Les Amis de Flaubert – Année 1979 – Bulletin n° 54 – Page 43
L’opinion de Thibaudet sur le groupe de Médan
Retrouvé ce jugement dans la Nouvelle Revue Française de décembre 1920 (p. 932) :
« Maupassant n’a pas été sujet à la même éclipse (que Zola). Il subsiste d’un bout à l’autre à peu près intact et robuste. Il est curieux que les deux maîtres de la nouvelle, Mérimée et lui, nous présentent deux tempéraments si opposés de l’intellectuel et du sensitif (et encore, en cherchant bien, en cherchant la femme on trouverait le joint). Mais le jour où l’on fera de l’un à l’autre la comparaison classique qui s’imposera, on trouvera, je crois, que Maupassant l’emporte. Je ne vois pas d’où une ride, une fêlure, une moisissure pourraient venir sur Boule de Suif, la Maison Tellier, ni même sur Bel Ami… ce qui n’empêche pas nos trois naturalistes d’apparaître après Flaubert comme des Épigones.
Dans ce partage de l’empire d’Alexandre, Zola a pris pour l’appliquer à la société contemporaine, le gaufrier oratoire, le mouvement épique de Salammbô, en quêtant sans grand succès son style dans les cuisines d’Hamilcar. Maupassant a reçu l’héritage normand de Madame Bovary et d’Un cœur simple, et Huysmans a écrit toute son œuvre dans les marges de Bouvard et Pécuchet. Que ceux qui sont déroutés par ce livre étrange remarquent par l’exemple de Huysmans à quel point Flaubert a modelé Bouvard sur la réalité, à quel point la réalité de Huysmans, chef de bureau à l’Instruction Publique, s’est modelée sur lui. De Huysmans, Rémy de Gourmont a fait remarquer à peu près, avec raison, que c’était la médiocrité parfois sauvée par le style. En lui-même, il serait peu de chose, mais (en jetant par-dessus bord l’insupportable À Rebours), il a eu le génie de pousser jusqu’au bout la conscience et la peinture de la médiocrité et de l’envelopper dans ce style imagé, caustique et verveux qui demeure une agréable jouissance de lettré. »