédécesseur et qu’il ne pourra se prévaloir de ce titre pour réclamer des appointements plus élevés… ». C’était un emploi considéré comme subalterne par la mairie et rémunéré huit cents francs par an. Georges Pouchet, le grand ami de Flaubert, quand il sera nommé à son tour le 14 janvier 1851, ne gagnera que six cents francs par an.
Le Journal de Rouen du 22 décembre 1872 fera cependant justice quand il imprimera : « …On sait du reste que les préparateurs de M. Pouchet se sont tous acquis une réputation dans les sciences, quelques-uns une réputation européenne… Citons plutôt la liste des aides naturalistes du célèbre physiologiste rouennais, elle ne peut que faire honneur et très grand honneurau maître : le premier aide naturaliste de M. Pouchet fut M. Bourlet de la Vallée maintenant au Havre, puis vinrent successivement M. Ch. Robin aujourd’hui membre de l’Institut ; M. Naudin (9) également membre de l’Institut ; M. Clos, professeur de botanique à la Faculté de Toulouse ; M. Georges Pouchet, actuellement directeur adjoint du laboratoire d’histologie de M. Ch. Robin (10) ; enfin la liste se clôt par M. Georges Pennetier. On voit que M. Pouchet était fier avec droit de cette école rouennaise qu’il avait créée… »
C’est donc en décembre 1845 que Bourlet de la Vallée Alexandre retourna dans la région havraise où il épousa le 1er juillet 1846 sa jeune cousine Marthe, Aimée, Étienne Bourlet de la Vallée (11). L’ancien professeur d’histoire naturelle vécut alors en rentier et propriétaire. Il fonda en 1866 le jardin botanique du Havre et en devint le directeur. Cela lui permit d’écrire des rapports sur l’utilité des jardins botaniques, sur les travaux de créations de celui du Havre, rapport qu’il dédia à son ancien maître le Dr F.A. Pouchet : « … Hommage de la sincère et affectueuse reconnaissance de l’auteur, son élève. » Enfin, souvenir de la ville de ses débuts, un rapport sur la valeur scientifique de la méthode de classification botanique du Dr Marquis, professeur de botanique à Rouen (12). Laissant à son départ la Société Libre d’Émulation, il deviendra membre de la Société Havraise d’Etudes Diverses, et se fera élire en 1847 secrétaire général. Il sera aussi vice-président de la Société d’Horticulture du Havre. Là encore, il se prendra d’une querelle — toute littéraire — avec Borelli, archiviste municipal, érudit havrais et auteur de l’Histoire du Havre.
Bourlet de la Vallée vieillissant se retira à Graville-Sainte-Honorine où, dans le phalanstère de la rue de Montmirail, entre le buste et les moulages de Flaubert père et du Dr Marcesseaux, il égrenait ses interminables souvenirs sur la famille Flaubert. Après avoir vu s’éteindre le 30 juin 1881 celle après qui il avait tant soupiré, il devait à son tour disparaître le 28 avril 1886 et c’est son frère Jean, Adrien, encore vivant et venu de Paris, qui signa l’acte de décès à la mairie de Graville. Sa tombe au nom presque illisible, malgré l’écrasement de 1944, se trouve encore dans le très vieux cimetière de Graville, non loin de l’endroit où s’érigeaient les tombes de la famille Victor Hugo et Vacquerie.
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Le fils du préparateur de Pouchet : Alexandre, Pierre, Étienne, naquit à Octeville, hameau de Dondenéville le 11 avril 1851. Lui aussi alla à Rouen pour y poursuivre ses études et ce fut, naturellement chez Achille Flaubert, devenu chirurgien de l’Hôtel-Dieu, l’ami de son père, qu’il fut reçu. Il était, dit-on, très rêveur, regardant les mouches voler. Il acquit cependant une bonne instruction et devint négociant au Havre où il devait mourir dans sa cinquantième année. Il eut cinq enfants dont deux vivent encore.
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La sœur des deux hommes dont nous venons d’effleurer l’existence : Marie, Victoire Bourlet de la Vallée était née au Havre le 2 novembre 1809. Elle avait épousé un pharmacien Paul, Étienne Herpin (13) et le couple avait suivi le vieux père à Rouen, se fixant aussi au 42, rue Malpalu où le pharmacien monta une officine, puis au 15, rue Herbière. Une petite fille naissait le 19 mars 1833 : Amélie, Alexandrine.
De la famille des Bourlet de la Vallée, hélas ! Marie, Victoire sera la seule à rester à Rouen. Elle mourut le 15 décembre 1838 et sa tombe, au Cimetière monumental porte la marque des regrets (14).
