Les Amis de Flaubert – Année 1973 – Bulletin n° 42, page 4
Sur une chronologie de Madame Bovary
Sous le patronage de la Société des Études Romantiques, et grâce à l’initiative de Jacques Seebacher, professeur à la Faculté des Lettres de Caen, un Colloque sur Madame Bovary s’est tenu le 3 février, à l’École Normale Supérieure, 45 rue d’UIm. Colloque d’un nouveau genre, dans sa formule et dans sa finalité : préparé par des séances en commission, les 9 décembre 1972 et 20 janvier 1973, il a présenté l’aspect d’une table ronde, où les chercheurs, les curieux de Flaubert ont indiqué des thèmes et des directions de recherches, esquissé ou suggéré des solutions, provoqué bien souvent une discussion stimulante. Le motif en était que, Madame Bovary se trouvant cette année au programme de l’Agrégation des Lettres, il paraissait souhaitable de mettre à la disposition des agrégatifs, sous une forme maniable, une documentation riche et nouvelle.
Dans leur déroulement traditionnel, les colloques présentent une juxtaposition de communications, riches toujours, originales souvent, mais de portée limitée, se ressentant d’un travail solitaire, et trop exceptionnellement suivies de débats. Le Colloque sur Madame Bovary apporte le fruit d’un travail collectif, qui s’est manifesté à propos de tous les thèmes d’étude suggérés. D’autres diront sans doute mieux que moi les résultats obtenus en différents domaines, éclairant la texture psychologique, voire psychanalytique du roman, sa valeur comme document historique et sociologique. Il suffira d’attendre la publication des procès-verbaux des séances et des interventions.
Je voudrais pour l’instant signaler, parce que j’y ai participé directement, sous l’impulsion de Jacques Seebacher, l’établissement d’une chronologie minutieuse des événements de Madame Bovary, en soulignant combien ce travail, apparemment de routine, est venu confirmer certaines des hypothèses les plus fascinantes proposées au cours de ces réunions.
À la différence de l’Éducation sentimentale, le premier grand roman de Gustave Flaubert n’est pas clairement accordé aux événements historiques de l’époque dans laquelle il se déroule. On peut voir à cela plusieurs raisons : la première est que Madame Bovary, roman de la province ne reçoit que comme une rumeur lointaine le bruit des événements qui se passent dans la capitale ; une autre raison est sans doute que l’époque de Madame Bovary (la monarchie Louis-Philipparde) est considérablement moins riche en rebondissements historiques que les 4 années de la Seconde République, qui forment le noyau central de l’Éducation sentimentale. Enfin, et surtout, ce dernier roman, s’il est l’histoire (sentimentale) « d’un jeune homme » (1), est aussi l’histoire de toute sa génération : une telle formule romanesque ne peut se passer de références explicites à l’histoire de ce temps, aux illusions entretenues par la jeunesse, ni de réflexions sur les motifs de son échec. On ne saurait en dire autant de Madame Bovary, bien plus proche en cela des romans antérieurs (La Princesse de Clèves, Manon Lescaut, et même Le Rouge et le Noir), qui aspirent à peindre la nature humaine éternelle, et se situent de ce fait, dans une large mesure, hors de la temporalité.
Pour toutes ces raisons, l’Histoire, dans Madame Bovary, constitue une toile de fond fort discrète, et, à tout prendre assez floue. C’est pourtant le mérite de Jacques Seebacher d’avoir, dans la chronologie qu’il a établie avec le concours de plusieurs participants du Colloque, cherché à mettre en correspondance les événements romanesques et les événements historiques. Celle que je me suis efforcé de dresser, en liaison constante avec lui, avait pour objectif plus modeste de dater les principaux épisodes du roman, en utilisant les notations chronologiques qui abondent, et dont certaines sont extraordinairement précises (2).
