Les passages de Flaubert à Toulon

Les Amis de Flaubert – Année 1984 – Bulletin n° 64 – Page 17

Les passages de Flaubert à Toulon

[Nous avons utilisé pour notre travail les textes de référence qui suivent :

Œuvres Complètes de Flaubert. Voyages, Tome I. Texte établi et présenté par René Dumesnil. Collection « Les textes Français » Société Les Belles Lettres, 1948. Nous désignerons cette édition par l’appellation Voyage.

— Flaubert. Correspondance. Tome I (janvier 1830 à avril 1851). Édition établie, présentée et annotée par Jean Bruneau. Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade Paris, 1980, 2e édition, XXXIX, 1183 p. Cette édition sera notée Corr.]

 

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Gustave Flaubert a fait trois séjours à Toulon : les deux premiers en 1840, le troisième en 1845 (1).

Les deux premiers de ces séjours eurent lieu à l’occasion du premier grand voyage effectué par Flaubert qui se déroula du 22 août au 1er novembre 1840, en récompense de sa réussite au baccalauréat. Le jeune Flaubert ne voyagea pas seul puisque ses parents le confièrent aux « bons soins » du docteur Jules Cloquet, de sa sœur Lise et d’un prêtre italien ami de ces derniers, l’abbé Stéfani (2).

Après avoir visité le Sud-Ouest, les Pyrénées, le Languedoc, Nîmes, Arles et Marseille, les voyageurs firent halte à Toulon où ils devaient s’embarquer pour la Corse. Selon toute vraisemblance, son premier séjour à Toulon dura trois jours, les 1er, 2 et 3 octobre (3).

Ce qui frappe d’emblée tout lecteur, c’est l’absence totale de toute description. Jean Bruneau l’avait déjà noté en ces termes :

« Les descriptions de paysages, de villes, de personnages sont très peu nombreuses et en général très vagues » (4).

Gustave Flaubert de passage ne décrira donc pas la ville.

Ses habitants ne retiendront pas plus son attention (5). Le seul élément de cette vie quotidienne qui soit rapporté dans le texte du Voyage n’a rien de spécifiquement toulonnais : il n’est jugé digne d’être retenu que parce qu’il s’inscrit dans l’ordre des préoccupations intellectuelles de Flaubert. La mémoire sélective de celui-ci joue à fond en l’espèce puisque ce petit tableau est amené par association. Qu’on en juge : se promenant un soir avec ses compagnons dans les rues de la Darse à Marseille, où s’égaillaient des marins de toutes nationalités, Flaubert assiste à « la représentation d’un mystère provençal ». Assister n’est pas d’ailleurs le mot exact, car Flaubert ne voit le spectacle qu’en partie, et dans de mauvaises conditions, « à travers les vitres obscurcies ». Néanmoins il rapporte aussi fidèlement qu’il le peut ce qu’il voit sur l’estrade ainsi que les réactions de l’auditoire :

« Sur une estrade au fond se tenaient quatre à cinq personnages richement vêtus ; il y avait le roi avec sa couronne, la reine, le paysan à qui on avait enlevé sa fille et qui se disputait avec le ravisseur pendant que la mère désolée et s’arrachant les cheveux chantait une espèce de complainte avec des exclamations nombreuses, comme dans les tragédies d’Eschyle. Le dialogue était vif et animé, improvisé sans doute, plein de saillies à coup sûr à en juger par les éclats de rire et les applaudissements qui survenaient de temps à autre dans l’auditoire. Tous ces braves gens écoutaient et goûtaient l’air avec respect et recueillement, d’une manière à réjouir un poète s’il fût passé là. J’ai remarqué que les tables étaient presque toujours vides ou à peu près, on se pressait pour entrer, et la foule s’introduisait flot à flot comme elle pouvait, mais sans troubler le spectacle (6) ».

Cette scène donne l’impression saisissante d’être « prise sur le vif », et participe du même mouvement d’enthousiasme qui étreint Flaubert à la découverte de Marseille : on sent bien qu’à la relecture des notes prises au jour le jour l’imagination de l’écrivain se soit exaltée. Il n’en demeure pas moins que les notes ont été réécrites à son retour, à Rouen, car, comment expliquer autrement l’insertion de la scène suivante — qui se déroule à Toulon — au milieu du passage consacré à Marseille :

« À Toulon, j’ai revu, au coin d’une rue, encore un de ces drames, mais cette fois en français ; la scène était plus simple : un nain fort laid causait avec une grande fille assez jolie et exerçait sa verve sur les riches et les gens d’esprit, ce qui faisait rire les pauvres et les sots. Pour un homme intelligent qui saurait le provençal ou qui voudrait l’apprendre, ce serait une chose à étudier que ces derniers restes du théâtre roman, où l’on retrouverait peut-être tout à la fois des romanceros espagnols, des canzones des troubadours, des atellanes latines et de la farce italienne du temps de Scaramouche, quand Molière y prit son Médecin barbouillé » (7).