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Les Bourlet de la Vallée ont été manifestement d’une caste assez élevée, l’un d’eux se disant marquis (15), ou tout au moins d’une bonne bourgeoisie aisée puisque le vieux père arrive à Rouen dans la cinquantaine de son âge et n’exerce aucune profession. Il est propriétaire avec toute la suffisance que ce mot, alors, donnait à celui qui pouvait s’en parer, c’est-à-dire vivre de ses revenus sans travailler. Il était peut-être propriétaire des maisons de la rue Malpalu, de la rue Ancrière et de la rue Herbière dans lesquelles, successivement la famille entière alla résider. Les enfants de leur côté sont nantis de situations enviables : avocat et directeur d’une Compagnie d’assurance, médecin et professeur d’histoire naturelle, épouse d’un pharmacien.
Comment cette famille si peu de temps après son arrivée, pénétra-t-elle dans la bourgeoisie rouennaise au milieu fermé ? Y avait-elle déjà des liens ? Toujours est-il qu’elle s’y mêla rapidement et assez intimement au point d’y contracter deux unions et de se prendre d’affection avec une autre famille très en vue à Rouen : les Flaubert.
Il y a tout lieu de penser que c’est Pierre, Michel, Alexandre Bourlet de la Vallée qui fut le grand intermédiaire. Son collègue et chef direct Pouchet le patronna près du chirurgien en chef de l’Hôtel-Dieu : Achille, Cléophas Flaubert afin de lui permettre de suivre les cours de médecine. Il eut peut-être pour condisciple le frère du romancier, quoique Achille fût de cinq ans plus jeune que lui. Par Pouchet encore, il connut Eustache Hyacinthe Langlois, professeur de dessin, auteur d’un portrait de Gustave Flaubert enfant, ami lui aussi de la famille Flaubert, si bien que Gustave pourra écrire dans sa lettre à la municipalité : « …Celui-là, messieurs, je l’ai connu, et mieux que vous tous. Ne relevez pas cette mémoire ! Ne parlez jamais de ce noble artiste ! Sa vie a été une honte pour ses concitoyens… »
Langlois résidait tout près du Muséum, ce qui permit le rapprochement entre Adrien et Espérance. Enfin Pouchet et surtout Langlois firent adhérer les deux frères à la Société Libre d’Émulation. Adrien en deviendra secrétaire de séances et rapporteur sur les médailles et récompenses en 1837 et 1838. Alexandre donnera deux communications : en 1840, Mémoires sur la nature et les propriétés des différents fécules . En 1841, Recherches sur les motifs du culte rendu à l’Ibis religiosa par les Egyptiens et sur les animaux désignés par Hérodote sous la dénomination de serpents ailés (16).
Les Bourlet de la Vallée et les Flaubert, vivant dans les mêmes sphères, fréquentant les mêmes personnalités, s’invitant mutuellement les uns chez les autres, se prirent d’une grande amitié, si vive que le chirurgien en chef de l’Hôtel-Dieu, Achille-Cléophas sera le témoin d’Adrien quand celui-ci épousera Espérance et que, par réciprocité, Pierre, Michel, Alexandre sera le témoin d’Achille quand ce dernier épousera Julie Lormier, le 1er juin 1839.
Le professeur de sciences naturelles fut cependant celui qui pénétra le plus dans l’intimité des Flaubert et, « …il faut dire que ce bon gros garçon, proche de la quarantaine, bedonnant, congestionné, sentimental, excessif en ses enthousiasmes comme en ses désespoirs, s’il a été le grand ami d’Achille, est un peu la tête de turc de ses cadets… »(17). Ainsi, Gustave écrira à son ami Ernest Chevalier : « …Bourlet n’est pas encore au comble de ses vœux, que dis-tu de sa constance ! On le trouvera quelque jour mort dans son lit, tout raide et droit comme un lapin gelé… » (18).
Si Gustave et sa sœur Caroline, dans leur correspondance, se moquent parfois de celui qu’ils appellent Bizet, ce n’est jamais méchamment : « …Achille, moi et Bizet sommes invités pour dimanche (19). …Je me suis également gaudy sur le compte des hommes de l’opposition — Bizet aurait été content de moi » (20). Plus tard, quand Bourlet reviendra du Havre rendre visite à ses amis de Rouen, Gustave continuera : « …J’ai eu à dîner avant hier ton ancien professeur Bourlet. Quelle grosseur ! Quelles sueurs ! Quelles rougeurs ! C’est un hippopotame habillé en bourgeois. Il n’a pas failli du reste, car il est toujours de l’opposition… » (21). Flaubert l’appellera aussi Pit-Chef (Petit Chef). Il se souviendra de lui lorsqu’il écrira à sa mère le 22 avril 1850, lors de son voyage en Egypte : « …Nous avons à bord un vieux matelot qu’on appelle Fergalli et qui me rappelle ce bon Pit-Chef… ». Cette lettre n’est-elle pas une preuve de l’estime de Flaubert envers le professeur de sciences naturelles ?
