A propos des Sociétés savantes

Les Amis de Flaubert – Année 1967 – Bulletin n° 31 – Page 3

 

Les sociétés savantes

Éditorial

La plupart des sociétés savantes de Normandie de caractère démocratique ont l’heureuse idée d’organiser chaque année dans une ville différente : l’an dernier à Rouen, cette année à Evreux, un congrès sur les thèmes proposés pour le prochain congrès national des sociétés savantes qui doit se tenir à Pâques, à Tours, et l’année suivante à Pau.

Notre association n’est pas, à vrai dire, une société savante, puisqu’elle se consacre au souvenir d’un écrivain, mais les organisateurs ont pensé que nous nous rattachions au mouvement et à l’histoire des idées. Nous n’avons pas à le regretter puisque grâce aux prospectus que nous y distribuons, nous augmentons le nombre de nos abonnés.

Le but cherché par ce congrès est d’inciter les membres de ces sociétés à y présenter des communications et à les soutenir : il y en eut dix-sept cette année pour deux jours et toutes de haute qualité. Mais aussi permettre à des chercheurs des deux départements de se rencontrer, même de se connaître, et d’échanger leurs opinions et leurs connaissances s’ils sont attachés aux mêmes disciplines.

Les sociétés de caractère intellectuel ont également besoin de se reconvertir et de s’adapter à notre siècle. La plupart, plus que centenaires, vivent trop avec le souvenir de leur passé, comme si nous étions encore avant la guerre de 1914, qui fut généralement pour elles, leur meilleure époque. Elles en pâtissent, surtout parce qu’elles n’ont pas osé fixer le montant de leurs cotisations en rapport de l’élévation des tarifs d’imprimerie : leurs bulletins représentent le plus important de leurs dépenses. Beaucoup même ont dû l’abandonner. Le nombre de leurs adhérents s’en est ressenti, car les bulletins sont les liens entre la société et ses membres plus ou moins éloignés et entre sociétés de mêmes disciplines. Une société qui régulièrement ne peut plus publier est condamnée à mourir lentement. Nous le savons aux Amis de Flaubert, qui avons reparu en 1948, sous une autre formule, ce que serait pour notre effectif, la suppression de notre bulletin. C’est lui qui nous a permis de progresser et d’avoir aujourd’hui une assise solide.

On constate aussi que les gens de notre époque s’intéressent moins qu’autrefois aux sociétés locales, qui sont pourtant une forme de démocratie directe. L’automobile, la télévision sont des modes d’évasion qui écartent de la recherche et aussi de la lecture, avec aussi probablement l’élévation sensible des impôts et du coût de la vie. Ces facteurs en sont sans doute les causes primordiales. De nos jours, les individus ont la fâcheuse tendance de se recroqueviller sur eux-mêmes et de se montrer ainsi plus égoïstes. Tout vous est dû, mais rien n’est dû en échange. On connaît toujours ses droits, mais on ignore volontairement ses devoirs.

En général les sociétés savantes comptent moins de membres qu’avant 1914, alors que normalement elles devraient en avoir davantage. Il n’y a jamais eu autant de bacheliers, de licenciés, d’agrégés, de docteurs qui devraient normalement grossir leurs effectifs. Ceux-ci les ignorent souvent, alors que, par leur présence, ils pourraient rénover les méthodes et les modifier dans un sens plus scientifique. C’est aussi un moyen pour les universitaires, de pouvoir s’introduire dans les milieux instruits d’une ville, ce qui est toujours utile. Il est vrai à leur décharge, que quelques sociétés se confinent encore à des distributions de prix illusoires sur des estrades, ce qui constitue pour elles le principal de leurs activités, et où leurs membres, généralement âgés, se réjouissent de pouvoir encore se pavaner et de se croire importants et utiles. L’appartenance recherchée à certaines sociétés dites savantes, semble être pour quelques-uns, un socle glorieux et immortel pour leur carte de visite.

Les véritables chercheurs ont une autre mentalité et ne tiennent nullement à s’exhiber : c’est en définitive, ce qui importe. On peut se demander si la méfiance des jeunes à l’égard des sociétés savantes, ne tient pas en partie à cette triste constatation visuelle. Il faut dire qu’aux congrès de Rouen et d’Evreux, plus de la moitié des communications ont été apportées par des jeunes de moins de quarante ans, ce qui est un indice probant que, lorsque l’on sait s’adapter à son temps, les conflits de générations s’atténuent et disparaissent à souhait.

C’est à notre avis dans cette direction que nos diverses sociétés intellectuelles doivent résolument avancer. Cette initiative régionale de congrès annuel, qui n’est pas la seule en France, peut et doit réveiller et fortifier le sens de la recherche scientifique régionale et finalement attirer l’attention des mannes nationale, départementale et communale sur leurs petites sociétés locales qui cherchent à faire aimer et comprendre le passé et le présent d’une époque, le long et pénible effort des générations humaines, comme nous nous efforçons nous-mêmes de rappeler une époque à travers la vie d’un ou plusieurs écrivains normands.

Voici pourquoi nous sommes à côté de tous ceux qui, par un moyen ou par un autre, essaient par leur dévouement, leur dynamisme, leur bonne humeur, de redonner un lustre et une vitalité à ces diverses sociétés qui, le plus souvent trop discrètement, contribuent effectivement à la persistance de la vie de l’esprit dans leur région. Ils le méritent, car ils ont toujours le sens de la collectivité d’une façon désintéressée.

André Dubuc.