Cette chronologie découle de trois événements privilégiés : outre qu’il est clair que tous les faits du roman, depuis que Charles a atteint l’âge adulte, sont postérieurs aux Trois Glorieuses (3), on prendra garde qu’il ne peut naître avant 1813 (4), et donc que, s’il est âgé d’une quinzaine d’années environ (p. 3) lorsque débute le roman, ce début ne peut être antérieur à 1828 ; que d’autre part la lettre de Homais au souverain, dans laquelle il le compare à Henri IV, et le nomme notre bon roi (p. 354), se situe en deçà de 1848. Ces deux événements permettent de dater avec précision le troisième, ce lundi 4 septembre où Emma devait s’enfuir avec Rodolphe, mais où Rodolphe lui fait parvenir sa lettre de rupture. Écartant l’année 1848, où le 4 septembre tombe un lundi, mais où l’on est déjà en République, ce qui est impossible pour des faits qui se situent de 4 à 5 ans avant la lettre de Homais, il ne reste, dans la période circonscrite plus haut que l’année 1837 et 1843. Il convient d’éliminer l’année 1837, année où Charles est encore marié avec la Vve Dubuc, et où Emma est encore Rouault. Seule 1843 doit donc être retenue (5). La chronologie peut dès lors se dérouler comme suit :
Chronologie de Madame Bovary
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En dépit des dénégations de Flaubert, il est aujourd’hui avéré que le roman a des sources factuelles très précises. Ce n’est pas ici le lieu de les énumérer. Je dois signaler néanmoins, comme l’une d’entre elles, le personnage de Caroline Flaubert, épouse Hamard, dont la mort prématurée et les funérailles ont fourni quelques détails aux épisodes similaires de Madame Bovary. Dans La Genèse de Madame Bovary (pp. 108-109, et n. 48), Claudine Gothot-Mersch signale qu’on a pu établir certains points de ressemblance entre la mort de Caroline et le récit de celle d’Emma… On les revêt toutes les deux de leur robe de mariée. Le mari de Caroline se jette sur la tombe de sa femme, comme Charles sur celle d’Emma ». Ce ne peut être là coïncidence, rencontre fortuite : on sait quels liens unissaient Flaubert à sa sœur cadette, combien sa tendresse, reportée sur Caroline, l’enfant de cette sœur chérie, a illuminé, puis assombri l’existence du romancier, astreint, dans les dernières années de sa vie, à payer les dettes contractées par Commanville, le transitoire époux de cette nièce abusive. Flaubert décrit donc les funérailles d’après des souvenirs personnels, et particulièrement douloureux, qu’il n’avait pas oubliés (et ne pouvait oublier). Or, cette hypothèse reçoit une confirmation retentissante : Roger Fayolle, professeur à l’Ecole Normale Supérieure, et participant du Colloque, a signalé à J. Seebacher et à moi-même que le lundi 23 mars 1846, jour où Emma prend l’arsenic, est celui de la mort de Caroline Hamard (18). Flaubert avait-il souhaité que le rapprochement se fît dans l’esprit de ses lecteurs ? Pouvait-il soupçonner qu’on s’ingénierait à fixer à l’année, au jour, et à l’heure près, le moment où son héroïne absorberait le poison mortel, et que cette découverte permettrait de décrypter l’un des plus poignants messages qu’il ait voulu placer dans le roman ? Je ne le crois pas. Je pense plutôt que, semblable à ces artistes qui se portraiturent dans un coin de leurs compositions, ou inscrivent un nom chéri dans le pli d’une tenture, le romancier a voulu dresser comme un in-memoriam au cœur de son roman, mais sans souhaiter que ce furtif témoignage d’amour soit jamais découvert.