Si Flaubert se moque gentiment de l’ami de la famille, celui-ci, à l’âge mûr, d’après le docteur Fauvel, critiquera violemment l’écrivain dont il dira : « …Gustave, un brave cœur, de l’imagination, de l’originalité mais pas de jugement. Avec ses paradoxes, il a fait mourir de chagrin son père — il a voulu étrangler sa mère. Romancier de douzième ordre avec sa Bovary, un mauvais livre, il a trouvé moyen de s’asseoir sur les bancs de la Correctionnelle… » (22).
Oui ! vous avez bien lu : « …Romancier de douzième ordre avec sa Bovary, un mauvais livre… » N’y a-t-il pas là comme une rancune ?
Son fils Alexandre, qui n’admettait pas de réplique et se croyait le Bon Dieu jugeait lui aussi Gustave : « C’est un esprit faux, un imbécile, un mauvais sujet… » (23).
Lorsque Henri Fauvel et Jules Lemaitre allèrent voir Flaubert à Croisset, cela provoqua une révolution au Havre. Le conseil municipal se réunit et une commission composée de l’avoué Bazan et d’un courtier en coton, Jules Gardye devenu plus tard directeur des hôpitaux, se rendit, accompagnée de plusieurs autres notables citoyens chez le digne Bourlet de la Vallée pour le supplier d’écrire à Gustave Flaubert de ne plus recevoir Fauvel et Lemaitre, pour dire que Jules Lemaitre était un pas grand-chose, Fauvel un rien du tout et Gustave Flaubert ne valait pas mieux. Cette épître fut rédigée en commun et envoyée à l’auteur de Madame Bovary. L’écrivain s’en ouvrit à sa nièce le 20 septembre 1879 : « …Bourlet m’a écrit une lettre relativement au fils d’un de ses amis, Henri Fauvel, du Havre pour que j’engage celui-ci à renoncer à la littérature. Tu verras ma réponse ! Ça m’indigne, ces bourgeois ennemis de l’art ! » (24).
La réponse de Gustave Flaubert qui resta longtemps entre les mains de l’éminent Jules Gardye fut publiée en 1910 dans l’édition Conard : « Mon vieux Pit-Chef. Je ne rendrai pas le service que tu me demandes, parce que je ferai : 1° Une mauvaise action ; 2° Une action parfaitement inutile. J’ai été étonné de l’intelligence et de la grande lecture de ton ami ou plutôt de notre ami Henri Fauvel. Les essais qu’il m’a montrés me paraissent extrêmement remarquables. Enfin j’ai reconnu tous les signes d’une vocation littéraire bien prononcée. Je l’ai néanmoins, et à deux reprises différentes, fortement engagé à poursuivre ses études médicales. Je le croyais même embarqué depuis six mois à bord d’un bâtiment de l’État. Il m’a même envoyé des adieux. »
« Tout ce qu’on pourra dire ou faire ne servira absolument à rien qu’à le chagriner et à le blesser.
Quant à réussir, quant à avoir du succès, c’est là le secret du Bon Dieu et, ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il est né écrivain et qu’il écrira.
Comment veux-tu qu’après lui avoir donné des encouragements, je revienne sur ce que j’ai dit et qu’en définitive je parle contre ma pensée ? Cela m’est impossible, tu dois le comprendre.
Sur ce, mon vieux Pit-Chef, je t’embrasse tendrement.
Ton… »
Dans cette histoire, Bourlet de la Vallée est un peu excusable. Il agit d’une part sous l’influence de la bourgeoisie havraise qui ressemble bien à la bourgeoisie rouennaise, et du père Fauvel qui veut faire de son fils un docteur, mais comment pouvait-il demander que Flaubert ne reçoive plus son fils à un homme qui, lui, allait parfois à Croisset ? D’autre part, Bourlet agissait avec cette inquiétude et cet aveuglement des hommes âgés envers les jeunes qu’ils estiment, en cette occurrence Henri Fauvel. Louis Bouilhet qui fut aussi victime de cet aveuglement dans sa famille, l’exprimera bien dans l’Oncle Million :
« Mais je dis que Léon n’est pas même un poète !
