Les Amis de Flaubert – Année 1973 – Bulletin n° 43, page 3
Premier volume de la correspondance
de Flaubert dans la collection de la Pléiade
Enfin, le premier volume de la correspondance de Flaubert dans la collection de la Pléiade est apparu aux devantures des librairies, au début de l’été, ce qui a permis aux lettrés d’en faire leur lecture favorite au cours des vacances. Annoncé dans les catalogues depuis quelques années, nous commencions à en douter. Il ne fait pas de doute que cet ouvrage, qui connaît un succès certain, soit l’événement majeur de l’année flaubertienne.
Actuellement, Balzac, Flaubert, Stendhal sont fort étudiés : le nombre de thèses qui leur est consacré l’indique. Leurs romans continuent d’être lus et repris, sans oublier la radio et la télévision qui leur consacrent de temps à autre des émissions.
Naturellement les éditions précédentes de la correspondance, datant d’une vingtaine d’années, se trouvent un peu abandonnées, à cause de la mise à jour de la critique, malgré leur valeur.
Cette publication a été confiée à l’un de nos membres, Jean Bruneau, professeur d’histoire comparée à la faculté des lettres de Lyon. Depuis quelques années, cet ancien déporté enseigne à l’université américaine de Harvard, ce qui rend ses recherches personnelles plus difficiles au cours de l’année. Il emploie la plus grande partie de ses vacances européennes à retrouver les lettres de Flaubert, à les relire de près, à en corriger les erreurs et à ajouter les paragraphes volontairement omis. Nous l’avons revu à Rouen en août dernier, travaillant à la mise au point du second volume, lequel s’il ne lui arrive aucune anicroche devrait paraître dans deux ans.
Il est profondément regrettable que des possesseurs de lettres inédites ne veulent pas autoriser leur publication. Du point de vue littéraire, ils ont complètement tort. Dans sa préface, Jean Bruneau écrit d’ailleurs avec une pointe d’amertume : « Recherches ingrates que celles des éditeurs de correspondances ! ils se heurtent parfois à des scrupules parfois légitimes, d’ordre religieux, politique, moral, familial, plus souvent encore à des obstacles financiers, car une lettre inédite vaut encore deux fois plus cher qu’une lettre publiée. Que de démarches entreprises avec espoir se soldent par des échecs ! « Ainsi, malheureusement, une simple feuille de papier, quelques gouttes d’encre, une écriture jetée à la diable par une main depuis longtemps disparue se compare financièrement à un tableau de peinture qui a au moins le mérite d’être exposé, de temps à autre pour la joie des yeux. Il est fâcheux pour l’histoire littéraire que cette sorte de marché à terme compte quelques fervents bloquant par intérêt spéculatif les lettres qu’ils ont su acheter à temps, conservant uniquement leur contenu pour eux seuls. Harpagons ou financiers. Encore ceux qui en détiennent par héritage peuvent éprouver quelques pusillanimités et se demander, si ceux qui les reçurent auraient été favorables à les laisser publier. Mais la correspondance si longtemps après avec un grand homme n’a rien d’affligeant et encore moins d’infâmant, même si le style en est léger.
Ce premier volume contient les lettres écrites par Flaubert entre janvier 1830 et avril 1851, c’est-à-dire avant qu’il entre dans la véritable carrière littéraire par Madame Bovary : du Flaubert avant Flaubert. Elles sont publiées intégralement et il se délectait parfois avec ses amis du style rabelaisien. Il est vrai qu’il les a écrites sans songer un seul instant que longtemps après lui. Elles seraient annexées à sa véritable œuvre littéraire. Il les a adressées avec l’idée que leur contenu ne serait connu que de leurs destinataires et au plus de leur entourage, mais on n’écrit pas sur du sable. Les descendants sont eux-mêmes disparus. Les passions sont éteintes et n’ont plus qu’un envoûtant parfum. Ces lettres ne sauraient d’aucune manière choquer leurs héritiers. La publication posthume de toute correspondance pose un problème moral. Doit-on ou non les publier ? Il est certain que les lettres à cause de leur style d’abord est intéressant, mais grâce à elles on peut découvrir le caractère et, la pensée véritables d’un auteur, son évolution et ses causes : c’est surtout à ce titre qu’on les publie. La nièce de Flaubert n’a pas hésité à en publier une partie peu de temps après sa mort. Elle a montré l’exemple et on se sent dégagé ainsi de tout scrupule.
Mais avec la publication intégrale des lettres conservées, Jean Bruneau y a joint de nombreux appendices : des fragments de lettres de Maxime du Camp à Louise Colet, ou de Le Poittevin à Flaubert et surtout le mémorandum de Louise Colet. Deux personnes y gagnent : Maxime du Camp et Louise Colet qu’on a souvent rabaissé pour des raisons mesquines ou familiales. Ils apparaissent sous un meilleur jour et se trouvent réhabilités par leur correspondance.
Voici donc un ouvrage que les Flaubertistes tiendront à lire lentement. Et maintenant, attendons sagement le second volume.
André Dubuc