On voit bien ici ce qui fait la caractéristique de ce passage : la description fait place au commentaire, à la pensée réflexive. Ce mouvement par lequel la littérature succède à la description est le même que celui qui fait glisser d’une description de paysage à une évocation de paysage intérieur (8).

Flaubert à Toulon ne voit donc rien de la ville elle-même. Sans doute l’a-t-il jugée sans intérêt à la suite d’Alexandre Dumas : « Toulon a peu de souvenirs (…). Comme curiosités, Toulon n’a que son bagne et son port » (9). Mais il fallait bien coucher sur le papier ses impressions : le jeune écrivain va donc s’efforcer de décrire les curiosités de Toulon. Mais l’enthousiasme n’y est pas. On sent que c’est pour lui une véritable corvée.

Que voit-il donc ? Trois choses : un vaisseau de ligne, les remparts et Saint-Mandrier.

Ce qui frappe immédiatement, c’est la pauvreté extrême des descriptions. De plus, à peine celles-ci sont-elles ébauchées que Flaubert les fait suivre d’un commentaire personnel, de sorte que le texte se construit en un système d’oppositions alternées. Chaque description se voit nécessairement accompagnée d’un commentaire. Aussi avons-nous disposé le texte de façon à faire ressortir descriptions et commentaires pour en permettre une double lecture : une lecture horizontale et décalée, et une lecture verticale :

« À Toulon, il va sans dire que j’ai visité un vaisseau de ligne.

J’ai vu des marins qui mangeaient dans de la porcelaine, j’ai assisté au salut du pavillon, etc… J’ai pu, comme tous les badauds, être étonné de voir des tapis et des fauteuils élastiques dans la chambre du capitaine ;

C’est certainement beau, grand, inspirant.

mais en vue de marine j’aime mieux celle d’un petit port de mer comme Lansac, comme Trouville, où toutes les barques sont noires, usées, retapées, où tout sent le goudron où la poulie rouillée crie au haut du mât, où les marteaux résonnent sur les vieilles carcasses qu’on calfeutre.

De même les fortifications de Toulon peuvent être une belle chose pour troupiers,

mais je n’aime point l’art militaire dans ce qu’il a de boutonné, de propre ; les remparts ne me plaisent qu’à moitié détruits. Il y a plus de poésie dans la casaque trouée d’un vieux troupier que sur l’uniforme le plus doré d’un général ; les drapeaux ne sont beaux que lorsqu’ils sont à moitié déchirés et noirs de poudre.

Les canons du Marengo (10) étaient tous en bon état et cirés comme des bottes ;

est-ce qu’un canon n’est pas plus beau à voir avec quelques longues taches de sang qui coule et la gueule encore fumante ?

À bord au contraire, tout était propre, ciré, frotté, fait pour plaire aux dames quand elles viennent. Ces messieurs sont d’une politesse exquise et ont fait exécuter je ne sais quelle manœuvre pour nous faire honneur quand nous avions remis le pied sur notre embarcation.

Voilà pour la visite du Marengo. Flaubert ménage alors une pause dans laquelle il nous indique que la visite du vaisseau n’est intervenue chronologiquement qu’en second après la visite de Saint-Mandrier, « guidés », nous dit-il, « par un de ses médecins M. Raynaud fils » (11).

Cette visite du bâtiment de guerre et de l’hôpital de Saint-Mandrier, nous suggère-t-il, a eu lieu le premier jour, c’est-à-dire le 1er octobre 1840. Puis il poursuit :

« On m’y a fait admirer une église toute neuve, bâtie par les forçats (12),

j’ai admiré le coup de génie qui a fait construire un temple à Dieu par la main des assassins et des voleurs. Il est vrai que ça n’a rien coûté, mais II est vrai aussi qu’il est impossible, sinon absurde, d’y dire la messe :

la forme ronde de cette bâtisse (13) a contraint à placer l’autel sur un des points de la circonférence de sorte qu’il est Impossible que les fidèles puissent voir le prêtre.

Je crois, au reste, que les fidèles qui viennent là y sont peu sensibles ; s’ils trempent les mains dans le bénitier placé à l’entrée, ce n’est uniquement que pour se les laver.

Il faut voir la citerne de l’hôpital dont l’écho répète tous les sons avec un vacarme épouvantable ; on y tire des coups de fusil, on y joue du cornet à piston, on crie, on chante, on miaule, on fait toutes sortes de bruits absurdes pour avoir le plaisir de se les entendre répéter plus nombreux et plus forts » (14).

