Les Amis de Flaubert – Année 1971 – Bulletin n° 39 – Page 23
Encore le Dictionnaire des idées reçues
Dans le numéro 25 du Bulletin des Amis de Flaubert (décembre 1964), je publiais, sous le titre Madame Bovary et les Idées Reçues, une liste assez longue des rapprochements avec le Dictionnaire, que m’avait suggérés une récente lecture de Madame Bovary.
Deux ans plus tard paraissait l’ouvrage de Mme Léa Caminiti (1), Édition Diplomatique des trois manuscrits de Rouen, du Dictionnaire des Idées Reçues (Liguori, Naples, et Nizet, Paris, 1966), avec en appendice Les « Idées Reçues » dans l’œuvre de Flaubert.
Ayant moi-même émis le vœu, à la fin de mon article, qu’une étude systématique des influences du Dictionnaire sur l’Éducation Sentimentale fût tentée, je ne pouvais que me réjouir de voir mener à bonne fin cette entreprise, à propos non seulement de l’Éducation Sentimentale, mais encore de toutes les œuvres de Flaubert, écrits de jeunesse, correspondance et carnets de voyage compris.
L’ouvrage de Mme Caminiti est considérable : il constitue, à mon sentiment, l’édition critique et définitive d’une œuvre de conception et de structure tout à fait exceptionnelles, puisque son auteur n’en avait jamais tenté la publication, et qu’elle s’est trouvée scindée en plusieurs manuscrits, disséminée pour une bonne part dans les notes de Flaubert. J’ai également été séduit par l’élégance de la langue de l’ouvrage. Mme Caminiti aime Flaubert, le connaît comme peu le connaissent, et a acquis (à son contact sans doute) une totale maîtrise de la langue française, au point d’avoir rédigé son ouvrage en français.
Si (comme je le souhaite) une réédition devait voir de jour (et après tout, les Flaubertiens sont assez nombreux en France et dans le monde pour épuiser cette première édition d’un ouvrage-clef), je conseillerais à Mme Caminiti de procéder à une relecture minutieuse, en vue d’éliminer des coquilles extrêmement nombreuses, qui s’expliquent pour une bonne part, du fait que le livre a été imprimé à l’étranger. L’énumération de ces lapsus, qui ne diminuent en rien la valeur de l’œuvre, serait fastidieuse, et je suis sûr du reste que la plupart d’entre eux lui ont été signalés ou qu’elle les a relevés elle-même. Le plus curieux porte sur l’orthographe… du mot orthographe lui-même, régulièrement amputé de son premier h (cf. notamment pp. 45 et 46). D’autres sont sans doute des lapsus de l’auteur (ainsi, p. 294, à l’article « Jeune Homme », c’est Charles, et non Homais, qui dit, à propos de Rodolphe : Quand on a de la fortune etc.).
Une autre erreur (p. 343, sous le titre Idées Reçues qui ne sont pas comprises dans le Dictionnaire) est d’autant plus surprenante que Mme Caminiti a relevé l’une de ces idées reçues, et dans le Dictionnaire, et dans les citations extraites de l’œuvre de Flaubert. Il est bien exact que, dans la quatrième citation de cette page 343, les amours envolés, la tombe du père ou de la mère (2), les souvenir bénis, les médailles que l’on baise, et les pleurs à la lune, ne figurent pas au Dictionnaire, et sont tout de même des « idées reçues ». Mais… ceux qui délirent de tendresse en voyant des enfants ? Reportons-nous au Dictionnaire (p. 264 du même ouvrage), article Enfants. On y lit : Affecter pour eux une tendresse lyrique quand il y a du monde, avec, à la suite, 4 citations tirées de l’œuvre de Flaubert, dont en particulier (ce qui ne manque pas de piquant), le texte noté p. 343 sous le titre Idées Reçues qui ne sont pas comprises dans le Dictionnaire.
Pour ce qui est de l’ Appendice, qui, lui aussi constitue une somme considérable, Mme Caminiti dresse le bilan des apports de ses prédécesseurs, et de ses propres recherches, et aboutit à une liste tout à lait impressionnante de citations (cf. p. 42) : 1.096 en tout (3). Je regrette personnellement que l’auteur ait omis d’inclure dans ce relevé certains, rapprochements originaux que j’avais effectués dans mon article ou que, le faisant, elle n’en ait pas signalé la provenance, tombant ainsi sous le coup de la critique qu’elle m’adresse dans une note de la p. 40. Mais le plus important est que ce relevé apparaît comme très incomplet. L’objet de cet article, en donnant une nouvelle liste de rapprochements entre le Dictionnaire d’une part, et Madame Bovary et l’Éducation Sentimentale de l’autre (liste dont je ne puis affirmer qu’elle soit exhaustive, et qui, de toutes manières, ne porte que sur ces deux romans) est d’amener Mme Caminiti à recompléter son ouvrage, en y incorporant ces nouvelles citations, si elles lui semblent probantes, et en effectuant de nouvelles recherches dans les autres écrits de Flaubert, que je n’ai pas eu le loisir de relire de bout en bout, la plume à la main.
Les passages de l’Éducation et de Madame Bovary que nous transcrivons ne reflètent pas toujours servilement les définitions du Dictionnaire. De même que Mme Caminiti relève avec juste raison en face du mot Mandoline, la résolution de Léon de prendre des leçons de guitare, de même nous avons noté (4) la parenté entre la définition de Drapeau National et le passage du compte-rendu d’Homais dans le Fanal de Rouen, où les débris de nos immortelles phalanges sentent battre leur cœur au son mâle des tambours. De même la réflexion du pharmacien sur un bon pot-au-feu ne nous paraît pas déplacée en regard de l’article bouilli.