Ce n’est pas tout. Lorsque, au plus fort de sa liaison avec Léon, Emma se voit réclamer son dû par le marchand et usurier Lheureux, celui-ci lui lit la page de son registre qui la concerne, en remontant cette page : « Voyons voyons ie 3 août, deux cents francs… Au 17 juin, cent-cinquante… 23 mars, quarante-six… En avril… » (p. 292). J. Seebacher s’était primitivement demandé si, dans cette énumération, quarante-six ne pouvait désigner l’année, ce qui eût constitué un élément supplémentaire de datation. Et de fait, il pouvait paraître surprenant qu’Emma eût emprunté une somme qui n’était pas, comme les autres représentée par un chiffre rond. C’eût été en tous cas l’unique exemple, dans ce roman de la dette, où Charles, comme Emma empruntent par coupures de cent, et parfois de mille francs. Pourtant, cette hypothèse ne pouvait être retenue sous cette forme : dans aucune des éditions de l’ouvrage, depuis l’originale jusqu’à celles que le romancier a revues, la virgule n’est supprimée entre le mois (mars) et ce qui pourrait être l’année (quarante-six). D’autre part, pourquoi l’année serait-elle mentionnée ¡ci, et non à propos des emprunts signalés précédemment ? Si quarante-six était l’année, quelle serait la somme empruntée ? Et qu’on ne dise pas que, par souci de l’ellipse, le romancier ait coupé la parole à son usurier ! A ce compte, Lheureux ne s’interromprait que pour reprendre de plus belle : « en avril… ». Seule la somme empruntée ce 23 mars-là serait omise ?
Enfin, dernier argument, plus fort encore que les précédents : quarante-six ne peut designer l’année, puisque c’est justement le 23 mars 1846 qu’Emma prendra l’arsenic, et que cette date ne peut figurer comme une date déjà lointaine sur le registre que Lheureux montre à Emma. Il faut donc se résoudre à considérer ce nombre comme représentant un emprunt d’Emma. Mais c’est ici que l’hypothèse, matériellement inexacte, acquiert une force nouvelle. Flaubert a choisi à dessein un chiffre qui sonne faux dans l’énoncé de ce mémoire, mais qui pour lui seul, sans qu’Emma, ni Lheureux s’en doutent, a valeur de signe prémonitoire, sur le grand livre de la dette, où jour après jour, mois après mois, année après année, le destin d’Emma s’inscrit inexorablement, cet ensemble (vingt-trois mars… quarante-six ) dit la mort de Caroline, et annonce celle d’Emma. Dans l’Œdipe-Roi de Sophocle aussi, les signes du malheur se multiplient à l’insu des protagonistes, mais visibles du moins pour les spectateurs. Plus secret, plus mystérieux Flaubert ne fait signe qu’à lui-même : seule une lecture pour ainsi parler spectrale du roman, en captant ce second message, découvre du même coup la profondeur tragique de l’œuvre, tragique au sens où l’entendait Aristote (19).
Quarante-trois… quarante-six… années-clefs dans la vie et la mort d’Emma. Ces chiffres courent avec une constance obsédante : quarante-trois conviés assistent à la noce de Charles (p. 27) ; Charles veille sa femme durant quarante-trois jours après la fuite de Rodolphe (p. 215) ; la fracture du père Rouault tient celui-ci alité pendant quarante-six jours (p. 18). Va-t-on parler de hasard ? Le moment ne serait-il pas venu, en rassemblant d’autres données (Charles a exactement l’âge d’Achille, le frère aîné de Gustave, et Rodolphe, âgé de 34 ans — p. 133 — a exactement le même âge que le frère aîné d’Emma (20) de rechercher des implications psychanalytiques chez un écrivain qui a marié d’une certaine façon le frère avec la sœur, et fait en quelque sorte de l’amant le substitut du frère ? Les éléments me manquent pour en dire davantage. Mais il se pourrait que la voie tracée se révèle féconde.
Roger Bismut Février 1973
(1) Histoire d’un jeune homme est le sous-titre donné par Gustave Flaubert à son roman.
(2) L’édition choisie comme texte de référence du colloque est celle de Mme Gothot-Mersch (coll. Garnier). C’est à elle que renvoient toutes les citations du roman contenues dans cet article.
(3) « L’église a été rebâtie à neuf dans les dernières années du règne de Charles X » (p. 73). Déjà (p. 47), le marquis d’Andervilliers, châtelain de la Vaubyessard, est présenté comme secrétaire d’État sous la Restauration qui cherchait « à rentrer dans la vie politique ».
(4) « Son père, M. Charles-Denis-Bartholomé Bovary, ancien aide-chirurgien-major, compromis vers 1812 dans des affaires de conscription, et forcé, vers cette époque, de quitter le service » (p. 6), épouse peu après la fille d’un marchand bonnetier. Charles ne peut donc naître qu’en 1813 ou plus tard.