Deux termes nous semblent appropriés pour définir le « ton » du passage : ironie et persiflage. C’est une dépréciation systématique et définitive de la visite que recherche l’auteur.

Le moyen employé est simple : il s’agit de mettre en parallèle et en opposition les mots et expressions qui présentent les goûts du visiteur Gustave Flaubert et les mots ou expressions qui, par leur seul énoncé, ridiculisent les objets de la visite.

Si nous lisons le premier texte verticalement, il ressort de la première colonne une impression d’irréalité : est-il courant que, sur un navire de guerre, des marins mangent dans de la porcelaine, que le luxe dans la chambre du capitaine soit à ce point ostentatoire, que les canons soient « cirés comme des bottes », que le navire soit dans un tel état de propreté, et qu’enfin les officiers soient si polis ? C’est cette interrogation que veut susciter Flaubert qui montre ce qu’a d’ambigu une telle visite : tout ce qui peut rappeler la guerre est pour ainsi dire gommé, effacé. Il y a même une certaine « féminisation » de l’objet visité : les termes employés par Flaubert assimilent objets et marins à des femmes (la « porcelaine », les « tapis », les « fauteuils élastiques », l’aspect général du navire « propre », « ciré », « frotté », la « politesse » des officiers et des marins). D’où la conclusion de Flaubert : « tout était […] fait pour plaire aux dames quand elles viennent ». La visite de l’hôpital procède de cette même intention de montrer l’absurdité de ce genre de visite. Toutefois Flaubert accentue sa charge : ainsi ne nous montre-t-il que les bâtiments annexes de l’hôpital, soit afin de souligner l’aspect ridicule de leur construction, soit afin de montrer la bêtise des visiteurs dans la citerne de l’hôpital. En revanche l’hôpital lui-même ne nous est pas décrit. Pas un mot non plus des malades… L’exagération de Flaubert est à ce point manifeste qu’il pousse la charge jusqu’à la caricature, jusqu’au grotesque.

La lecture verticale de la deuxième colonne nous renseigne sur les goûts affichés par Flaubert, puis dérive vers une veine iconoclastique destinée essentiellement à choquer, et à faire rire.

Mais la lecture la plus intéressante, c’est peut-être la lecture décalée qui permet de dégager les oppositions explicitement ou implicitement formulées. Ainsi au port de guerre, aux fortifications Flaubert déclare préférer le petit port de mer, les remparts à moitié détruits. Le choix des termes n’est certes pas innocent : notons l’absence des mots : ports de guerre ou de toute autre tournure servant à le désigner face au port de mer qualifié lui de « petit » : la connotation est évidemment affective. De même le terme de fortifications évoque « l’art militaire » dans ce qu’il a de rude, d’ordonné, de géométrique alors que le terme de « remparts » renvoie à une réalité moins rude, plus lointaine car située dans le passé, plus imaginaire aussi car Flaubert avoue : « les remparts ne me plaisent qu’à moitié détruits. » On retrouve là ce goût de l’auteur pour le Moyen-âge et l’Antiquité. En dernière analyse, l’insistance de Flaubert — au demeurant assez lourde — sur ce thème des fortifications traduit, nous semble-t-il, son désir de nous faire apparaître les fortifications de Toulon comme la marque de l’esprit étroit, conservateur, rigide des militaires (15).

Cet esprit de décision s’exerce au niveau verbal par l’emploi des tours conventionnels :

« J’aime mieux », « je n’aime point ». Flaubert va, à ce point, développer l’opposition paix-guerre en donnant quelques aperçus d’une guerre, qui voit l’affrontement de plus de marins que de généraux entre eux, emplie de bruits, de fureurs, de saletés et de crasse (l’auteur insiste sur ce décalage par l’accumulation de termes comme « propre » — cité trois fois —, « ciré » — cité deux fois —, qui s’opposent aux « taches de sang qui coule » ; la « casaque trouée » du troupier se voit opposée à « l’uniforme le plus doré d’un général »). Le terme même de troupier, choisi intentionnellement par Flaubert, évoque par ses sonorités dures en t, r, p la dureté et la « grossièreté » de toute guerre.

Cette opposition paix-guerre se double d’une opposition sous-jacente laideur-beauté : la paix est ennuyeuse et laide alors que la guerre excite l’imagination, et par-là est poétique : l’adjectif « beau » ne revient-il pas par deux fois sous la plume de l’auteur ?

Le paradoxe voulu par l’auteur nous semble assez significatif de l’état d’esprit d’un jeune homme qui a voulu indéniablement dans cette page « faire du style ».