Par ailleurs, il est toujours difficile de décider quand Flaubert raille les idées reçues chez les autres, quand il a conscience d’en être victime lui-même et quand il y a recours inconsciemment. Il est certain que s’il rapporte certains propos au style direct (ou même au style indirect), il ne les prend pas à son compte, et donc que le parti-pris de raillerie est visible. Mais comment savoir par exemple si, dans la description des bottes d’Arnoux en cuir de Russie (É. S., 1, 5 (5)), il y a clin d’œil au lecteur, ou si Flaubert est lui-même victime de l’automatisme qu’il signale dans le Dictionnaire : Tous les cuirs viennent de Russie ? Comme Mme Caminiti, nous pensons que les idées reçues valent la peine d’être notées dans tous les cas. Cette identité de vues pourrait faciliter l’incorporation des citations qui vont suivre à celles, très nombreuses que Mme Caminiti nous a données.
ABSINTHE : Poison extra-violent : un verre et vous êtes mort. Les journalistes en boivent pendant qu’ils écrivent leurs articles. A tué plus de soldats que les Bédouins.
« Il se dirigeait alors vers le Passage des Panoramas, pour prendre l’absinthe » (É. S., I, 48).
« Venez-vous la prendre ? », dit Regimbart. — « Prendre qui ? » — « L’absinthe ! » (É. S., 1, 51).
ACADÉMIE FRANÇAISE : La dénigrer, mais tâcher d’en faire partie si on peut.
« Il fallait attaquer les idées reçues, l’Académie, l’École Normale, le Conservatoire, la Comédie-Française, tout ce qui ressemblait à une institution. » (É. S., I, 218).
« Plus d’académies ! plus d’institut ! » (É. S., Il, 129).
ACCOUCHEMENT : Mot à éviter ; le remplacer par événement. « Pour quelle époque attendez-vous l’événement ? »
« Puis, au milieu de la rue, sur la porte, une petite porte bâtarde, l’enseigne répétait (sans le mot accouchement) : « Maison de santé de Mme Alessandri », avec tous ses titres. » (É. S., II, 223).
ADIEUX : Mettre des larmes dans sa voix en parlant des adieux de Fontainebleau.
(Pendant la visite du château de Fontainebleau) « Un domestique… leur montra d’abord les appartements des reines, l’oratoire du Pape, la galerie de François-1er, la petite table d’acajou sur laquelle l’Empereur signa son acte d’abdication. » (É. S., II, p. 145).
AGRICULTURE : Une des mamelles de l’État… On devrait l’encourager. Manque de bras.
« Rien de tout cela ne serait survenu si on protégeait mieux l’agriculture » (É. S., I, 169).
AMBITIEUX : En province, tout homme qui fait parler de lui. « Je ne suis pas ambitieux, moi ! » veut dire égoïste ou incapable.
« Ces triomphes ne tentaient guère Frédéric, qui n’avait point d’ambition » (É. S., I, 102).
ANGLAIS : Tous riches.
« Et Pellerin lui demanda s’il était vrai que le fameux Saül Mathias, de Londres, fût venu, le mois passé, lui en offrir vingt-trois mille francs. « Rien de plus vrai » et, se tournant vers Frédéric : « C’est même le monsieur que je promenais l’autre jour à l’Alhambra, bien malgré moi, je vous assure, car ces Anglais ne sont par drôles » (É. S., I, 100).
ARMÉE : Le rempart de la Société.
« En effet, avoir combattu l’émeute, c’était avoir défendu la République. » (É. S., II, 177).
« … et plusieurs moyens étaient proposés, tels que ceux-ci :… confier tout aux généraux de division » (É. S., Il, 229).
ARSENIC : Se trouve partout (rappeler Mme Lafarge).
« M. Gamblin lui demanda immédiatement son opinion sur Mme Lafarge.
Ce procès, la fureur de l’époque, ne manqua pas d’amener une discussion violente.. » (É. S.. 1, 14).
ART : Ça mène à l’hôpital. À quoi ça sert, puisqu’on le remplace par la mécanique, qui fait mieux et plus vite ?
« Je voudrais savoir un peu où est le candidat de l’Art dans tout cela. Moi, j’ai fait un tableau… » — « Nous n’avons que faire des tableaux ! », dit brutalement un homme maigre. » (É. S., II, 128).
ARTISTES :… Gagnent des sommes folles, mais les jettent par les fenêtres. Souvent invités à dîner en ville… Ce qu’ils font ne peut s’appeler travailler.
« Il y mènerait une vie d’artiste » (Mme B., 166).
« Puis les convives arrivèrent presque en même temps : Dittmer, Lovarias, Burieu, le compositeur Rosenwald… et enfin l’illustre Pierre-Paul Meinsius, le dernier représentant de la grande peinture… » (É. S., I, 57).
« D’abord, il étala des goûts d’artistes, en blâmant la forme des carafons et la gravure des couteaux. » É. S., II, 172).
BAISER : Dire embrasser, plus décent.
« Allons, baisez maîtresse, vous qui n’avez pas de chagrins ! » (mais l’édition originale de Madame Bovary porte, p. 65 : « Allons, embrassez maîtresse… »).
BALLONS : Avec les ballons, on finira par aller dans la lune. On n’est pas près de les diriger.
« Ce sera comme si nous montions en ballon, comme si nous partions vers les nuages. » (Mme B., 275).
BANQUET : La plus franche cordialité ne cesse d’y régner. On en emporte le meilleur souvenir, et on ne se sépare jamais sans s’être donné rendez-vous pour l’année prochaine.
« … et il fut du banquet offert à la Garde Nationale d’Amiens » (É. S. II, 136).
BANQUIERS : Tous riches, Arabes, loups cerviers.
« Dix ans plus tard, son capital disparaissait dans la faillite d’un banquier à Melun. » (É. S., I, 109).
BAS-BLEU : Terme de mépris pour désigner toute femme qui s’intéresse aux choses intellectuelles.
« … des espèces de romans à cartonnages roses et à style douceâtre, fabriqués par des séminaristes troubadours ou des bas-bleus repenties. » (Mme B., 303).
