Les Amis de Flaubert – Année 1967 – Bulletin n° 31 – Page 45
Sartre et Flaubert : bourgeois honteux ou grognons ?
M. Michel-Antoine Burnier analysant Les existentialistes et la politique dans un ouvrage de la collection « Idées » (Gallimard) donne en référence (p. 184) cette note :
« Sartre est passionné, fasciné par Flaubert depuis quelques années. N’y a-t-il pas là une sorte d’envie ? Flaubert peut détester la bourgeoisie, la mépriser, en faire un portrait peu flatteur, pour rendre la bêtise de ses organisations et de ses représentants, affirmer qu’il se sent étranger à sa classe. Il reste malgré tout pleinement bourgeois, par un lien quasi « naturel ». Lorsque la domination de la classe est mise en danger, Flaubert se montre totalement solidaire de la bourgeoisie, sans que cela lui pose un problème.
Après les années 1952, Sartre ne rêve-t-il pas d’avoir des liens semblables avec la classe ouvrière ? Être attaché à elle sans possibilité de retour, quoiqu’il fasse, quoiqu’il dise ; pouvoir critiquer la classe, ses organisations, ses représentants, sans qu’une solidarité fondamentale puisse être mise en question, sans que la classe, même dans la politique, puisse le récuser et le repousser ; être lié à elle tout en se sentant profondément étranger.
Sartre ne revendique même pas à l’égard du prolétariat tout ce que revendique Flaubert à l’égard de la bourgeoisie : la possibilité de détester, de mépriser, de dénigrer. Cette intégration à distance qui fut donnée à Flaubert presque malgré lui, une origine sociale, mais surtout la politique de notre temps la refusant à Sartre. Sartre est coupé du prolétariat, son seul rapport avec lui passe par une organisation politique, une institution qui se réclame de la classe et qui n’autorise en aucun cas ce genre de liberté. »