« Lui, poète, allons donc ! que me chantez-vous là,
« Moi qui l’ai vu chez nous, pas plus haut que cela ».
Flaubert d’ailleurs le comprit bien et sa lettre à son vieux Pit-Chef est restée amicale.
Le 11 mai 1880, le petit vieillard de soixante-douze ans qu’était alors Bourlet de la Vallée, descendait du train du Havre. Passa-t-il, dans son fiacre qui le menait à Croisset, par l’Hôtel-Dieu ? Son maître était mort depuis longtemps et son camarade, parti pour Nice où frappé de sénilité prématurée, alors qu’on enterrait son frère, réclamait seulement des roses épanouies dans le petit jardin de l’hôpital rouennais.
À Croisset, lui qui avait peut-être souffert de ne pas voir Gustave Flaubert enrichi pendant la guerre de 1870 comme les bons bourgeois de Rouen et du Havre (25), suivant le convoi depuis Croisset-Canteleu jusqu’au Cimetière monumental de la ville qui semblait ignorer la mort du romancier, dut se tenir un peu à l’écart des groupes d’artistes et écrivains célèbres, les Daudet, les Zola, les Goncourt, Maupassant et autres, venus de la capitale et qui souffraient, eux, d’être si peu (26).
Lorsque Flaubert composait ses romans, il cherchait dans son entourage et dans ses souvenirs des personnages dont les mots, les gestes, les comportements et les pensées pouvaient lui servir de modèle. Les Bourlet de la Vallée furent-ils de ceux-là ?
Il est net que le couple Bourlet-Langlois fut moins en rapport avec Gustave. Cependant on peut croire qu’Espérance eut une influence sur la rédaction de Saint-Julien l’Hospitalier. Flaubert pour écrire la Tentation de Saint-Antoine eut devant les yeux la fameuse gravure de François Callot ; pour écrire Un cœur simple, il demanda à son ami Pennetier un superbe perroquet ou ara ; pour son Saint-Julien l’Hospitalier, il eut l’œuvre de son ami Eustache Hyacinthe Langlois. « …Tu l’as mal comprise dans Langlois où elle est pourtant bien racontée… » écrira-t-il à sa nièce Caroline. Or la planche représentant le vitrail de l’église cathédrale de Rouen a été dessinée et gravée d’après le vitrail lui-même par Espérance Langlois en 1823 (27).
Lorsque Adrien Bourlet de la Vallée fut secrétaire de correspondance à la Société Libre d’Émulation de Rouen en 1837 et 1838, il fut chargé de rapport sur les médailles et récompenses.
« …Semblable au voyageur que j’ai vu un jour surpris par la marée sur une de ces immenses plages de sable qui environnent nos côtes, nous sommes obligés pour ne pas être engloutis à marcher toujours en avant d’un pas rapide… Aussi est-ce un spectacle bien doux pour les amis de l’industrie gue celui des hommes actifs et intelligents qui travaillent à lui faire faire chaque jour un pas de plus… »
Changez l’industrie en culture et ce discours pourrait être celui du conseiller Lieuvin lors des comices agricoles de Yonville-l’Abbaye. Flaubert ne l’a certes pas pris comme modèle, tous les discours de cette époque se ressemblent dans leur maniéré ampoulée, mais il est curieux de voir que le premier lauréat pour « ensemble de bonnes cultures » est Bizet de Quincampoix ! Bizet le surnom donné à Alexandre Bourlet de la Vallée (28). Il semble bien que des traits de celui-ci aient été empruntés pour des personnages de Madame Bovary .
Regardons le portrait décrit par Caroline Flaubert : « …Monsieur Flaubert, le croiriez-vous ? Moi amoureux à trente-cinq ans d’une enfant de dix-neuf… Mais elle est si bonne, si douce, si aimable. Je lui demande si elle est jolie… Je ne l’ai pas regardée, mais si je la regardais je la trouverai jolie ; elle est si bonne, si douce… »
Comme nous pouvons rapprocher cette lettre avec le passage dans Madame Bovary : « …Hélas ! le père Rouault était bien riche, et elle ! si belle… » Mais continuons la lettre : « …Papa lui demande s’il pense en être aimé — j’ai tout lieu de l’espérer ; elle me serrait la main quelquefois, me tendait la joue et lorsque son père me défendit de revenir avant Pâques, elle dit : je voudrais que Pâques fût demain ! — La douce enfant !… Je lui dis — Ma cousine il n’y a que mes jambes qui s’en vont… »
« …Allez-vous-en donc — dira le père Rouault à Charles Bovary — vous n’aurez pas besoin de revenir à cause du monde et d’ailleurs ça la saisirait de trop… »
Caroline Flaubert conclura : « …Voilà Bourlet, cher Gustave, mais Bourlet tout pur ! Je n’invente rien, je n’augmente pas, ce sont ces phrases que j’ai retenues par cœur » (29).