BIBLIOTHÈQUE : Toujours en avoir une chez soi, surtout quand on habite la campagne.
« Deslauriers ne fit aucune observation. Il en fit dans la bibliothèque, qu’il appela une bibliothèque de petite fille. La plupart des littérateurs contemporains s’y trouvaient. » (É. S., I, 173).
BONNES : Toutes mauvaises ! Il n’y a plus de domestiques !
« Et, lisant à demi-voix le cahier, Rosanette faisait des observations sur chaque article. L’addition était fausse. « Rendez-moi quatre sous ! » Delphine les rendit, et, quand elle l’eut congédiée : « Ah ! Sainte-Vierge ! Est-on assez malheureux avec ces gens-là ! » (É. S., I, 162).
« Elle sonna pour avoir un verre d’eau, en but une gorgée, le renvoya, puis se plaignit de ce qu’on la servait horriblement. » (É. S., II, 200).
BOUILLI (le) : C’est sain. Inséparable du mot soupe. La soupe et le bouilli.
« Toutes ces nourritures épicées… ne valent pas, quoi qu’on en dise, un bon pot-au-feu ! » (Mme B., 172).
CATAPLASME : Doit toujours être mis en attendant l’arrivée du médecin.
« Elle lui apportait des linges pour ses cataplasmes » (Mme B., 254). « Il abandonna tous ses malades ; il ne se couchait plus ; il était continuellement à lui tâter le pouls, à lui poser des sinapismes… » (Mme B., 296).
« Elle est bien mal, n’est-ce pas ? Si l’on posait des sinapismes ! » (Mme B., 451).
CÉLÉBRITÉ : Les célébrités : s’inquiéter du moindre détail de leur vie privée, afin de pouvoir les dénigrer.
« L’article de fond, invariablement, était consacré à démolir un homme illustre ». (É. S., Il, 39).
« Hussonnet, qui se livrait au dénigrement des gloires contemporaines… » (É. S., Il, 230).
CHAMPAGNE : Caractérise le dîner de cérémonie… Sous la Régence, on ne faisait pas autre chose que d’en boire…
« Cisy… jura qu’il pouvait boire douze verres de vin de Champagne pendant les douze coups de minuit, propose à la Maréchale de parier… » (É. S., II, 5).
CHANTEUR : … Le ténor a toujours une voix charmante et tendre, le baryton un organe sympathique et bien timbré, et la basse une émission puissante.
« Un bel organe, un imperturbable aplomb, plus de tempérament que d’intelligence et d’emphase que de lyrisme… » (Mme B., 316).
CHASSE : Excellent exercice que l’on doit feindre d’adorer.
« Et au bout de la semaine, il était parti pour la chasse » (Mme B., 217).
« Rodolphe qui, pour se distraire, avait battu le bois toute la journée » (Mme B., 477).
« Un sportsman contait une histoire de chasse » (É. S., I, 193).
CHASSEUR : … L’attirail du chasseur. On se lève matin. La chaussure d’autant plus lourde et épaisse qu’on a beaucoup à marcher.
« II… graissait ses souliers de chasse avec le lard de ses cochons » (Mme B., 10).
CHEMINS DE FER : … S’extasier sur leur invention, et dire : « Moi, monsieur, qui vous parle, j’étais ce matin à X… ; je suis parti par le train de X… ; Ià-bas, j’ai fait mes affaires, etc., et à X heures j’étais revenu ! ».
« D’autres causaient chemins de fer… ». (É. S., I, 193).
CHEVAL : S’il connaissait sa force, ne se laisserait pas conduire… Cheval de course : le mépriser. À quoi sert-il ?
« Et à travers leurs manières douces, perçait cette brutalité particulière que communique la domination des choses à demi faciles, dans lesquelles la force s’exerce et où la vanité s’amuse, le maniement des chevaux de race, et la société des femmes faciles. » (Mme B., 74).
« On entourait un tout jeune homme qui avait battu, la semaine d’avant, Miss-Arabelle et Romulus, et gagné deux mille louis à sauter un fossé, en Angleterre. L’un se plaignait de ses coureurs qui engraissaient, un autre des fautes d’impression qui avaient dénaturé le nom de son cheval. » (Mme B., 74).
CHRISTIANISME : A affranchi les esclaves.
« L’Évangile conduisait tout droit à 89 ! Après l’abolition de l’esclavage,
l’abolition du prolétariat. » (É. S., II, 126).
COMÉDIE : En vers ne convient plus à notre époque. On doit cependant respecter la haute comédie. Castigat ridendo mores.
« II… s’étendit sur la mission civilisatrice du comédien. Puisque le théâtre était le foyer de l’instruction nationale, il votait pour la réforme du théâtre. » (É. S., II, 128).
COMMUNION : La première communion : le plus beau jour de la vie.
« Il lui rappela le jour de sa première communion, et comme elle était gentille aux vêpres, avec son voile blanc et son grand cierge. » (É. S., Il, 57).
CONCILIATION : La prêcher toujours, même quand les contraires sont absolus.
« Enfin le Baron, s’adressant à Frédéric : « Tout dépend de vous, Monsieur ! Il n’y a jamais de déshonneur à reconnaître ses fautes ». (É. S., II, 34).
CONCURRENCE : L’âme du commerce.
« Rien de tout cela ne serait survenu si… tout n’était pas livré à la concurrence… » É. S., I, 169).
CONVERSATION : La politique et la religion doivent en être exclues.
« Madame Dambreuse l’arrêta. « Ah ! que c’est vilain de s’échauffer pour la politique ! Un jeune homme ! fi donc ! » (É. S., II, 172).
COURTISANE : Est un mal nécessaire. Sauvegarde de nos filles et de nos sœurs tant qu’il y aura des célibataires. Devraient être chassées impitoyablement. On ne peut plus sortir avec sa femme à cause de leur présence sur le boulevard. Sont toujours des filles du peuple débauchées par des bourgeois riches.
