Les Amis de Flaubert – Année 1976 – Bulletin n° 49 – Page 46
Maupassant fonctionnaire de ministère
On peut être surpris de trouver dans La Revue administrative (mars-avril 1976) un article sur Maupassant fonctionnaire, de M. Guy Thuillier, historien bien connu du Nivernais et des mentalités sociales. Déjà, plusieurs articles sur cette question ont été écrits, mais aucun n’a apporté des détails aussi précis sur cet écrivain durant les neuf années qu’il passa dans les ministères. La séparation des parents, leur petite fortune, l’a obligé après la guerre de 1870, après avoir été soldat, et nous ne savons presque rien sur son passage dans l’armée, ni même le régiment où il fut affecté, de trouver une position où il serait rémunéré. Son père s’est occupé de lui et par « piston » il essaya de le faire entrer dans un ministère en septembre 1871. Il fait intervenir l’amiral Saisset. Autre démarche en 1872, Guy de Maupassant, grâce à un transfert, devient surnuméraire en titre à la direction du personnel au bureau des équipages de la flotte. C’est l’époque où l’on n’entre dans les ministères qu’étant bien présenté et soutenu. Il est appointé à 125 francs par mois. Un de ses protecteurs écrit à son sujet : « …ce jeune homme s’est fait remarquer par son intelligence, son zèle et sa parfaite tenue ». En 1874, il est nommé commis de 4e classe au traitement de 1.800 francs par an. Il est alors affecté au service des approvisionnements généraux, à la direction du matériel. Il y restera jusqu’à son départ du ministère de la Marine. Il est déjà alarmé sur sa santé. Il supporte mal la vie des bureaux et ses lettres à sa mère en témoignent largement. Le dimanche, par opposition, il s’adonne aux joies du canotage. En novembre 1875, son chef, qu’il juge grincheux et un vrai « chardon », le juge ainsi : « Cet employé est intelligent et paraît bien doué. De plus, il est animé du désir de bien faire. Lorsqu’il aura acquis l’expérience qui lui manque, il fera un très bon employé. Je suis déjà très satisfait de ses efforts ». Il le propose pour un avancement. L’atmosphère des bureaux ne lui convient pas et, s’il a maintenant un traitement de 1.800 francs par an, il obtient un congé d’un mois en juillet 1876. En 1877, il touche 2.100 francs, a droit à une gratification supplémentaire de 150 francs et son père lui accorde une pension de 500 francs. Mais, est-ce assez pour ce bon vivant qui a été élevé assez aristocratiquement par sa mère ? Sa santé devient médiocre et son médecin l’envoie aux eaux de Louèche, en Suisse, ce qui exaspère son chef de service qui, dans un rapport annuel, en dit : « … Mais il est mou, sans énergie, et je crains que ses goûts et ses aptitudes ne l’éloignent des travaux administratifs ». Il écrit alors à Flaubert : « La politique m’empêche de travailler, de sortir, de penser, d’écrire. Je suis comme les indifférents qui deviennent les plus passionnés, et comme les pacifiques qui deviennent féroces ». Il fait pression sur Flaubert pour que son ami, Agénor Bardoux, devenu ministre de l’Instruction Publique, lui trouve une place agréable à la direction des Beaux-Arts, comme sous-bibliothécaire à l’école des Beaux-Arts, ce qui lui permettrait d’avoir chaque année un congé du 1er août au 1er octobre. L’affaire traîne, et il accuse Flaubert de sa maladresse. Il démissionne du ministère de la Marine le 18 décembre 1878 et il est attaché au cabinet du ministre de l’Instruction Publique, des Cultes et des Beaux-Arts en janvier 1879. Le ministère tombe, mais Xavier Charmes, chef de bureau, le conserve. En décembre 1879, le parquet d’Étampes le poursuit « pour outrage à la morale publique et religieuse et aux bonnes mœurs » pour un poème un peu libre Au bord de l’eau, donné en 1876 à la République des Lettres. Il y est même interrogé et, finalement, sur des pressions littéraires, une ordonnance de non-lieu intervient en février 1880. La publicité faite au sujet de cette affaire fut naturellement excellente pour le lancement de Boule de Suif. Flaubert meurt en mai. Maupassant a dû demander un congé d’un an et, finalement, il démissionne à la fin de 1882, et son frère Hervé cherche à le remplacer. Maupassant est alors un auteur en renom, qui peut vivre largement de sa plume et être indépendant, ce qui répond beaucoup mieux à son caractère. Cet épisode de sa vie, grâce à M. Guy Thuillier, est parfaitement connu, il éclaire des zones d’ombre que nous connaissions mal.
A. D.