Ne croirait-on pas Charles faisant sa cour à Emma ? Et nous pourrions ajouter comme Caroline : « Voilà Bovary tout pur. »
C’est Achille qui se chargera de donner à son frère des détails complémentaires sur l’affaire Bourlet.
« …Bourlet est retombé dans son idiotisme ; il est persuadé de son impuissance et veut rompre son mariage. Ce qu’il y a de très joli c’est qu’il dit à qui veut l’entendre la cause de sa tristesse ; il l’a écrite à son père, qui lui a répondu par un quatrain :
« Ce doute justement offense
Ton père qui t’a fabriqué
Et qui, dans nulle circonstance
D’un tel mal ne fut attaqué. »
Quoi qu’en dise Achille, nous pensons que ce quatrain est l’œuvre d’Adrien que nous savons poète. Il faut aussi se rappeler que le père Alexandre Denis est complètement aveugle en 1843.
Aucun chercheur ou écrivain n’a trouvé le personnage modèle de Charles Bovary. Certains ont pensé à Eugène Delamare, descendant d’une famille de petite bourgeoisie rouennaise s’occupant de leur négoce de mercier-drapier à Rouen 33, place de la Basse-Vieille-Tour depuis 1775 Ce commerce sera plus tard exploité par Beaurain-Decorde puis finalement absorbé dans les agrandissements du magasin de confection « Les deux nègres ». Le père d’Eugène alors sans emploi du fait de la vente du magasin familial, épousera une demoiselle Fontaine, fille d’un marchand de vin et loueur de chambres meublées, établi derrière Saint-Maclou dans le quartier Martainville. C’est là que naquit Eugène Delamare.
Fut-il vraiment le modèle de Charles Bovary ? Sans doute le roman de sa vie ressemble à celui du héros du roman de Flaubert, mais le caractère de l’homme n’est pas celui du mari d’Emma. D’autres ont voulu voir le mari de Désirée Campion, la fille d’un marchand de la rue de la Grosse-Horloge à Rouen et résidant à Neufchâtel-en-Bray. Cette thèse est abandonnée de nos jours. Enfin les mémoires de Madame Ludovica ont orienté les recherches sur la famille Pradier. Mais là encore, James Pradier n’a rien de commun avec Charles Bovary. Nous pensons que, comme pour Emma formée des souvenirs sur Louise Colet, Madame Schlésinger sur Madame Pradier, sur Caroline Flaubert et, pourquoi pas, sur Delphine Delamare, Charles Bovary n’est pas l’expression d’un modèle unique mais formé de traits de caractères épars, observés dans son entourage par Flaubert qui sincèrement pourra dire : « …Tous les personnages de ce livre sont complètement imaginés. Si j’en avais fait (des allusions) mes portraits seraient moins ressemblants parce que j’aurais eu en vue des personnalités et que j’ai voulu au contraire reproduire des types… »
Nous savons que Alexandre Bourlet de la Vallée était un de ceux que l’écrivain a le mieux connu entre les années 1838-1846. N’est-ce pas à cette époque que se déroule le drame de Yonville-l’Abbaye ?
Le docteur Henri Fauvel nous présente celui-là, triant et découpant étiquetant, ennemi juré du paradoxe, vêtu de la tête aux pieds d’une invariable flanelle d’un rouge aveuglant : « …Le cabinet de travail d’Alexandre Bourlet père, au quatrième étage de la maison carrée du n° 7 de la rue de Montmirail à Graville-Sainte-Honorine avait entre 1868 et 1880 le calme, l’aspect hiératique des sanctuaires, des musées. Tout autour les vitrines de la bibliothèque qui contenait presque uniquement les classiques et Linné et Jussieu et Candolle et d’innombrables herbiers. Entre les consacrés et désormais paisibles classiques, au milieu des idylliques herbiers, deux livres qui détonnaient, Bovary et Saint–Antoine. »
Mais s’il y avait dans Charles Bovary du Bourlet de la Vallée, pour les mêmes raisons, il y en avait aussi dans Homais (30)
« La présence du docteur le transportait. Il étalait son érudition, il citait pêle-mêle les cantharides, l’upas, le mancenilliers, la vipère… » dira l’écrivain dans son roman. Homais à table est en présence du docteur Larivière comme le fut maintes fois Bourlet devant le père de Gustave. Les cantharides, l’upas, le mancenilliers, la vipère, peuvent certes entrer dans la conversation d’un pharmacien mais plus encore dans celle d’un préparateur au cours de botanique et d’histoire naturelle. Et cette phrase d’Homais ne pourrait-elle pas être adressée au docteur Flaubert père ? : « ..Bonjour docteur (car le pharmacien se plaisait beaucoup à prononcer ce mot docteur comme si, en l’adressant à un autre, il eût fait rejaillir sur lui-même quelque chose de la pompe qu’il y trouvait)… » (31).