« Delmar, sérieux comme un pontife, déclamait une poésie humanitaire sur la prostitution. » (É. S., II, 193).
« Les fermières des alentours en tremblaient pour leurs maris, les bourgeoises le redoutaient pour leurs bonnes, parce que la cuisinière de M. le Sous-Préfet y avait été surprise ; et c’était, bien entendu, l’obsession secrète de tous les adolescents. » (É. S., II, 273).
CYPRÈS : Ne pousse que dans les cimetières.
« Car elle devenait sérieuse, et même, avant de se coucher, montrait toujours un peu de mélancolie, comme il y a des cyprès à la porte d’un cabaret. » (É. S., II, 230).
DÉCORATION de la Légion d’Honneur : La blaguer mais la convoiter.
« Le clerc sentit alors l’infirmité de sa position ; il envia des épaulettes, des croix, des titres. » (Mme B., 379).
DÉPUTÉ : L’être, comble de la gloire. Tonner contre la Chambre des Députés. Trop de bavards à la Chambre. Ne font rien.
« … puis, à la tribune de la Chambre, orateur qui porte sur ses lèvres le salut de tout un peuple… » (É. S., I, 105).
« Il attaqua les financiers, les députés… » (É. S., II, 47).
« Car Frédéric pouvait parvenir à la députation… » (É. S., II, 51).
« On arriva bientôt aux élections pour l’Assemblée Nationale, et aux candidats dans l’arrondissement de la Fortelle. Celui de l’opposition n’avait pas de chances. « Vous devriez prendre sa place ! », dit M. Dambreuse. » (É. S., II, 117).
« Et puis il était séduit par le costume que les députés, disait-on, porteraient. Déjà, il se voyait en gilet à revers avec une ceinture tricolore ». (É. S., II, 118).
« La candidature de Frédéric lui parut favorable à ses idées. Elle l’encouragea, en lui montrant la gloire à l’horizon. Rosanette se réjouit d’avoir un homme qui parlerait à la Chambre ». (É. S., II, 119).
« Mais toi ? Rien ne t’empêche ? Pourquoi ne serais-tu pas député ? » (É. S., II, 204).
« On exalta ses lumières, sa probité, sa générosité, et même son mutisme comme représentant du peuple, car, s’il n’était pas orateur, il possédait en revanche ces qualités solides, mille fois préférables, etc. ». (É. S., II, 220).
DESSERT : Regretter qu’on n’y chante plus…
« M. Homais, vers les liqueurs, entonna le Dieu des bonnes gens, M. Léon chanta une barcarolle, et madame Bovary mère, qui était la marraine, une romance du temps de l’Empire ». (Mme B., 128).
DIANE : Déesse de la chasse-teté.
« La plus belle de ces fameuses s’était fait peindre, à droite, sous la figure de Diane Chasseresse… ». (É. S., II, 146).
DIPLOMATIE : Belle carrière, mais hérissée de difficultés, pleine de mystères…
« Et il affirma qu’il ne plaisantait nullement, qu’il prétendait se lancer dans la diplomatie, que ses études et ses instincts l’y poussaient ». (É. S., I, 120).
« Celle-là, au moins, l’amusait ! Elle savait les intrigues du monde, les mutations et ambassadeurs… ». (É. S., II, 195).
« Depuis l’insuccès électoral de Frédéric, elle ambitionnait pour eux deux une légation en Allemagne ». (É. S., II, 229).
DOCTRINAIRES : Les mépriser. Pourquoi ? On n’en sait rien.
« Il effrayait par sa virulence le parti conservateur, tous les jeunes doctrinaires issus de M. Guizot ». (É. S., 1, 136).
DÔMES : Tour de forme architecturale. S’étonner de ce que cela puisse tenir seul. En citer deux : celui des Invalides, et celui de Saint-Pierre de Rome.
« Ils apercevaient tout à coup quelque cité splendide avec des dômes ». (Mme B., 277).
DOULEUR : A toujours un résultat favorable. La véritable est toujours contenue.
« Puis elle écarta les deux bras, en se tordant la taille comme dans le spasme d’un désespoir contenu ». (É. S., II, 212).
DRÔLE : Doit s’employer à tout propos. « C’est drôle ».
« C’était un mouvement, un spectacle des plus drôles ». (É. S., II, 142).
ÉVANGILES : Livres divins, sublimes, etc.
« Les autres… l’écoutaient discourir sur le suffrage universel, d’où devait résulter le triomphe de la Démocratie, l’application des principes de l’Évangile ». (É. S., II, 75).
« L ‘Évangile conduisait tout droit à 89 ! ». (É. S., II, 126).
FACTURE : Toujours trop élevée.
« Il se récria considérablement devant l’addition, et la fit réduire ». (É. S., /, 10).
FATALITÉ : Mot exclusivement romantique.
« Elles se réuniront, s’aimeront, parce que la fatalité l’exige ». (Mme B. 206).
FERME (subst.) : Lorsqu’on visite une ferme, on ne doit y manger que du pain bis et ne boire que du lait…
« Chaque année…, il décampait le matin, faisait de longues courses à travers champs, buvait du lait dans les fermes… ». (É. S., I, 98).
« Rosanette,… prise d’une sorte de délire, allait et venait, essayait de traire la chèvre, mangeait du gros pain, aspirait l’odeur du fumier… ». (É. S., II, 226).
FILLE : Articuler ce mot timidement. Toutes les jeunes filles sont pâles et frêles, toujours pures. Éviter pour elles tout espèce de livres…
« Les dames furent scandalisées, et principalement la Poissarde, mère d’une fille dont elle voulait faire une femme honnête ». (É. S., I, 152).
FORÇATS : Ont toujours une figure patibulaire.
