Les Amis de Flaubert – Année 1968 – Bulletin n° 47, page 42
Marie Leroyer de Chantepie
Souvenirs et impressions littéraires
De l’article sur Mademoiselle Lenormand
(Grande cartomancienne du Premier Empire)
« … Il n’existe plus guère de personnes qui aient été témoins de l’établissement du Premier Empire. Celle qui écrit ces lignes fut pourtant contemporaine de ce temps à jamais regretté où l’espoir succédait aux terreurs de la Révolution Française. Mais, en 1801, c’est-à-dire au retour d’Égypte de Napoléon, les premiers discours que je compris exprimèrent la joie de mes parents de la force nouvelle que ce retour allait donner à la France.
Je fus bercée aux chants de la gloire inspirés par les conquêtes du souverain, qui rendait tout à la fois le repos et la souveraineté au peuple. Je vois encore mon père revêtu du bel habit brodé de directeur des domaines. J’entends le chant du Te Deum à l’église, je vois les aigles décorant les pupitres des choristes ; enfin, j’ai encore dans l’oreille les récits qu’une naine, cachée sous notre table, nous faisait chaque soir des nouvelles conquêtes de Napoléon. Tout alors était gloire, espérance et paix. Les églises étaient rendues au culte, l’instruction protégée, les sciences et les arts remis en honneur… »
De l’article sur Béranger
« … Le monde semble arrivé à l’une de ces époques où le passé disparaît sans laisser de trace. On cherche vainement les croyances disparues, le sentiment remplacé par l’égoïsme et l’indifférence pour tout et envers tout. On se dirait arrivé à l’une de ces époques fatales où les existences sociales disparaissent et un cycle s’accomplit. Dans les phases successives qui se succèdent si rapidement depuis les premières heures de notre siècle, les événements, et surtout les personnes, retombent dans l’oubli… C’est là que celle qui écrit ces lignes le vit pour la première fois, réfugié à Tours en 183… J’avais écrit à cette époque plusieurs articles où je faisais un juste éloge des œuvres et du caractère de Béranger. Apprenant que j’étais à Tours, il vint me voir et me remercier ; il me dit que ses compositions et ses vers, qui paraissaient si faciles, lui causaient beaucoup de peine et de travail. Il habitait alors la rue Chanoineau et était très lié avec le docteur Bretonneau, célèbre médecin que je vis aussi à cette époque.
Précédemment, Béranger avait occupé la Grenadière qui fut la charmante maison de campagne choisie par Balzac pour en faire le théâtre d’un des drames les plus saisissants de ses nouvelles. Je fus, moi aussi, sur le point d’habiter la Grenadière. Le souvenir de ma conversation avec Béranger à Tours est un de mes meilleurs.
Pour moi, je garde le souvenir du duc d’Orléans qui se joint à celui de Béranger. Je ne dois plus revoir cette belle Touraine où j’ai passé les meilleurs instants de ma vie, mais elle occupe la plus grande place dans mes souvenirs mélancoliques et mes profonds regrets… »
Sur George Sand
« Pour moi, son humble amie, je la regretterai toujours. Pendant de longues années, je trouvais près d’elle consolation, appui et conseil. Je la cherche dans ses ouvrages, je la retrouve dans les lettres qu’elle m’écrivait… Gustave Flaubert, notre ami commun, assista au convoi, il m’écrivit que la douleur de son fils Maurice était extrême, que tous les habitants du pays couvraient de fleurs le cercueil, confondant en larmes. La douleur de Gustave Flaubert égalait son amitié pour Madame Sand. Il devait survivre bien peu de temps à celle qui excitait tous ses regrets… »
C’est certainement dans des journaux de Tours et d’Angers, qu’on serait susceptible de retrouver des articles de cette femme, qui combattit son ennui par la littérature et qui ne manquait pas d’un jugement sûr et de connaissances certaines.
A. D.