(5) Jacques Seebacher a noté que le lundi 4 septembre 1843 est le jour de la noyade, à Villequier, de Léopoldine Vacquerie-Hugo, le thème de l’eau et de la tempête pouvant être associé au thème du naufrage des espérances d’Emma. Il y a dans Madame Bovary (et jusque dans le titre, qui, par deux fois, consonne avec Notre-Dame de Paris) assez de références explicites à Victor Hugo pour que cette concordance mérite d’être considérée comme autre chose qu’une coïncidence.
(6) Si Charles est né en 1813 (voir note 4), rien ne s’oppose à ce que le roman débute en octobre 1828, période où Charles aurait une quinzaine d’années environ. Cependant, comme une certaine imprécision subsiste quant à la durée des études de Charles (cf. note suivante) d’une part, et quant à celle du séjour du ménage à Tostes d’autre part (cf. note 15), on pourrait, pour cette date initiale, suggérer une « fourchette » (1828-1830).
(7) L’officiat de santé comportait une formation accélérée de trois ans (cf. dans Amis de Flaubert, n » 37, décembre 1970, l’article du Dr Galerant, Un officier de santé nommé Charles Bovary, pp. 24-30). Je suis par ailleurs convaincu que, selon Flaubert, Charles refait sa troisième année d’études. J’en prends pour preuve le texte suivant du roman (p. 12) : « Charles se remit donc au travail, et prépara sans discontinuer les matières de son examen, dont il apprit d’avance toutes les questions par cœur ». Ce d’avance ne peut s’interpréter que par rapport aux cours ultérieurs de ses professeurs. C’est donc le signe que Charles a de nouveau suivi ces cours, ce qui n’eût pas été le cas s’il s’était présenté avec succès à la session de novembre. Il est vrai (et cette objection de J. Seebacher est valable) que, si Charles avait dû recommencer son année, on ne s’expliquerait pas comment Mme Bovary mère aurait réussi à cacher l’échec de juillet à son mari, et à lui rendre plausible cette prolongation d’études (cf. p. 11). Si le nombre total d’années d’études de Charles devait être raccourci d’un an par rapport à mon estimation, on pourrait, par compensation, faire débuter le roman un an plus tard.
(9) « Il s’était cassé la jambe, la veille au soir, en revenant de faire les Rois chez un voisin » (p. 14). Il guérit quarante-six jours plus tard (p. 18), ce qui place cette guérison au 21 ou 22 février, le traitement de Charles ayant commencé le 6 janvier.
(10) « Il retrouva tout comme la veille, comme il y avait cinq mois, c’est-à-dire » (p. 22).
(11) « A l’époque de la Saint-Michel… » (p. 25).
(12) « … vers le printemps de l’année prochaine… » (p. 26) ; « … serpentant entre les blés verts… » (p. 28).
(13) « … ou mordillait des coquelicots » (p. 46).
(14) « Elle eut des étouffements aux premières chaleurs, quand les poiriers refleurirent » (p. 64).
(15) La question se pose de savoir si, entre le mois de septembre, anniversaire du bal de la Vaubyessard et le mois de mars, où le couple quitte Tostes pour Yonville (mois qui appartient sans contestation possible à l’année 1841, puisque la chronologie entre cette date et le 4 septembre 1843 se définit minutieusement), il s’écoule 1 an et 6 mois, ou seulement 6 mois. La notation du romancier sur le Carême n’apporte pas beaucoup de lumières : en 1840 le mercredi des Cendres, premier jour du Carême, tombe le 4 mars, et en 1841 le 24 février Dans les deux cas. Mme Bovary mère, séjournant chez son fils, durant une partie du Carême (p. 68), s’y trouve en mars. C’est au cours de ce séjour qu’elle est frappée du changement survenu dans le caractère de sa bru, et cela contribue à faire naître chez Charles le désir de lui faire changer d’air et de cadre. Or, comment imaginer qu’entre cette date (de toutes manières aux alentours du 15 ou du 20 mars), et le départ de Tostes (en mars également !), Charles ait le temps de montrer sa femme à son ancien professeur, de prospecter, d’entretenir une assez longue correspondance avec le pharmacien d’Yonville, et de fixer son choix sur cette localité, puis de préparer son déménagement, de partir enfin ? Il est donc très vraisemblable que le séjour de Mme Bovary mère a Tostes se situe durant le Carême de 1840 ; la visite du père Rouault à sa fille est de la même année : il importe peu que, datée de la fin février, elle soit rapportée après celle de la mère Bovary, qui lui est postérieure. Il y a deux autres exemples d’hystérologie dans le roman : une première fois, à propos de la grossesse d’Emma, le romancier note ses étonnements après son arrivée à Yonville, c’est-à-dire trois mois au plus avant qu’elle accouche, alors que ces étonnements, qu’on ressent en début de grossesse, auraient dû se produire tandis qu’elle se trouvait encore à Tostes ; une seconde fois lorsque Flaubert mentionne le rôle d’Homais dans le choix du tombeau d’Emma (p. 352), après avoir souligné le refroidissement de ses relations avec Bovary, alors que les deux épisodes devraient être chronologiquement inversés.
