Les Amis de Flaubert – Année 1976 – Bulletin n° 48 – Page 41
Le père de Joseph Prudhomme
Gustave Flaubert avait une admiration certaine pour Henry Monnier, le créateur de Monsieur Prudhomme. Célèbre au XIXe siècle, il est tombé comme beaucoup d’auteurs en vogue dans l’oubli. Il mourut, voilà près d’un siècle, au début de 1877, âgé de 78 ans. Sa veuve avait tenu une place marquée dans le théâtre, et notamment à Rouen. Elle joua au Théâtre Français, malheureusement disparu, et que les Rouennais regrettent pour les opérettes et pour ses revues annuelles où la satire douce n’était pas exclue. Elle y joua notamment le Roman chez la Portière dont l’auteur était son mari. Sa fille était mariée à Gaudy, comédien de la Comédie-Française et artiste de mérite elle-même.
Bien curieuse figure que celle de Henry Monnier, né à Paris en 1799, dans une famille bien bourgeoise, comme celle de Flaubert. À la fin de ses études, ses parents, qui avaient de l’ambition pour leur héritier, auraient voulu en faire un clerc de notaire et par la suite avoir une étude. Il quitta bientôt celle de son patron pour entrer dans l’atelier du peintre Girodet.
Il fut d’abord connu comme caricaturiste à partir de 1825. Il devait illustrer les chansons de Béranger et les Fables de La Fontaine.
D’un naturel enjoué, plein d’humour, de gaieté, d’entrain, doué d’un merveilleux esprit d’observation, Henry Monnier improvisa d’excellentes charges comme la concierge, le commissionnaire, le marchand de marrons, le porteur d’eau. Dessinées à la plume, elles furent publiées en 1830 dans les Scènes Populaires, qui obtinrent alors un immense succès. On trouve dans cette série : Le roman chez la portière, le dîner bourgeois, le voyage en diligence et, surtout, Jean Hiroux. Dans la seconde édition, les Mémoires de Joseph Prudhomme dans lesquelles, selon le Journal de Rouen, annonçant sa mort, écrivait : « Il a incarné toutes les bêtises, toutes les politesses, et tous les ridicules de la bourgeoisie de 1830 », ce qui ne pouvait que satisfaire l’humour railleur de Flaubert.
Célèbre comme écrivain satirique et comme caricaturiste, Henry Monnier voulut également se faire une réputation comme acteur. Il débuta sur une scène parisienne, au Vaudeville, dans une pièce de Brazier, La Famille Improvisée, où quelques-uns des types populaires créés par lui étaient rappelés. Il y parut sous cinq travestis différents. Quand il paraissait en Joseph Prudhomme, c’était du délire dans toute la salle.
Il publia divers ouvrages complètement oubliés, dont un roman : Le Chevalier de Clermont. Acteur à ses heures et par intermittence, il composa d’autres pièces de théâtre, dont la plus répandue fut Grandeur et décadence de Joseph Prudhomme, comédie en cinq actes qui eut, à Paris, plus de cent représentations à la suite. Il a joué à Rouen, au Théâtre Français, en 1832, La Famille Improvisée, qui connut un grand succès.
Depuis, Mme Henry Monnier y joua souvent et son mari l’accompagnait fréquemment. Il fut paralysé pendant les trois dernières années de sa vie et il a laissé le souvenir d’un homme qui a fait rire son siècle.
(A.D.)