Le deuxième jour et le troisième jour passés à Toulon sont plus agréables : nulle ironie ne perce plus dans la relation qui nous est donnée à lire

Le second jour semble être occupé à une grande promenade aux alentours de Toulon ; le texte doit en effet être interprété pour arriver à cette probabilité. Quant à son emploi du temps du troisième jour, aucune incertitude ne règne. Flaubert écrit qu’il a déjeuné à la bastide de Hubert Lauvergne et qu’il a passé la journée en sa compagnie. Or dans la transition qu’il a essayé d’aménager pour passer de la relation du deuxième jour à celle du troisième nous lisons :

« … un soir que nous sommes revenus au bord de la rade jusqu’à Toulon » (16). Ceci implique donc que Flaubert et ses compagnons de voyage ont quitté Toulon momentanément pour en visiter les environs. Dès lors aurions-nous l’explication de cette description de Toulon et de ses environs et de la citation de l’ouvrage d’Hubert Lauvergne : voulant rendre compte de sa promenade du 2 octobre 1840 et de l’ouvrage, Flaubert n’a pas su comment s’y prendre pour imbriquer l’une dans l’autre de façon naturelle et satisfaisante.

… Qu’on en juge :

« La rade de Toulon est belle à voir, surtout quand, sorti des gorges d’Ollioules, on la voit qui s’étend tout au loin dans son rayon de trois lieues de circuit, avec les mâts de tous ses vaisseaux, ses bricks, ses frégates, toutes ces voiles blanches qu’on hisse et qu’on abaisse. À droite, on a le fort Napoléon, au fond le fort Pharon. C’est par ce dernier que les républicains ont d’abord tenté le siège de la ville, qu’ils n’auraient jamais pu prendre sans le conseil de Bonaparte, qui affirma que tant que l’on ne serait pas maître de la rade, tous les efforts seraient inutiles et qu’une fois la rade prise Toulon n’offrirait plus aucune défense. L’attaque commença donc sur le point appelé le petit Gibraltar, qui domine toute la mer et la ville elle-même qu’elle protège de ce côté. »

Tous les détails du siège sont d’ailleurs curieusement relatés dans l’Histoire de la Révolution Française dans le département du Var… (17).

Cette mention de l’ouvrage d’Hubert Lauvergne a du moins pour vertu d’attirer notre attention sur l’importance qu’a pu revêtir pour lui la rencontre de l’homme et de l’écrivain.

L’impression a été immédiatement favorable puisque Flaubert écrit à son propos :

« … un homme à moitié poète et à moitié médecin, offrant un bon mélange de sentiments et d’idées » (18).

Sous sa plume c’est un compliment de poids. Mais qui était cet homme, par quel entregent Flaubert a-t-ll été amené à faire sa connaissance, c’est ce que nous allons essayer de préciser.

À la date où ils se rencontrent, Hubert Lauvergne avait 43 ans. Il était né à Toulon le 20 janvier 1797. Comme les docteurs Raynaud père et fils, Hubert Lauvergne faisait carrière dans la médecine navale. Après des études secondaires menées à Toulon, il avait suivi les cours de l’École de Médecine navale de 1816 à 1819. À partir de cette date il n’allait cesser de naviguer sur les bâtiments les plus divers, et de participer à plusieurs campagnes jusqu’en 1832, année où il fut nommé Médecin-professeur des Hôpitaux de la Marine à Toulon. En 1840, Hubert Lauvergne occupait toujours cette fonction. Le nom de ce médecin est attaché à ses travaux. Esprit cultivé, et fort éclectique, curieux de tout, il avait écrit le récit de ses campagnes successives en Grèce, en Corse, en Egypte, à Cos, à Smyrne, au Levant, à Alger où il se rendra à plusieurs reprises, en Corse à nouveau, en Italie. Outre ces récits de voyages parsemés çà et là de quelques poèmes, il avait aussi rédigé plusieurs ouvrages de médecine à la date où Flaubert le rencontre (19). Cette intense activité littéraire et médicale avait contribué à le faire connaître dans les milieux littéraire, artistique, médical et même gouvernemental à Paris. Une preuve nous en est fournie par Alexandre Dumas qui écrit en 1832 :

« J’avais des lettres pour M. Lauvergne, jeune médecin du plus grand mérite, qui avait accompagné le duc de Joinville dans son excursion de Corse, d’Italie et de Sicile, et frère de Lauvergne, le peintre de marine, qui a fait deux ou trois fois le tour du monde » (20).

Les Lauvergne étaient donc des hommes fort connus en 1840. C’est semble-t-il, grâce au docteur Jules Cloquet que Flaubert connaît le docteur Hubert Lauvergne, de la même façon que toutes les personnes rencontrées au cours du voyage, et dont nombre d’entre elles étaient des médecins : le docteur Jules Cloquet a dû user de ses recommandations. Peut-être a-t-il lu les articles et ouvrages de médecine d’Hubert Lauvergne ou a-t-il entendu parler de lui dans les cénacles médicaux ou artistiques à Paris… ? (21).