La grossesse d’Emma confirme ce qui vient d’être dit sur la nécessité d’intercaler 18 mois, et non 6 entre l’anniversaire du bal et le départ pour Yonville. Lorsque ce départ se produit, Emma est enceinte de 6 mois (nous sommes en mars, et Berthe doit naître en juin). Si la visite de la mère Bovary, et celle du père Rouault, les tristesses d’Emma, les inquiétudes de Charles et ses démarches dataient du même mois, il serait surprenant qu’aucun de ces personnages (pas même Emma) ne s’en soit aperçu, ni douté. Comment le docteur Larivière, lui aussi consulté en mars, et sur les mérites professionnels duquel l’auteur s’attarde, n’aurait-il pas diagnostiqué une grossesse aussi avancée ? Il faut donc admettre ou qu’Emma est en début de grossesse lorsqu’elle quitte Tostes (ce qui créerait des difficultés chronologiques insurmontables pour dater la visite à la mère Rolet, en pleine saison chaude (p. 97), ou que ce départ de Tostes, avec une Emma enceinte de 6 mois, a lieu en mars 1841, un an (et non 10 ou 15 jours) après la visite du père Rouault et de Mme Bovary mère.
(16) « … sans regarder à l’almanach si les Six Semaines de la Vierge duraient encore… » (p. 93).
(17) « Six semaines s’écoulèrent. Rodolphe ne revint pas. Un soir enfin il parut » (p. 159) :
(18) C’est la date indiquée par Jacques Suffel dans sa chronologie flaubertienne (éditions de Madame Bovary et des Trois Contes, chez Garnier-Flammarion). Une lettre de Flaubert non datée, mais pour laquelle on a avancé la date du 24 mars 1846, relate les funérailles de Caroline : dans cette éventualité, la mort de celle-ci pourrait être avancée d’un jour ou deux. De toutes manières, on peut admettre que cette année, qui fut pour Flaubert une année tourmentée (il perdit aussi son père, et c’est du même temps que date sa liaison avec Louise Colet), lui ait laissé des souvenirs confus, et que sa mémoire ait pu hésiter parfois.
(19) Un effet du même ordre a sans doute été recherché par Stendhal, dans Le Rouge et le Noir, lorsque Julien Sorel, engagé par M. de Rénal, se rend à l’église pour s’y recueillir, et y lit ces mots, imprimés sur un journal abandonné sur un prie-dieu : « Détails de l’exécution et des derniers moments de Louis Jenrel, exécuté à Besançon le… ». Or Louis Jenrel est l’anagramme de Julien Sorel. Comme Emma sur le livre de Lheureux, Julien lisait sans le savoir l’annonce de sa propre mort.
(20) Reportons-nous à la chronologie. Emma se marie au printemps 1838, et c’est alors que Flaubert imagine cette réflexion du père Rouault : « Comme c’était vieux, tout cela ! Leur fils à présent, aurait trente ans ! » (p. 32). En 1842, année où Emma fait la connaissance de Rodolphe, ce même fils en aurait trente-quatre… comme Rodolphe.