La nomination du Père de Flaubert comme chirurgien-chef

Les Amis de Flaubert – Année 1967 – Bulletin n° 30  – Page 38

La nomination du père de Flaubert

comme chirurgien-chef de l’Hôtel-Dieu de Rouen

Le registre de délibérations de la Commission administrative des Hospices de Rouen, à la date du 6 décembre 1815, contient le procès-verbal de cette réunion, où le père de Gustave Flaubert fut désigné, comme chirurgien en chef de l’Hôtel-Dieu de Rouen, poste qu’il devait occuper jusqu’à sa mort, remplaçant Laumonier, chez qui son épouse, orpheline, avait été élevée. Il ne bénéficia pas immédiatement du logement que Laumonier occupait à l’Hôtel-Dieu et où il demeura jusqu’à sa mort en 1818. Alors le ménage Flaubert s’y installa et Gustave y naquit en 1821.

En publiant ce procès-verbal, nous croyons verser au dossier de Flaubert une pièce importante, inaccessible, et qui contient tout ce qui était demandé au chirurgien en chef.

L.A. et A.D.

Séance du 6 décembre 1815

Sur la demande de Monsieur le Président ont été introduits à la séance, Monsieur le Docteur Flaubert, Messieurs les Chirurgiens internes, Élèves et Aspirants en chirurgie de l’Hôtel-Dieu.

Monsieur le Président a annoncé le but de cette réunion et le secrétaire a donné lecture : 1° de la lettre de Monsieur le Préfet du 28 novembre dernier ; 2° de la décision de Son Excellence le Ministre de l’Intérieur en date du 18 du dit mois portant :

Art. 1er. — Le Docteur Flaubert est nommé à la place de chirurgien en

chef de l’Hôtel-Dieu de Rouen.

Art. 2. — Le Docteur Laumonier conservera, en considération des longs services qu’il a rendus aux pauvres, le titre de chirurgien en chef honoraire ainsi que les émoluments et avantages dont il jouissait, avec le logement dont il est en possession.

Vu ce qui résulte de cette décision, la Commission reçoit Monsieur Flaubert en qualité de chirurgien en chef de l’Hôtel-Dieu, en remplacement de Monsieur Laumonier, que son âge avancé et ses infirmités, empêchent de continuer des fonctions qu’il a exercées d’une manière si distinguée pendant plus de trente années sous la direction expresse que Monsieur Laumonier conservera, conformément à la décision du Ministre et au vœu exprimé par l’administration des hospices, le titre de chirurgien en chef honoraire, du dit hospice et jouira sa vie durante, des émoluments et du logement attachés à cette place, sans que cette marque de distinction puisse rien faire préjuger sur les nominations futures. À ce moyen, Monsieur Flaubert n’entrera en jouissance des dits émoluments et logement qu’à l’époque du décès de Monsieur Laumonier, ce qui a été agréé et consenti de plein gré par Monsieur Flaubert.

Ensuite Monsieur Flaubert a prêté le serment de bien et fidèlement s’acquitter de ses fonctions avec toute l’humanité, l’intérêt, le zèle et l’exactitude qu’exige une place si importante.

La Commission par l’organe de son Président l’a proclamé chirurgien en chef de l’Hôtel-Dieu.

Après quoi, Monsieur le Président a prononcé le discours suivant :

Messieurs,

Chargé par Monsieur le Préfet de remplacer provisoirement le Maire (1), c’est en cette qualité que j’ai l’honneur de présider en ce moment votre assemblée et de jouir de l’avantage de concourir avec vous à l’installation du Docteur Flaubert appelé à remplir les fonctions de chirurgien en chef de l’hospice de l’humanité en remplacement de Monsieur Laumonier que son âge et ses infirmités forcent au repos, après de longs et signalés services rendus dans la place qu’il occupe.