L’accueil des voyageurs fut en tout cas franc et cordial, chaleureux même puisqu’ils furent reçus par Hubert Lauvergne dans sa bastide de Lamalgue, c’est-à-dire sa maison de campagne, et qu’ils passèrent une journée ensemble.

Peut-on aller au-delà, comme le fait le docteur Fontan qui suggère que les voyageurs sont restés trois jours durant à la bastide (22) ? Rien dans le texte ne permet de l’affirmer. Flaubert ne parle de la bastide et de Hubert Lauvergne que dans sa relation du troisième jour de son séjour à Toulon. S’il avait été hébergé trois jours durant à la bastide, on peut raisonnablement supposer qu’il l’aurait mentionné soit dans son texte soit dans ses lettres. Il est par conséquent probable que les voyageurs ont dû coucher en ville : il ne manquait certes pas de bons hôtels place au Foin par exemple !. Quoiqu’il en fût, la journée se passa très agréablement à bavarder et à se promener, ou à regarder le paysage, à écouter des vers :

« il m’a dit de ses vers, un soir… »

De quels vers s’agit-il, Flaubert ne le précise pas. On peut penser que c’étaient les vers les plus récents, ceux des Juvenales de 1840 (23), dans lesquels Hubert Lauvergne — en des vers médiocres, il faut bien le reconnaître — fulmine contre les péchés capitaux, et les illusions démocratiques. Citons quelques-uns de ces vers :

« L’homme enfin, ce pygmée à l’immense appétit

Alors qu’il se croit grand, me paraît bien petit »,

ou :

« Le peuple, roi jaloux de toute différence

Veut niveler le monde à son intelligence ».

Voilà un exemple de ce « bon mélange de sentiments et d’idées » qui caractérise Hubert Lauvergne et qui était un conteur infatigable. II a certainement dû relater ses campagnes, et apprenant que les voyageurs allaient en Corse leur décrire la Corse où il est allé par deux fois. Ces récits ont frappé Flaubert : nous en avons une preuve indirecte puisqu’au cours de son voyage en Corse il mentionne en note un ouvrage de Lauvergne (24), lu sans doute à son retour à Rouen.

De cette volubilité du conteur, nous en avons un témoignage rapporté par un collègue médecin jaloux et malveillant. Ouoy écrit dans ses Mémoires (25) que Lauvergne « n’a jamais été pris au sérieux » par ses collègues parce qu’il « manquait de caractère et de dignité » ; son « cerveau sans cesse en ébullition et surexcité par la bonne chère en faisait un bavard intarissable ».

Ce qui est sûr c’est que ce philhellène, ce bonapartiste modéré, ce conservateur en matière politique et philosophique (26) ne pouvait que plaire à un Gustave Flaubert, à un Jules Cloquet aux opinions concordantes, et, tout comme lui, amateurs de bons mots, de bonne chère, et de bon vin (27).

Ce court séjour achevé, Gustave Flaubert et le docteur Jules Cloquet allaient poursuivre seuls leur voyage en Corse, et ils revinrent à Toulon le 18 octobre au matin. Ce deuxième séjour fut court : deux ou trois jours tout au plus. L’incertitude quant à la durée provient de l’absence de toute indication dans le texte : il faut supputer la durée par rapport aux visites faites par les voyageurs. Il s’avère que celles-ci peuvent s’inclure dans une durée de deux jours. Ils seraient restés à Toulon dans cette hypothèse les 18 et 19 octobre, et en seraient repartis soit le 19 dans la soirée, soit le 20 octobre au matin (28).

Qu’ont-ils vu en si peu de temps ? Flaubert mentionne le bagne, l’arsenal et le jardin botanique. Enfin ils ont revu Lauvergne à la bastide « La Malgue ».

Du bagne et de l’arsenal, Flaubert ne dit rien : il n’en a rien retenu. À la différence du premier séjour où il a relaté la visite du vaisseau Marengo et de Saint-Mandrier, cette fois-ci il s’abstient. Sans doute n’a-t-il pas pris de notes, et ses souvenirs sont-ils plus que vagues. N’écrit-il pas au surplus quelques lignes plus haut :

« … il faut se hâter de finir mon voyage qui, du train que je mets à le raconter, pourra bien finir au mois d’août prochain » (29).

Entendons par-là que Flaubert en a assez de recopier — il est à Rouen — sa relation de voyage, et qu’il veut aller à l’essentiel en ne retenant que ce qui l’a véritablement intéressé.

