Les Amis de Flaubert – Année 1971 – Bulletin n° 38 – Page 45
Un billet inédit de George Sand à Flaubert à propos de
L’Éducation Sentimentale
À la fin de 1869, Flaubert est abreuvé de dégoûts, et particulièrement affecté par l’accueil sévère que la critique réserve à son nouveau roman. Aux insultes furibondes de Barbey d’Aurevilly s’ajoutent la malveillance de Sarcey et d’Edmond Schérer, les attaques de Cesena et de Duranty, les dédains de Maxime Du Camp et de Paul de Saint-Victor, la cuistrerie de Saint-René Taillandier, le mutisme de Renan et de quelques autres, sans compter les colères des bourgeois de Rouen. « Quand une grenouille commence à coasser, toutes les autres s’en mêlent ». Il a beau écrire à George Sand, le « vieux troubadour » : « Tout ça ne me dévisse nullement », et quatre jours plus tard la même phrase où démonte remplace dévisse, il n’arrive pas à donner le change, et l’amertume déborde dans toutes les lettres de cette époque.
Mais malheureusement quelques voix s’élèvent au-dessus du concert des grenouilles, des voix qui cherchent à comprendre et non à condamner : celles de Jules Levallois dans l’Opinion nationale, de Zola dans la Tribune, de George Sand dans la Liberté (1).
C’est par tous les moyens que celle-ci cherche à remonter, à revisser le pauvre auteur « trépigné ». Elle l’invite à Nohant, où il viendra passer cinq jours, du 23 au 27 décembre, cinq jours de gaieté pendant lesquels les fameuses marionnettes de Maurice seront mises à contribution pour le dérider par des féeries et des farces pleines de drôlerie et d’invention. Le résultat n’est pas mauvais, puisque George Sand peut constater dans son agenda quotidien que Flaubert s’amuse comme un moutard, qu’il rit à se tordre, jusqu’au dernier jour où il s’habille en femme et danse la cachucha avec Plauchut, au milieu des éclats de rire de l’assistance follement amusée (2).
Mais George Sand sait bien que, l’excitation passée, son ami risque de retomber dans ses humeurs noires : aussi lui écrit-elle très souvent au cours de cette période de spleen, après comme avant l’escapade de Noël, et dans toutes ses épîtres glisse au moins une phrase tonique d’encouragement. Le 9 janvier 1870, est partie pour Croisset une longue lettre que le destinataire déclarera « chouette », et qui l’est en effet : inspirée par l’amitié, certes, mais une amitié clairvoyante et qui n’altère pas le jugement (3).
Voici un autre témoignage, inédit :
Plauchaut m’écrit ce matin que ton roman a beaucoup de succès à Paris. Je suis contente de ne m’être pas trompée.
Je t’embrasse.
G. S.
Nohant, 11 janvier.
Ce court billet, qui a figuré dans un catalogue d’autographes ces temps derniers (4), montre qu’elle n’attendait pas la réponse à sa lettre du 9 pour communiquer à Flaubert l’information qui lui parvenait de la capitale, et qu’elle savait de nature à mettre du baume sur la démangeaison.
C’est ça, l’amitié.
Georges Lubin
(1) L’Opinion nationale du 22 novembre, la Tribune du 28 novembre, la Liberté du 21 décembre (ce dernier article a été recueilli dans Questions d’art et de Littérature).
(2) Voir l’article d’A.-F.-J. Jacobs dans les Amis de Flaubert, n° 8, de 1956.
(3) Correspondance entre George Sand et Flaubert, pp. 194-197.
(4) Catalogue G. Morssen (hiver 1970-1971. Février), pièce n° 343-b.