L’administration des hospices de cette ville dont l’active et paternelle sollicitude embrasse tout ce qui intéresse ces grands et précieux établissements où le malade indigent, l’enfant abandonné et le vieillard sans ressource trouvent un asile et des secours, éprouvait depuis quelque temps le besoin de redonner à la partie chirurgicale, dans l’hospice d’humanité, tout ce qui lui manquait par l’absence du chirurgien en chef où, malgré le zèle et les efforts des premiers élèves attachés à cette maison pour rendre moins sensible cette absence, la médecine opératoire et la partie de l’enseignement ne pouvaient manquer d’en souffrir. C’est pour faire cesser cet état de choses que l’administration avait sollicité pour vous, Monsieur, d’abord votre adjonction à Monsieur Laumonier, et qu’elle vient enfin d’obtenir du Gouvernement votre nomination définitive à cette place importante. C’est aux solides connaissances, aux talents dont vous aviez déjà fait preuve qui n’avaient point échappé à l’œil attentif de l’administration, lorsque vous étiez attaché à cette maison ; c’est aussi à la réputation méritée que vous vous êtes encore acquise depuis et qui a devancé vos années, que vous devez le choix honorable qui s’est fixé sur vous : choix que vous justifierez dans tous les temps. Le malheureux trouvera toujours en vous cet intérêt touchant qui ajoutera aux secours de votre art en lui faisant supporter plus patiemment ses maux. S’il était besoin d’exciter et de soutenir un zèle moins éclairé et moins ardent que le vôtre pour le bien public, j’offrirais ici pour modèles ces hommes distingués qui vous ont précédé dans cette même place ; je citerais le nom du célèbre Lecat qui s’y rattache si glorieusement, de cet homme qui sut si bien illustrer l’art qu’il professait et qui le premier introduisit à Rouen ce mode d’enseignement si utile aux progrès de la science, par de savantes démonstrations d’anatomie pratique, où il savait interroger la froide dépouille de l’homme privé de la vie pour en tirer le secret de soulager l’homme vivant et de lui conserver l’existence. Combien alors n’eut-il pas de difficulté à vaincre pour former et soutenir cet utile établissement surtout à cause des préjugés nuisibles, sans doute, à l’avancement de l’art ; mais dont le principe ne paraissait point blâmable, puisqu’il tenait à un respect religieux pour les morts. Vous n’aurez point, Monsieur, comme dans ces temps déjà éloignés, à lutter contre les mêmes obstacles dans les cours d’anatomie que vous professerez pour l’instruction des élèves, peut-être au lieu de cette espèce d’excès de respect pour les morts, aurez-vous à réprimer un excès contraire et devenu trop commun dans les amphithéâtres et les laboratoires d’anatomie qui servent aux dissections ; là, une jeunesse irréfléchie qui ne sent point encore assez la dignité de l’homme, se porte quelquefois à des écarts scandaleux ; à une espèce d’impiété envers la dépouille inanimée d’un être qui naguère respirait et était peut-être doué de plus de vertus que n’en ont ceux qui insultent à ses restes. La sévérité de vos principes de morale ne vous permettra pas de souffrir l’indécence de semblables excès ni d’abus d’aucune espèce : les excellentes qualités de votre cœur qui s’allient si bien avec le mérite modeste qui vous distingue, sont un sûr garant de l’harmonie qui régnera continuellement dans les rapports que vous aurez avec toutes les personnes attachées à ce même hospice : vous aurez sans cesse, tous les égards qui leur sont dus, pour ces femmes respectables que la providence semble avoir créées exprès pour secourir et consoler l’humanité souffrante. Enfin, vous remplirez l’attente de l’administration en surpassant même ses espérances.

Monsieur le Docteur Flaubert, de son côté, en adressant à l’administration l’hommage de ses remerciements et de sa vive reconnaissance, a répondu qu’il sentait toute l’importance des fonctions qui lui étaient confiées et des devoirs qu’il avait à remplir ; qu’il osait espérer justifier le choix dont il était honoré et que l’administration n’aurait point à regretter le vœu qu’elle a émis en sa faveur.

De tout ce que ci avant, la Commission a accordé acte.

Ensuite Monsieur le Président ayant déclaré la séance publique levée, l’administration s’est constituée en séance particulière dans laquelle il a été donné lecture au Docteur Flaubert, des conditions qui lui sont imposées pour l’exercice de ses fonctions, et dont la teneur suit :

1°) Il est consacré en principe que Monsieur le Chirurgien en chef, par la nature de ses fonctions, doit instruction à ses élèves, enfin de leur faciliter le moyen d’acquérir les connaissances relatives à l’art qu’ils se proposent d’embrasser : il ne pourra donc se dispenser de leur procurer sous aucun motif que ce puisse être.

2°) Le Chirurgien en chef sera tenu d’avertir, par écrit, la Commission administrative des hospices toutes les fois qu’il commencera un cours d’anatomie.

3°) Il ne pourra prendre ni exiger aucune somme des élèves reçus dans l’hospice d’humanité et qui seront tenus, sous peine de renvoi, d’assister aux différentes opérations anatomiques, qu’il fera dans cet hospice.