Plus loin, on voit Homais accompagné de Léon Dupuis, l’amant d’Emma, aller chez Bridou, ancien camarade établi pharmacien rue Malpalu. Il manque le n° 42. C’est là que la famille Bourlet réside et Herpin, le pharmacien s’y trouve.
D’autres traits ont peut-être fait que le bon et vénérable Bourlet de la Vallée s’est reconnu comme se reconnaîtra Louise Colet offrant son cachet portant la devise : « Amor nel cor » à Gustave. On comprend mieux alors les mots amers qu’il aurait prononcés à rencontre du romancier : « …Il a fait mourir de chagrin son père. » Il est mort d’un phlegmon à la cuisse opéré par son fils Achille (32). « Il a voulu étrangler sa mère. » Nul plus que lui n’a mieux aimé sa mère au point qu’un auteur étranger a trouvé cet amour filial anormal. Gustave n’écrira-t-il pas dans une lettre adressée à George Sand : « …Je me suis aperçu depuis quinze jours, que ma pauvre bonne femme de maman était l’être que j’ai le plus aimé. C’est comme si l’on m’avait arraché une partie des entrailles… » Il garda près de lui sa mère infirme et paralysée. Devant la souffrance qu’elle endurait, il aurait dit : « J’aimerais mieux la voir morte que souffrant ainsi. » Est-ce bien vrai ? Même s’il a prononcé ces paroles, un ami de Bourlet de la Vallée devait-il le répéter à satiété et lui en faire un crime ?
Si nous en croyons toujours le docteur Fauvel, Alexandre Bourlet parlait en fermant les yeux, par sentence, comme les Arabes : « …Il est vivifiant de respirer l’air pur du matin… » Ne tenons-nous pas là aussi l’inspirateur des idées reçues ? Dernier détail, Caroline Flaubert, en septembre 1840 écrit à Gustave que Bourlet et Parfait Grout (33) se déchaînèrent férocement contre Madame Lafarge ; or nous lisons dans l’Éducation sentimentale : « …Ce procès, la fureur de l’époque, ne manqua pas d’amener une discussion violente… »
Enfin quand on sait que Madame Bovary, l’Éducation sentimentale, Salammbô, Un cœur simple et même Bouvard et Pécuchet sont pleins de souvenirs de jeunesse, on peut penser que les Bourlet de la Vallée ont laissé quelque chose d’eux dans l’œuvre du Rouennais.
Les auteurs et les critiques qui ont cité les Bourlet de la Vallée dans leurs études sur la vie et l’œuvre de Gustave Flaubert, ont commis parfois des erreurs. L’une d’elles a eu son point de départ dans les souvenirs du docteur Fauvel (34). En parlant du fils de Pierre Michel Alexandre, il dit ceci : « …Il y avait une artiste dans leur famille : la fille de Hyacinthe Langlois… » L’érudit Rouennais Georges Dubosc, dans ses Trois Normands précise : « Le père je crois avait épousé la fille de Hyacinthe Langlois » et depuis on affirme que le père de Bourlet a épousé Espérance Langlois. Or Adrien était l’oncle du jeune Alexandre et le frère de professeur d’histoire naturelle. Là encore, on est surpris de voir que bien des auteurs, même dans des thèses modernes, ont confondu le père et le fils qui se prénommaient d’ailleurs tous les deux Alexandre.
En lisant cette lettre adressée à Ernest Chevalier : « …Oui j’ai bien regretté ton absence à notre charmant petit voyage à Caudebec. Le père Langlois et le petit Alexandre Bourlet y étaient, le premier comme à son habitude était facétieux, le second luxurieux (car il regardait même les filles de campagne ! le scélérat ! ! !)… » et bien entendu on a qualifié le fils, qui n’était pas encore né, de luxurieux. On ne pouvait s’imaginer que Flaubert en écrivant : « le petit Alexandre », pouvait désigner un homme beaucoup plus âgé que lui. Mais voilà, Bourlet était petit de taille (35). Cette confusion entre les deux hommes est venue de l’ignorance des actes de l’état civil et aussi des Souvenirs intimes de Madame Commanville : « …Le marquis Bourlet de la Vallée, ami d’enfance de Flaubert. » Non, aucun des Bourlet n’a été l’ami d’enfance de Flaubert, tout au moins dans le sens propre du mot, car le père avait treize ans de plus et le fils trente ans de moins.