Aussi préfère-t-il parler de sa deuxième rencontre avec Lauvergne. Sur ce dernier, il ne nous dit rien à la différence du premier séjour où il nous l’avait présenté. Dans ce deuxième écrit, Flaubert se contente de décrire le jardin de la bastide, la mer ainsi que le paysage environnant :

« La mer vient battre au pied de sa terrasse ; à gauche il y a une anse dans le rocher, faite exprès par les tritons pour y nager aux heures de nuit ; de dessus un tombeau turc qui sert de banc, on voit toute la Méditerranée ; son jardin est en désordre, l’herbe pousse dans les murs ; la fontaine est tarie, les cannes de Provence sont cassées, mais l’éternelle jeunesse de la mer sourit en face à chaque rayon de soleil, dans chaque vague azurée » (30).

Le texte de Flaubert fond description et évocation intérieure : le jardin semble abandonné comme mort — en un mouvement qui affirme la primauté dans l’éternité de l’eau, du soleil sur la terre, et les éléments terrestres.

La tonalité si particulière de ce passage ne peut être perçue que si l’on se rappelle que Flaubert est rentré à Rouen. Il écrit sous la dictée du souvenir qui lui fait oublier que « maintenant, il pleut, il fait froid » (31), que c’est le mois de novembre, et que bientôt, il devra aller à Paris faire son droit.

Nature nerveuse et féminine, l’écriture fait se détendre son être. Son esprit oppressé se délivre — fugitivement — de l’angoisse existentielle qui l’étreint en permanence. Pierre Danger écrit avec raison :

« Il est des moments où l’âme, bercée par des sensations plus douces, peut se détendre et se répandre » (32).

Cette expansion va avoir lieu ici dans cette rêverie qui sera récréation. Nul doute que ce soit là un moment de bonheur intense. À la même époque où Flaubert écrit le Voyage, il avoue dans une lettre à Ernest Chevallier :

« … j’ai toujours eu comme des souvenirs ou des instincts de rivages embaumés, de mers bleues » (33).

« Souvenirs », « instincts » : ces deux termes renvoient à l’être le plus profond de Flaubert. Au souvenir du jardin de La Malgue, Flaubert a superposé de manière inconsciente d’autres souvenirs livresques, celui du Rousseau des Rêveries et surtout celui d’Homère (34). C’est pourquoi la métaphore : « … l’éternelle jeunesse de la mer sourit en face à chaque rayon de soleil, dans chaque vague azurée », est-elle si complexe ? En revanche le travail d’écriture est — lui — parfaitement conscient. En effet Gustave Flaubert, tout au long de la description du jardin et de la mer a usé du présent qui souligne la valeur intemporelle du spectacle. Normalement, l’écrivain aurait dû avoir recours à un temps du passé, ce qui n’est pas le cas (35). Le présent — cet éternel présent, pour reprendre l’expression proustienne — signifie, semble-t-il ceci : face aux êtres et aux choses éminemment fugitifs, fragiles, incertains et périssables (les tombeaux turcs), la nature reste la seule valeur fixe, immanente, et, singulièrement la Mer (Méditerranée, car le terme de Tritons renvoie à l’Antiquité grecque, les Tritons étant à la fois hommes par le haut du corps et poissons par le bas) et le Soleil…

Le lendemain, le 19 octobre, Flaubert alla visiter le jardin botanique. À la différence du passage que nous venons d’analyser, Flaubert va s’étendre longuement sur sa visite à laquelle il ne consacre pas moins de deux pages. Il l’a considéré comme un des principaux moments de tout son voyage : le jardin botanique lui est apparu comme une « vision ». Et il la met sur le même plan que la vision du cloître de Saint-Trophime d’Arles ! C’est peu dire dès lors l’importance qu’il a attachée à cette « vision ». Le terme même implique dans son esprit une description minutieusement fouillée accompagnée naturellement des rêves suscités par la « vision ».

Ce jardin avait été créé en 1786 par la Marine qui avait loué un terrain jouxtant l’hôpital de la Charité — aujourd’hui hôpital de Chalucet — à l’administration des Hospices. Voici ce qu’écrit le Dr Louis André à ce sujet :

« Il existait en effet à Toulon depuis 1754, un collège de chirurgie (ancêtre de l’École Annexe de Médecine navale) destiné à former des chirurgiens de Marine pourvus d’une solide culture botanique qui leur était précieuse dans leurs campagnes lointaines. Pour parfaire cet enseignement botanique le « Premier Médecin » du collège, Barberet, fonda donc sur les terrains précités un « Jardin Botanique de la Marine » qui devait connaître une réussite extraordinaire. Le climat, l’exposition, le sol, le zèle des jardiniers de valeur, la collaboration efficace des marins qui ramenèrent de leurs voyages graines et plantes exotiques, tout s’unit pour faire de ce coin de Toulon un établissement unique en France » (36).