« Des galériens enfoncèrent leurs bras dans la couche des princesses… D’autres, à figures plus sinistres, erraient silencieusement, cherchant à voler quelque chose ». (É. S., II, 109).
FOULE : A toujours de bons instincts… la vile multitude (Thiers).
« La foule inoffensive se contentait de regarder ». (É. S., II, 107).
« Et le peuple, moins par vengeance que pour affirmer sa possession, brisa, lacéra les glaces et les rideaux, les lustres, les flambeaux… Puisqu’on était victorieux, ne fallait-il pas s’amuser ? ». (É. S., II, 108).
« La foule innombrable parlait très haut… Sous les portes cochères, des hommes d’allures mystérieuses proposaient des cannes à dard… Des groupes de badauds occupaient les trottoirs ; une multitude compacte s’agitait sur le pavé… C’était un mouvement, un spectacle des plus drôles ». (É. S., Il, 142).
GAMIN : Toujours de Paris…
« Moi, dit Binet, j’ai vu autrefois une pièce intitulée le Gamin de Paris… ». (Mme B., 307).
GENDARME : Rempart de la société.
« … et la France râle, énervée, sous la botte du gendarme et la soutane du calotin ! ». (É. S., I, 171).
GÉNÉRAL : Est toujours brave. Fait généralement ce qui ne concerne pas son état, comme être ambassadeur, conseiller municipal, ou chef de gouvernement.
« Fumichon donnait la palme au militaire ». (É. S., II, 176).
« Un second parallèle vint après, celui de Lamoricière et de Cavaignac, M. Dambreuse exaltant Cavaignac, et Nonancourt Lamoricière ». (É. S., II, 176).
« Et, comme il lui fallait toujours un sauveur, sa reconnaissance, depuis l’affaire du Conservatoire, appartenait à Changarnier : « Dieu merci, Changarnier… Espérons que Changarnier… Oh ! rien à craindre tant que Changarnier… ». (É. S., 11, 197).
« … et plusieurs moyens étaient proposés, tels que ceux-ci… confier tout aux généraux de division… ». (É. S., II, 229).
GROG : Pas comme il faut.
« Il se pencha par la fenêtre, et cria au portier d’aller chercher des grogs au cabaret ». (É. S., I, 217).
GROUPE : Convient sur une cheminée et en politique.
« En résumé, je vois trois partis,… non !… trois groupes — et dont aucun ne m’intéresse : ceux qui ont, ceux qui n’ont plus, et ceux qui tâchent d’avoir ». (É. S., 1, 217).
HABIT NOIR : … En province, est le dernier terme de la cérémonie et du dérangement.
« … et portent enfin à soixante ans… une brochette en croix sur leur habit noir, mal fait ». (Mme B., 88).
« C’est peut-être à cause de ton habit noir qui te va bien ! ». (É. S., Il, 206).
HABITUDE : Est une seconde nature.
« Après ça, direz-vous, l’habitude ! … l’habitude ! ». (Mme B., 259).
HUMIDITÉ : Cause de toutes les maladies.
« … et cette chaleur, cependant, qui, à cause de la vapeur d’eau dégagée par la rivière et la présence considérable de bestiaux dans les prairies… pourrait à la longue, comme dans les pays tropicaux, engendrer des miasmes insalubres… ». (Mme B., 115).
HYDRE : de l’anarchie, du socialisme, et ainsi de suite pour tous les systèmes qui font peur. Tâcher de la vaincre.
« Et tous profitèrent de l’occasion pour tonner contre le Socialisme, dont M. Dambreuse était mort victime. C’était le spectacle de l’anarchie, et son dévouement à l’ordre qui avait abrégé ses jours ». (É. S., II, 220).
HYGIÈNE : Doit toujours être bien entretenue. Elle préserve des maladies, quand elle n’en est pas la cause.
« … mais en somme peu de choses graves, rien de spécial à noter, si ce n’est beaucoup d’humeurs froides, et qui tiennent sans doute aux déplorables conditions hygiéniques de nos logements de paysan ». (Mme B., 115).
HYPOTHÈQUE : Demander la « réforme du régime hypothécaire », très chic.
« Maintenant, on étudie le projet d’une banque hypothécaire ! ». (É. S., II, 143).
INFÉODÉ : Injure très grave et de grand style à jeter à la tête d’un adversaire politique : « Môssieu, vous êtes inféodé à la camarilla de l’Élysée ! ». Ne s’emploie qu’à la tribune.
« C’est parce que l’Art est inféodé à la Couronne ». (É. S., I, 171).
INSTITUT : Les membres de l’Institut sont tous des vieillards et portent des abat-jour en taffetas vert.
« Plus d’Institut ! ». (É. S., II, 129).
ITALIE : Doit se voir immédiatement après le mariage. Donne bien des déceptions, n’est pas si belle qu’on dit.
« A trois pas d’Emma, un cavalier en habit bleu causait Italie avec une jeune femme pâle, portant une parure de perles. Ils vantaient la grosseur des piliers de Saint-Pierre, Tivoli, le Vésuve, Castellamare et les Caccine, les roses de Gênes, le Colisée au clair de lune ». (Mme B., 74).
« Au galop de quatre chevaux, elle était emportée depuis huit jours vers un pays nouveau… Souvent, du haut d’une montagne, ils apercevaient tout à coup quelque cité splendide avec des dômes, des ponts, des navires, des forêts de citronniers et des cathédrales de marbre blanc… On entendait sonner les cloches, hennir les mulets, avec le murmure des guitares et le bruit des fontaines… Et puis, ils arrivaient un soir dans un village de pêcheurs, où des filets bruns séchaient au vent… Ils habiteraient une maison basse, à toit plat, ombragée d’un palmier, au fond d’un golfe, au bord de la mer. Ils se promèneraient en gondole… ». (Mme B., 277).
« … ils achèteraient une calèche, et de là, continueraient sans s’arrêter, par la route de Gênes ». (Mme B., 279).