4°) Il ne pourra enlever ni faire enlever des lits aucun corps humain, aussitôt après sa mort, sans en avoir prévenu Madame la Supérieure ou la dame religieuse chargée de cet office, à l’effet de s’assurer si ce cadavre ne sera pas demandé par la famille et si les formalités de ce mort ont été observées.

5°) Il ne pourra faire sortir de l’ensevelissoir ni autoriser qu’on fasse sortir de ce lieu aucun cadavre qui réunira sur lui une carte indicative qu’il est réclamé par la famille : il aura seulement la liberté de se livrer dans ce local aux recherches que peut exiger le besoin de s’instruire et de faire des observations sur les causes de la mort : mais il sera tenu de faire rapprocher et recoudre les chairs et recouvrir le cadavre de manière que l’œil ne se trouve point affecté ni l’âme saisie, lorsque les Dames religieuses se présentent pour rendre les derniers devoirs aux personnes décédées.

6°) Pour satisfaire au besoin de l’instruction et en même temps remédier aux abus qui naissent d’une trop grande facilité à obtenir des cadavres, le service du laboratoire se composera comme suit :

Dans les cas ordinaires il sera délivré un cadavre par semaine, depuis le  1er octobre jusqu’au dernier jour d’avril de chaque année, en se conformant à ce qui est ci-dessus prescrit.

Dans les cas extraordinaires où la marche de l’instruction en exige un plus grand nombre, il sera déterminé par Monsieur le Chirurgien en chef, lequel sera tenu d’en informer le Directeur de l’hospice, avec invitation d’en consentir et autoriser la délivrance.

Mais dans aucune circonstance nulle délivrance ne se fera qu’elle ne soit accompagnée d’un bon de Monsieur le Chirurgien en chef, visé du Directeur pour être remis au portier auquel il servira de « laissez-passer » et qui aura soin de tenir en liasse ces bons pour être représentés à la première réquisition, soit de Monsieur l’Administrateur, soit du Directeur de la maison.

Le Chirurgien en chef répondra des suaires qui auront été fournis et fera rapporter les cadavres qui lui auront été délivrés pour être livrés au chariot aux fins de leur sépulture.

Il veillera à ce que les cadavres ne restent pas trop longtemps dans le laboratoire ; que les chairs coupées ne soient point disséminées de toutes parts ; qu’au contraire on ait le plus grand soin de les réunir au fur et mesure que l’action à laquelle elles auront été soumises, sera terminée, afin de prévenir toute putréfaction, conserver le respect du même au milieu du désordre qu’entraînent les recherches faites sur le corps humain et pour que la décence et la propreté se concilient avec le besoin de l’instruction.

Il ne permettra pas qu’aucun chirurgien interne ni aucun élève puisse emporter avec lui aucune pièce anatomique sans l’agrément de l’administration.

7°) Le chirurgien en chef ne souffrira pas qu’il soit apporté de retard dans la réception des malades par le deffaut de présence du chirurgien interne de garde ; l’intention de l’administration est que toute réception n’ait lieu que d’après visite du chirurgien interne et non de celle d’aucun élève, pas même de celui de garde ; cet acte de confiance étant exclusivement réservé au chirurgien interne reconnu, ayant les connaissances requises « ad hoc » : toute infraction à cette obligation sera punie exemplairement.

8°) Toutes les grandes opérations chirurgicales et singulièrement les fractures, ne pourront être faites que par le chirurgien en chef, auquel est réservé la faculté de se faire suppléer, sous ses yeux, par les chirurgiens internes, dans le cas seulement où il leur reconnaîtra la capacité et le talent nécessaire : ce qui est laissé à sa prudence.

9°) Le chirurgien en chef ne permettra pas qu’aucun élève fasse de saignées dans l’hospice qu’en sa présence ou en celle de l’un des chirurgiens internes ; de même qu’il veillera à ce qu’il n’y ait que les chirurgiens internes qui fassent les saignées aux femmes de la gésine, étant expressément deffendu de confier ce soin aux élèves qui n’auront pas même la liberté d’entrer dans le lieu qu’elles habitent.

10°) Le chirurgien en chef sera tenu d’inspecter lui-même les plaies et de veiller aux pansemens de manière qu’ils soient faits régulièrement, avec ordre, intérêt envers le malade et économie quant à l’emploi du linge à pansement, bandes et charpies, pour raison desquels il fera scrupuleusement exécuter tous règlements et délibérations pris « ad hoc ».