Ce caractère unique, Flaubert va nous le faire sentir mieux que les différents textes ayant trait au jardin (37). C’est que ce jardin donnait corps à ses rêves de « pittoresque oriental » et singulièrement à sa vision de l’Inde :

« …il y a là des roseaux de l’Inde à forme étrange, et des bananiers, des agavés, des myrtes encore, des cactus, toutes ces belles plantes des contrées inconnues, sous lesquelles les tigres bondissent, les serpents s’enroulent, où les oiseaux bigarrés perchent et se mettent à chanter. Il me semble que cela doit leur amollir le cœur de vivre toujours avec ces plantes, avec ce silence, cet ombrage, toutes ces feuilles petites et grandes, ces petits bassins qui murmurent, ces jets d’eau qui arrosent ; Il fait frais sous les arbres et chaud au soleil, le vent agite le branchage sur le treillis, Il y a du jasmin qui embaume, des chèvrefeuilles, des fleurs dont je ne sais pas le nom, mais qui font qu’en les respirant on se sent le cœur faible et tout prêt à aimer ; des nénufars sont étendus dans les sources, avec des roseaux qui s’épanchent de tous côtés. Le vent avait renversé les arbustes et il agitait les palmiers dont le faîte murmurait, deux palmiers, de ceux qu’on appelle rois ; ils sont au bout du jardin, et si beaux que j’ai compris alors que Xerxès en eût été amoureux et, comme à une maîtresse, ait passé à un d’eux autour du cou des anneaux et des colliers. Les rameaux du haut retombaient en gerbes avec des courbes douces et molles, ce mistral qui soufflait en haut les poussait les unes sur les autres en leur faisant faire un bruit qui n’est point de nos pays, le tronc restait calme et Immobile, comme une femme dont les cheveux seuls remuent au vent. Un palmier pour nous c’est toute l’Inde, tout l’Orient ; sous le palmier l’éléphant paré d’or bondit et balance au son des tambourins, la bayadère danse sous son ombrage, l’encens fume et monte dans ses rameaux pendant que le brahme assis chante les louanges de Brahma et des Dieux » (38).

Nous ne saurions donner de meilleur commentaire à ce passage qu’en citant Jean Bruneau :

« l’Inde rêvée par Flaubert est (…) composée de détails exotiques, plantes, animaux, costumes, mœurs, religion situés dans une nature exubérante, riche de couleurs et de parfums, et où apparaissent d’adorables figures de femmes. À l’exotisme s’ajoute la volupté. C’est aux Indes que, dans sa jeunesse, Flaubert situe de préférence ses rêves d’amour et de bonheur, dans ce pays où la vie lui apparaît comme une création luxuriante et incessamment renouvelée dans sa fécondité, où, comme il l’écrit dans ses Souvenirs, notes et pensées intimes, « la nature palpite d’amour ». Le rêve hindou est intimement lié à l’adolescence de Flaubert ; il exprime ses aspirations vers le bonheur et vers l’amour, les moments où la joie de vivre l’emportait sur son pessimisme naissant » (39). Les deux visites à Toulon ont donc été — malgré les visites obligées — parfaitement agréables, à l’instar du Voyage lui-même« mon cher voyage », écrira-t-il, dans ses Souvenirs, notes et pensées intimes (40). En outre Flaubert dira son désir de revenir à Toulon à la fin du Voyage :

« Mais de grâce, Arles aussi, et Marseille également, et Toulon, parce que je désire avant de mourir dîner encore deux ou trois fois chez M. Cauvière. Plus loin même, je dépasserai la bastide de Raynaud et j’irai à Venise, à Rome, à Naples, dans la baie de Baia, puisque je relis maintenant Tacite et que je vais apprendre Properce » (41).

Flaubert dépassera effectivement Toulon. Il ira en Italie un peu moins de cinq ans plus tard. Malheureusement ce voyage ne s’effectuera pas sous les meilleurs auspices, et ne répondra pas aux vœux qu’il avait formulés. En effet ce deuxième voyage fut décidé à la faveur du mariage de Caroline, sœur de Gustave avec Emile-Auguste Hamard qui eut lieu le 3 mars 1845. Ce mariage fut assez tièdement accueilli par Gustave Flaubert (42). Le voyage de noce vit une escorte familiale accompagner les jeunes mariés : le docteur Flaubert craignait pour la santé de sa fille, et lui-même avait mal aux yeux.

Le voyage augurait mal, et effectivement se déroula ainsi, ponctué par les maux du docteur et de sa fille et deux crises nerveuses de Gustave Flaubert. Dès lors le plan du docteur qui visait à accompagner les jeunes mariés jusqu’à Gênes, et à les laisser continuer seuls vers Florence, Rome, Naples fut contrarié, et abandonné (43).