(Cette dernière citation confirme les rêveries d’Emma, au thème très conventionnel, qui la transportent en Italie).
JALOUSIE : Toujours suivie de effrénée. Passion terrible.
« C’était par jalousie, sans doute ? Prends garde à toi ? ». (É. S., II, 145).
JÉSUITES : Ont la main dans toutes les révolutions. On ne se doute pas du nombre qu’il y en a.
« Deslauriers dénonça les Jésuites, qui venaient de s’installer à Lille, publiquement ». (É. S., II, 75).
« — Est-ce que je fréquente les Jésuites ! — Comment, Jésuites ! ». Le citoyen répondit, furieux : « Avec l’argent d’un patriote que je lui ai fait connaître, ce cochon-là s’est établi marchand de chapelets ! ». (É. S., II, 234).
JEU : S’indigner contre cette fatale passion.
« Eh bien, non », dit Frédéric, « je les ai perdus ! ». — « Ah ! et à quoi ? » — « Au jeu ! ». Deslauriers ne répondit pas un mot, salua très bas, et partit ». (É. S., I, 225).
JOLI : S’emploie pour tout ce qui est beau.
« Souvent, il faisait des exclamations : « Charmant ! fort joli ! ». (Mme B., 415).
« …plein de jolies choses, ma parole d’honneur ! ». (É. S., II, 232).
JOUR : Il y a les jours de Monsieur, le jour de barbe, le jour de médecine, etc. Il y a les jours de Madame…
« Malgré la gêne du ménage, on a un jour — thés artistiques, où il se dit des vers… ». (É. S., I, 146).
« Cependant, elle était contente d’avoir un jour ». (É. S., II, 230).
JUIFS : Fils d’Israël. Les juifs sont tous marchands de lorgnettes.
« Mais rien ne presse ; quand vous voudrez ! nous ne sommes pas des juifs ! ». (Mme B., 148).
KALÉIDOSCOPE : Ne s’emploie qu’à propos des salons de peinture.
« Le soir, un brillant feu d’artifice a tout à coup illuminé les airs. On eût dit un véritable kaléidoscope, un vrai décor d’opéra ». (Mme B., 217).
LABOUREURS : Que serions-nous sans eux ?
« … et il parla de son père laboureur, faisait le paysan, l’homme du peuple… ». (É. S., II, 117).
LATIN : Langue naturelle à l’homme. Gâte l’écriture. Est naturellement utile pour lire les inscriptions des fontaines publiques.
« Il citait du latin, tant il était exaspéré ». (Mme B., 351).
« On pourrait se servir d’une langue morte, comme par exemple du latin perfectionné. — « Non ! pas de latin ! », s’écria l’architecte. — « Pourquoi ? », reprit un maître d’études ». (É. S., II, 125).
LIBRE-ÉCHANGE : Cause des souffrance du commerce.
« D’autres causaient… libre-échange ». (É. S., /, 193).
LIGUEURS : Précurseurs du libéralisme en France.
« Et il appelait la Ligue « l’aurore de la Démocratie, un grand mouvement égalitaire contre l’individualisme des Protestants ». (É. S., I, 172).
LITTÉRATURE : Occupation des oisifs.
« Et M. de Cisy, qui s’occupait de littérature, s’étonna de ne pas voir sur la table de Frédéric quelques-unes de ces physiologies nouvelles… ». (É. S., I, 173).
LORGNON : Insolent et distingué.
« Frédéric, campé derrière elles, avec son lorgnon dans l’œil… ». (É. S., I, 196).
MÉDECINE : S’en moquer quand on se porte bien.
« Tout à coup, M. Dambreuse, cracha le sang abondamment. « Les princes de la science », consultés, n’avisèrent à rien de nouveau ». (É. S., II, 211).
MÉLANCOLIE : Signe de distinction du cœur et d’élévation de l’esprit.
« Car elle devenait sérieuse, et même, avant de se coucher, montrait toujours un peu de mélancolie ». (É. S., Il, 230).
MINISTRE : Dernier terme de la gloire humaine.
« Elle s’étonnait de ne pas le voir encore ministre, tout en le plaisantant quelque peu ». (É. S., I, 190).
MONARCHIE : La monarchie constitutionnelle est la meilleure des républiques.
« Nous avons subi, depuis l’établissement de la meilleure des républiques, douze cent vingt-neuf procès de presse… ». (É. S., II, 76).
NOURRITURE : Toujours saine et abondante dans les collèges.
« Aussi, lorsque j’étudiais à Rouen la pharmacie, je m’étais mis en pension dans une pension ; je mangeais avec les professeurs ». (Mme B., 172).
ORDRE, L’ORDRE : Que de crimes on commet en ton nom !
« La Démocratie n’est pas le dévergondage de l’individualisme. C’est le niveau commun sous la loi, la répartition du travail, l’ordre ! ». (É. S., I, 242).
« C’était son dévouement à l’ordre qui avait abrégé ses jours ». (É. S., II, 220).
« Hussonnet, qui se livrait au dénigrement des gloires contemporaines (bonne chose pour la restauration de l’Ordre)… ». (É. S., II, 230).
OUVRIER : Toujours honnête quand il ne fait pas d’émeutes.
« Chapeau bas devant ma casquette
À genoux devant l’ouvrier ! ». (É. S., II, 124).
« On aurait dû tuer en masse tous ces gredins-là ! « Ce sont même des lâches », dit Fumichon. « Je ne vois pas de bravoure à se mettre derrière des barricades ». (É. S., II, 173).
PAIN : On ne sait pas toutes les saletés qu’il y a dans le pain.
« Il commença par demander du pain de ménage, le plus ferme possible ». (É. S., 1, 168).
PARIS : La grande prostituée. Paradis des femmes…
« … et Paris agita pour lui, dans le lointain, la fanfare de ses bals masqués avec le rire de ses grisettes ». (Mme B., 166).
