Les Amis de Flaubert – Année 1979 – Bulletin n° 55 – Page 44
Les Prussiens et Maupassant
Le Journal de Rouen du 31 janvier 1884 signalait un article paru dans le Gaulois, venant de son correspondant particulier à Vienne, et qui aurait pu causer quelque émotion patriotique si tout de suite on n’avait pas réfléchi à l’absurdité du racontar dont il était fait écho. Les Allemands ont toujours tenu rigueur à Maupassant de ses contes de la guerre de 1870 et en particulier de Boule de Suif.
Voici cette dépêche adressée au Gaulois :
« Journaux prussiens désignent votre collaborateur Guy de Maupassant dont la sœur aurait été préceptrice des enfants du prince Frédéric-Charles, comme l’auteur du livre intitulé La société de Berlin, qui vient d’être interdit en Allemagne ».
Le Gaulois télégraphia immédiatement à Guy de Maupassant qui se trouvait alors à Cannes. Il lui répondit :
« Prière démentir absolument renseignements de journaux prussiens.
Je n’ai pas écrit la Société de Berlin. Je n’ai pas de sœur. Je vous écris.
MAUPASSANT»
Selon le Journal de Rouen, le Gaulois disait attendre avec curiosité le courrier de Berlin apportant ces gazettes si clairvoyantes et avec impatience le courrier de Cannes, lui disant comment Maupassant avait bien pu accueillir cette surprenante nouvelle.
Une lettre d’un Allemand à Maupassant
La bibliothèque municipale de Rouen possède quelques lettres qui furent adressées à Maupassant, et parmi celles-ci une écrite par un Allemand qui mérite d’être publiée car elle fait apparaître le caractère de tension qui existait alors des deux côtés du Rhin :
Mannheim, le 11 janvier 1884
Monsieur,
Je viens de lire vos Contes de la bécasse. Permettez-moi quelques remarques à cet égard. La manière dont vous faites la guerre à nous, Allemands, dans vos contes : « Saint-Antoine » et « L’aventure de Walter Schnaffs » n’est pas digne d’un homme qui prétend d’avoir de l’esprit, ni de la nation française. Monsieur, bon gré ou mal gré, il faut nous prendre sérieux.
Avec des niaiseries de la sorte, vous ne repousserez jamais nos bataillons. Prenez bien garde qu’un jour le sang de vos frères et de vos fils ne paye pas ces insolences dont nous poursuit la France. Les Français d’aujourd’hui ne sont plus le peuple chevaleresque d’autrefois. Ils ont perdu la plus belle de ses vertus : la politesse française.
Agréez, Monsieur, mes salutations.
Un Allemand
Il ne fait pas de doute que le succès immédiat de Maupassant tenait en partie à ses contes patriotiques, à une dizaine d’années de la défaite de Sedan.