Venue du Havre, la famille Bourlet de la Vallée n’a fait que passer une douzaine d’années à Rouen où elle éclata en quelque sorte. Le vieux père alla vivre et peut-être mourir à Verneuil-sur-Avre, dans le cimetière duquel sera ensevelie Louise Colet. Adrien prit la direction de Paris et Alexandre retourna dans la région havraise que le petit poète Étienne Bourlet de la Vallée n’avait pas quittée, ne donnant à Rouen que ses poésies qui s’imprimaient dans la Revue de Rouen en 1833 et 1834 (36). Néanmoins leur passage dans la capitale normande méritait d’être étudié car il a suffi de ces douze années pour qu’ils laissent une place plus ou moins grande selon leur individualité, mais marquée dans l’histoire régionale de la science, des arts et surtout dans la littérature, par les lettres flaubertiennes et par ce qu’ils ont donné, à leur insu, pour la création des personnages immortels.
Lucien ANDRIEU,
Conservateur de la Bibliothèque Flaubert à Croisset.
(1) Nous n’avons cependant pu retrouver aucun de ses poèmes.
(2) Théodore Lebreton : Heures de repos d’un ouvrier, 1837 p. 263 Nouvelles heures de repos d’un ouvrier, p. 177.
(3) E.H. Langlois : Stalles de la Cathédrale de Rouen. 1838, Notice de Richard.
(4) Langlois née Germain, Louise Bonne.
(5) Marie-Hyacinthe, Adolphe le 18-2-1837. Gustave, Alphonse le 3-8-1840 et mort trois ans plus tard. Pauline, Marie le 27-9-1841.
(6) Eustache, Langlois fils était né au Pont-de-l’Arche en 1814.
(7) Espérance signa toujours, à notre connaissance, ses œuvres de son nom de jeune fille.
(8) Dubreuil, Conservateur du Jardin des plantes de Rouen.
(9) Le journal fait ici une erreur, Naudin avait été nommé avant Ch. Robin.
(10) Ch. Robin, plus tard, assistera aux dîners Magny.
(11) Elle était plus jeune que lui étant née le 29 mars 1825 au hameau de Saint-Suplix (Octeville) où elle résida jusqu’à son mariage, chez ses parents ; puis le jeune ménage alla habiter au hameau de Dondenéville.
(12) Le Havre 1886.
(13) Le mariage fut célébré au Havre le 30 avril 1828.
(14) Sur la pierre funéraire, on peut lire : Ci-gît Marie, Victoire Bourlet de la Vallée — Née le 2 novembre 1809 — Mariée à Paul, Étienne Herpin le 30 avril 1828 — Décédée le 15 décembre 1838. — Les larmes d’un époux, d’un père, de ses frères, de sa fille, de toute la famille au désespoir et les regrets de ses nombreux amis qui l’ont connue, attestent qu’elle remplit de toutes les vertus une carrière aussi pauvre de jours que riche de bonnes œuvres, sa vie durant et que sa mort fut celle des justes.
(15) Bourlet de la Vallée, Pierre, Michel, Alexandre.
(16) Cette communication fera l’objet d’un tirage à part en 1842 dont un exemplaire sera offert à Gustave Flaubert avec dédicace.
(17) L. Chevalley-Sabatier : Gustave Flaubert et sa sœur Caroline. — Les Amis de Flaubert. Bul. N’° 9.
(18) Lettre à Ernest Chevalier 13-8-1845.
(19) Id., 24-3-1837,
(20) Lettre de Gustave à sa sœur Caroline 25-7-1842.
(21) Lettre de Flaubert à Louis Bouilhet 1-8-1855.
(22) Le Dr Fauvel écrit en 1908, longtemps après la mort de Flaubert et de Bourlet de la Vallée. Sa mémoire ne semble plus assez sûre pour prendre toutes les expressions à la lettre. C’est ainsi qu’il donne Bourlet de la Vallée comme un ancien pharmacien.
(23) Le jeune Alexandre n’a pu rencontrer Gustave Flaubert que vers les années 1877-1878 les très rares fois que l’écrivain allait chez son frère à l’Hôtel-Dieu. Il a donc dû trop peu le connaître pour le juger ; mais ne répétait-il pas les mots de madame Achille Flaubert, bourgeoise telle que le comprenait Gustave.