En cas de maladie ou d’absence, Monsieur Flaubert sera suppléé dans ses fonctions par l’adjoint qui sera désigné.

11°) Il veillera à ce que le chirurgien interne de semaine soit toujours dans l’intérieur de la maison de jour et de nuit, afin que les pauvres malades qui se présenteront pour être admis et ceux qui sont déjà dans l’hospice, puissent être secourus dans leur besoin avec toute la célérité que l’humanité et l’institution de cette maison réclament.

Il veillera également à ce que les pansements se fassent avec un tel ordre qu’ils se terminent toujours dans un délai proportionné à leur nature, afin d’éviter de la part des élèves une résidence trop prolongée : source d’abus plus ou moins marquans.

12°) Le Chirurgien en chef sera tenu d’apporter lui-même, tous les trois mois, en séance de l’administration, la liste de tous les chirurgiens internes et des élèves qui travaillent dans l’hospice, contenant les noms, surnoms, l’objet des fonctions de chaque chirurgien interne et son opinion sur chacun des dits chirurgiens internes et élèves, afin que l’administration puisse être sans cesse entourée de l’apperçu d’une confiance légitime.

13°) Il ne pourra aux termes des règlements « ad hoc » et notamment de la Délibération du 11 octobre dernier, exister pour le service de la chirurgie, plus de vingt élèves dans l’hospice : ils ne pourront y être admis sans le concours de la Commission administrative. À cet effet, en cas de retraite, démission ou renvoi de l’un de ces élèves, le chirurgien en chef désignera, avec son opinion, celui ou ceux qui devront compléter le nombre des vingt élèves. Il en sera de même quant aux dix individus admis à la suite des élèves au fur et à mesure que le nombre viendrait à diminuer, soit parce qu’ils passeraient, sur sa proposition, élèves, soit parce qu’ils se retireraient.

14°) Lorsqu’il décédera ou se retirera quelque chirurgien interne par l’effet de retraite ou de la fin de l’exercice limité de sa fonction, le chirurgien en chef sera tenu de présenter lui-même, une liste de trois élèves des plus capables avec notte instructive sur le compte de chacun des sujets, à l’effet d’en être choisi un par l’administration pour remplir la place vacante, par les motifs ci-dessus déterminés.

15°) Il donnera l’attention la plus sérieuse pour qu’il ne se passe aucun abus ni désordre, tant dans le laboratoire que dans la salle de chirurgie, et que tous les chirurgiens internes ainsi que les élèves se comportent toujours avec toute la décence, la tranquillité et les égards qui conviennent à leur fonction.

16°) Le chirurgien en chef ne pourra prendre de chaque élève qui sera reçu dans l’Hôtel-Dieu, qu’une somme de vingt quatre francs, lors de son entrée. En cas de renvoi il fera part des motifs à l’administration qui se réserve, à cet égard, la grande police.

17°) Le chirurgien en chef sera tenu de faire son service ; savoir : dans l’été, pour le matin à partir de l’heure de six jusqu’à six heures et demie ; et dans l’hiver de sept à huit heures. En ce qui concerne l’après-midi, à quatre heures en tous tems.

18°) Il ne pourra exiger aucune somme de malades payants, soit qu’ils soient en chambre, soit qu’ils soient dans les salles de l’Hôtel-Dieu.

Telles sont les conditions et obligations imposées au chirurgien en chef qui, après en avoir entendu la lecture, a promis les remplir exactement.

En conséquence, il a été arrêté que copie de la présente, de tous les rêglemens et délibérations dont la connaissance sera jugée être nécessaire au chirurgien en chef pour son instruction, lui seront transmis aux fins de leur exécution et accomplissement.

Il sera également remis copie, également copie de la présente à Monsieur Le Moyne, Directeur de l’hospice d’humanité, aux fins d’exécution en ce qui le concerne.

En cet instant, Monsieur Flaubert s’est retiré.

Les membres composant la Commission administrative des hospices civils de Rouen.

De Martainville

Grémont

Robt. Garvey

Par la Commission

Le Barbier, sre.

 


(1) M. Ribard, membre de la Chambre des députés, est devenu maire par ordonnance royale le 29 novembre 1815 en remplacement de M. Lézurier de la Martel, démissionnaire. C’est en son nom, que M. de Martainville, président de la Commission, prononça ce discours.