PHOTOGRAPHIE : Détrônera la peinture.
« Pellerin, après avoir donné dans le fourriérisme, l’homœopathie, les tables tournantes, l’art gothique et la peinture humanitaire, était devenu photographe… ». (É. S., II, 271).
PLACE : Toujours en demander une.
« Rien ! tu n’as pas d’argent, je le sais. Mais ça ne te gênerait guère de lui découvrir une place… ». (É. S., I, 179).
« Et puis, on te donnera, peut-être, une bonne place ». (É. S., II, 119).
« Puis, le succès obtenu, il lui ferait avoir dans l’administration, une bonne place, de cinq à six mille francs pour le moins ». (É. S., II, 248).
POÉSIE : Est tout à fait inutile. Passée de mode.
« On a un jour, — thés artistiques où il se dit des vers… ». (É. S., I, 146).
« Il lui lisait des pages de poésie, en y mettant toute son âme, afin de l’émouvoir, et pour se faire admirer. Elle l’arrêtait par une remarque dénigrante ou une observation pratique ». (É. S., II, 198).
POÈTE : Synonyme noble de nigaud. Rêveur.
« C’est pourquoi », dit-il, « j’aime surtout les poètes. Je trouve les vers plus tendres que la prose, et qu’ils font bien mieux pleurer » — « Cependant, ils fatiguent à la longue », reprit Emma ». (Mme B., 119).
« Et bientôt ils formèrent tous les trois… un groupe, où vint s’adjoindre… l’amant de la Femme-Sauvage, un jeune poète, exhibant, sous un court mantel à la François 1er, la plus piètre des anatomies… ». (É. S., I, 146).
POLICE : A toujours tort.
« Plusieurs voulaient des indemnités comme anciens martyrs de la police ». (É. S., Il, 122).
POURPRE : Mot plus noble que rouge.
« Des blessés gisaient par terre sur des matelas, ayant pour couvertures des rideaux de pourpre. (É. S., II, 110).
PRINCIPES : Toujours indiscutables. On ne peut en dire ni la nature ni le nombre. N’importe, ils sont sacrés.
« Je suis pour la Profession de foi du Vicaire Savoyard et les immortels principes de 89 ! ». (Mme B., 111).
« Pas un cependant n’est légitime, malgré leurs sempiternels principes. Mais principe signifiant origine, il faut toujours se reporter à une révolution, à un acte de violence, à un fait transitoire. Ainsi, le principe du nôtre est la souveraineté nationale, comprise dans la forme parlementaire, quoique le parlement n’en convienne pas ! Mais en quoi la souveraineté du peuple serait-elle plus sacrée que le droit divin ? (É. S., I, 219).
PROPRIÉTÉ : Une des bases de la société. Plus sacrée que la religion.
« Alors, la Propriété monta dans les respects au niveau de la Religion et se confondit avec Dieu. Les attaques qu’on lui portait parurent du sacrilège, presque de l’anthropophagie ». (É. S., II, 116).
« … la tête lui tournant de colère au mot propriété. « C’est un droit écrit dans la nature ; … le lion même, s’il pouvait parler, se déclarerait propriétaire ! ». (É. S., II, 175).
PROPRIÉTAIRE : les humains se divisent en deux grandes classes : les propriétaires et les locataires.
« Et partout les locataires maudissaient les propriétaires, la blouse s’en prenait à l’habit, et les riches conspiraient contre les pauvres ». (É. S., II, 122).
PUNCH : Convient à une soirée de garçons. Source de délire. Éteindre les lumières quand on l’allume, et ça produit des flammes fantastiques.
« Nous faisons du punch dans l’amphithéâtre aux dissections ! ». (Mme B., 465).
« Il lui montra l’art de reconnaître les vins, à brûler le punch ». (É. S., I, 68).
RELIGION : Fait partie des bases de la Société. Est nécessaire pour le peuple. Cependant, pas trop n’en faut. « La religion de nos pères » doit se dire avec onction.
« J’ai une religion, ma religion, et même j’en ai plus qu’eux tous, avec leurs momeries et leurs jongleries ». (Mme B., 110).
« Enfin, il aborda le chapitre de la religion, et trouva moyen de faire entendre qu’il accomplissait tous ses devoirs ». (É. S., Il, 173).
« Arnoux, affaibli par une attaque, avait tourné à la religion ; d’ailleurs, « Il avait toujours eu un fonds de religion ». (É. S., Il, 234).
« Cisy, enfoncé dans la religion, et père de huit enfants, habitait le château de ses aïeux ». (É. S., II, 270).
RICHESSE : Son prestige. Tient lieu de tout, même de considération.
« Son cœur était comme eux. Au frottement de la richesse, il s’était placé dessus quelque chose, qui ne s’effacerait pas ». (Mme B., 81).
« Une autre soif lui était venue, celle des femmes, du luxe, et de tout ce que comporte l’existence parisienne ». (É. S., I, 155).
« Le regard dont elle accompagna cette phrase signifiait : « C’est un homme riche, celui-là ; écoute-le ! »…. Rosanette haussa les épaules. « Assez, mon Dieu ! il s’y connaît mieux que toi, va ! ». (É. S., II, 12).
ROMANCE : Chanteur de romances, idéal de l’homme langoureux. Plaît quelquefois autant aux mères qu’aux filles.
« M. Léon chanta une barcarolle, et madame Bovary mère, qui était la marraine, une romance du temps de l’Empire ». (Mme B., 128).
ROMANS : Pervertissent les masses.
« Les haines foisonnaient : haine contre les marchands de vin, contre les classes de philosophie, contre les cours d’histoire, contre les romans, les gilets rouges, les barbes longues ». (É. S., 11, 229).
SERPENT : Tous venimeux.
« Elle eut bien peur une fois, quand un homme, se présentant tout à coup, lui montra dans une boîte trois vipères. Elle se jeta vivement contre Frédéric ». (É. S., II, 152).