(24) Si le Dr Fauvel n’a pas acquis la célébrité, il est l’auteur néanmoins de nombreux ouvrages.
(25) C’est du moins ce que croyait le Docteur Henri Fauvel.
(26) M. Guy Bourlet de la Vallée, son arrière-petit-fils, nous a écrit : « … Il est exact que les mémoires de Flaubert et de Maupassant ont toujours eu un écho particulier dans notre famille. Je me souviens avoir vu, dans mon enfance, un portrait de Flaubert dédicacé de sa main, mais il a vraisemblablement étédétruit pendant la guerre… » S’agit-il d’un portrait de Gustave ou d’un des deux chirurgiens en chef de l’Hôtel-Dieu de Rouen ? Ce que nous croyons plus volontiers.
(27) E.H. Langlois : Essai historique et descriptif sur la peinture sur verre, 1832. (Ce livre se trouve à la Bibliothèque Flaubert à Croisset). En 1823, dans le bulletin de la Société Libre d’Émulation de Rouen, les planches avaient été déjà reproduites pour le Mémoire sur la peinture sur verre et quelques vitraux remarquables des Eglises de Rouen, de E.H. Langlois.
(La lettre à la nièce Caroline est du 30 septembre 1875.)
(28) Des bizets étaient de gros cailloux qui parsemaient certaines rues des faubourgs rouennais. Une de ces rues prit pour cela le nom de la rue du Bizet. On appelait aussi bizet, ou biset, un soldat de la Garde Nationale trop pauvre pour s’acheter un uniforme. Ils faisaient cependant un service sérieux de remplaçants à raison de deux ou trois francs pour une garde de 24 heures, munis seulement du fusil et d’une giberne qu’ils remettaient au poste leur service terminé. Ils furent supprimés en 1846, époque où l’uniforme fut obligatoire. Est-ce en pensant à une de ces définitions que Flaubert surnomma Bourlet Bizet ? Peut-être sa morphologie le faisait… ressembler à un gros caillou ? Quant à la Garde Nationale, Bourlet, par son emploi était dispensé vraisemblablement du service. Dans les registres nominatifs des hommes des bataillons rouennais, on trouve seulement à partir de 1833 le Bourlet Avocat, chasseur à la 2e compagnie du troisième bataillon, près de Herpin le pharmacien, chasseur également, qui fera partie en 1834 du jury de révision.
(29) L. Chevalley-Sabatier : Gustave Flaubert et sa sœur Caroline. Bulletin des Amis de Flaubert N° 9 (1956).
(30) Là aussi, plusieurs modèles ont été avancés dont un pharmacien de Trouville. Or l’écrivain ne le rencontre qu’en août 1853 ; à cette date plus de la moitié du roman était écrite et le type d’Homais déjà composé.
(31) Cette phrase est plus normale de la part d’un docteur que d’un pharmacien.
(32) Si Flaubert est la cause de la mort de son père, c’est que, comme le dit si justement René Dumesnil, lorsque le docteur diagnostiqua chez Gustave la plus terrible des névroses, le souci qu’il en ressentit déprima sa santé. La première maladie devait l’emporter à 62 ans. Mais déjà, une sénilité avancée se manifestait et s’il eût survécu, il aurait fini comme son fils Achille, mort usé à 69 ans.
(33) Père de Franklin Grout, le deuxième époux de la nièce Caroline. Il était établi docteur à Rouen, 6, rue de la Pie.
(34) H. Fauvel : Souvenirs sur Gustave Flaubert, Chronique Médicale, 15 juillet et 1er août 1908.
(35) Flaubert l’appellera dans sa lettre du 16-5-1843 : « Basset à gros ventre ».
(36) Bourlet de la Vallée Étienne né le 6-4-1810 et décédé le 28-9-1843. Revue de Rouen 1833, 2° semestre : La mer et Abyssos . 1834 : Elle et A une jeune fille. Il est l’auteur des recueils de poésies : Derniers chants du soir, Paris 1833 et Chants solitaires, Paris 1838 . Ce dernier volume fut offert à la Société Libre d’Émulation de Rouen. Enfin il écrivit un poème épique Stella. Fils de Étienne Guillaume, commis ordinaire de la marine, qui est le frère d’Alexandre Denis, le poète Étienne deviendra le beau-frère de l’élève de Pouchet et de Flaubert père, Pierre Alexandre quand ce dernier épousera sa jeune cousine d’Octeville.