SOUPERS de la Régence : On y dépensait encore plus d’esprit que de champagne.
« On devait remonter plus haut, selon Sénécal, et accuser tout d’abord les princes, qui ressuscitaient les mœurs de la Régence. « N’avez-vous pas vu dernièrement les amis du duc de Montpensier revenir de Vincennes, ivres sans doute… ». (É. S., II, 75).
SPIRITUALISME : Le meilleur système de philosophie.
« Son spiritualisme (Mme Dambreuse croyait à la transmigration des âmes dans les étoiles) ne l’empêchait pas de tenir sa caisse admirablement ». (É. S., Il, 228).
TABAC : Celui de la Régie ne vaut pas celui de contrebande. Le priser convient à l’homme de cabinet.
« Allons, une prise ! » dit-il ; « acceptez, cela dissipe ! ». (Mme B., 466).
« La conversation roula d’abord sur les différentes espèces de tabac… ». (É. S., 1, 5).
TEMPS : Éternel sujets de conversation. Cause universelle des maladies. Toujours s’en plaindre.
« Quel beau temps nous avons, n’est-ce pas ? » — « Magnifique c’est vrai ! ». (É. S., Il, 71).
VELOURS : Sur les habits, distinction et richesse.
« Ou plutôt, si je l’habillais de velours bleu ? ». (É. S., I, 183).
VOISINS : Tâcher de se faire rendre par eux des services, sans qu’il en coûte rien.
« Et enfin, s’adressant au bonhomme : « Notre amie m’a dit que vous auriez l’obligeance… » — « Comment donc, mon voisin ! tout à vous ! ». (É. S., I, 149).
VOITURES : Plus commode d’en louer une que d’en posséder. De cette manière, on n’a pas le tracas des domestiques, ni des chevaux qui sont toujours malades.
« Frédéric les porta, lui-même, jusqu’à la voiture. C’était une berline de louage avec deux chevaux de poste et un postillon ; il avait mis sur le siège de derrière un domestique ». (É. S., II, 1).
Ainsi, aux 171 traces du Dictionnaire découvertes par Mme Caminiti et par ses prédécesseurs dans Madame Bovary (6), et aux 142 qu’il a laissées dans l’Éducation Sentimentale, il conviendrait d’ajouter :
— pour Madame Bovary, 19 citations consignées dans mon article des Amis de Flaubert de décembre 1964 (7), et 39 citations relevées dans le présent article, ce qui porte l’ensemble à 229 citations ;
— pour L’Éducation Sentimentale, 121 citations, ce qui donne le chiffre global de 263 citations (8).
Contrairement à ce que pouvait laisser apparaître la statistique de l’auteur, L’Éducation Sentimentale figure aussi glorieusement que Madame Bovary au palmarès des « idées reçues ». Compte tenu de ce que le Roman de 1869 est de dimensions plus vastes que celui de 1857, les impacts du Dictionnaire sont aussi sensibles dans l’un que dans l’autre. Or L’Éducation passe à juste titre pour une œuvre largement autobiographique, où s’équilibrent en tous cas les confidences et les observations du romancier. La présence des « idées reçues » dans ce roman tend à confirmer la très heureuse remarque de Mme Caminiti, à la page 43 de son ouvrage : « Quelquefois cependant, Flaubert lui-même donne dans les idées reçues sans aucune intention ironique… ».
Roger Bismut (Athènes Juin 1971)
(1)Mme Léa Caminiti, mariée depuis lors, s’appelle maintenant Mme Pennorola Caminiti (N.D.L.R.).
(2) Un reflet de cette « idée reçue » se trouve dans Madame Bovary (p. 34 de l’éd. originale) : « Elle lui parla encore de sa mère, du cimetière, etc. », et dans l’Éducation Sentimentale (éd. Charpentier, II, p. 140) : « Il parlait de son pauvre père ».
(3) L hypothèse formulée par Mme Caminiti, au bas de la p. 42 : « Pour le moment nous nous bornons à présenter ces textes, sans les utiliser dans une étude qui en tenant comme des idées reçues dans les œuvres et des articles correspondants des trois manuscrits mènerait peut-être à l’établissement d’une datation approximative de chaque article » me paraît difficilement soutenable. Il est en effet pratiquement impossible de savoir si Flaubert fait dans ses ouvrages une application fondamentale des idées reçues isolées et définies auparavant ou s’il a, au contraire, rencontré l’idée reçue en écrivant ses livres, pour la consigner ensuite dans son Dictionnaire. Les deux démarches sont vraies sans doute mais on ne peut déterminer chaque fois dans quel sens s’est effectué l’emprunt.
(4) Cf. mon article dans Amis de Flaubert, décembre 1964.
(5)Nous nous référons à l’éd orig. de Madame Bovary, et, pour l’É.S., à l’édition dite définitive (Charpentier, 2 volumes).
(6) Dont 9 exemples figuraient déjà dans mon article de décembre 1964 (aux rubriques BASES, CHIEN, DORMIR, ÉDILES, FATALITÉ, PALMIER, PARIS, PAUVRES et SOMMEIL).
(7) Sous les rubriques ACCIDENT, ACTRICES, AGRICULTURE, ALLEMAGNE, BONNET, CAMPAGNES, CONSERVATOIRE, DÉJEUNER de garçons, DEVOIRS, DRAPEAU, ÉQUITATION, FARCES, FATALITÉ — second exemple —, HAMAC, INSPIRATION (transcrit par Mme CAMINITI sous la rubrique SITE), LAC, MUSIQUE, PUNCH, RELIGION.
(8) Une cent vingt-deuxième citation figure dans le relevé de Mme CAMINITI, sous la rubrique BASES. Je la transcris moi-même à l’article PROPRIÉTÉ, où elle ne semble plus à sa place. Mais je ne la comptabilise pas.