Les soucis de santé, la présence de sa famille, de son beau-frère ne sont pas étrangers aux désillusions de Gustave Flaubert qui se plaint vigoureusement de ne rien voir, de ne rien visiter comme il l’aurait voulu :

« Par tout ce que tu as de plus sacré (…), cher et tendre Alfred, je t’en conjure au nom du ciel, au nom de moi-même, ne voyage avec personne ! avec personne ! (…) Voilà deux fois donc que je vois la Méditerranée en épicier ! » (44).

Ceci explique donc que la relation du Voyage de 1845 ne sera pas aussi développée que celle de 1840, du moins pour tous les endroits déjà visités. Flaubert jugera inutile de se répéter, il ne prendra que des notes en « style télégraphique ».

En outre, à la différence du Voyage de 1840 ré-écrit à Rouen, les notes ici ne semblent pas avoir été retouchées à son retour. Mais surtout il rendra compte de manière plus exhaustive de son voyage. François Claudon note avec juste raison :

« On est d’abord frappé par un côté sérieux, érudit, systématique qui fait immanquablement songer à un guide de voyage. Flaubert ne manque aucun musée (…). Il n’est pas jusqu’à l’hôpital de Toulon, jusqu’au cimetière de Menton qui ne soient consciencieusement considérés ! » (45).

C’est peu de dire que l’optique de Flaubert a changé : alors qu’en 1840 il note surtout des impressions et les recompose « en style » à son retour, en 1845 il accumule de brèves notes plus sèches mais plus complètes.

Quand passe-t-il à Toulon ? Nous pouvons nous en faire une idée exacte grâce au texte du Voyage comparé avec celui de la Correspondance. En effet dans la lettre du 15 avril adressée à Alfred Le Poittevin, il est question d’un dîner avec le docteur Cauvière : « Le père Cauvière a dîné ici tout à l’heure » (46). La lettre est donc rédigée sitôt le dîner terminé. Le texte du Voyage nous indique de son côté que le départ de Toulon a eu lieu dans la nuit, après dix heures (47). Flaubert ne dort guère, et le voyage en diligence est ponctué d’arrêts (48).

Toute la famille Flaubert arrive par conséquent à Toulon le 16 avril 1845 au matin. Sitôt arrivée elle s’installe dans un des cinq hôtels de la place au Foin (49). Flaubert l’indique expressément :

« À Toulon j’avais aussi devant mon hôtel les mêmes arbres et la même fontaine, qui coulait de même et faisait la nuit, son même bruit d’eau tranquille » (50).

Le contexte ne doit pas être oublié : cette fontaine de la place au Foin lui rappelle celle qui coule dans la cour de l’hôtel du n° 13 de la rue de la Darse, l’hôtel Richelieu à Marseille où il a connu Eulalie Foucault de Langlade (51). Il reviendra sur ce souvenir dans une lettre écrite à Damas en 1850 :

« il est 11 h. du soir, j’entends le jet d’eau qui retombe dans la vasque de la cour (cela me rappelle le bruit de la fontaine à Marseille de l’hôtel Richelieu, quand je baisais cette bonne Mme Foucault née de Langlade) » (52).

C’est qu’à Marseille, ayant cherché à la revoir, il n’a pas retrouvé sa trace : par deux fois il reviendra sur son infructueuse recherche dans ses lettres (53). Étrange insistance de la part d’un homme qui a affirmé ne jamais avoir aimé cette femme ! Souvenir empreint de nostalgie, il sera sous-jacent au début de la relation du passage à Toulon :

« Partout, jusqu’à Toulon, j’ai été obsédé, surtout quand j’y repense par les souvenirs de mon premier voyage ; la distance qui les sépare s’efface, ils se posent toujours en parallèle et se mettent au même niveau, si bien que déjà ils me semblent presque à même éloignement. Au bout d’un certain temps, les ombres et les lumières se mêlent, tout prend même teinte, comme dans les vieux tableaux : les jours tristes se colorent des jours gais, les jours heureux s’alanguissent un peu de la mélancolie des autres. Voilà pourquoi on aime à revenir sur son passé, il est triste et charmant cependant, c’est comme les airs qui font mal à entendre et qu’on est poussé à écouter toujours et le plus longtemps possible.

La place au Foin a ses mêmes arbres verts et son même bruit d’eau ; le quai, la mer, les rues, tout est de même. Quelle différence avec le cœur ! Les arbres ne conservent point la trace des orages qui ont courbé leurs branches, ni les sables légers que le vent fait mouvoir celle des pas qui s’y sont imprimés ; il n’en est pas de même de l’âme et de la figure des hommes : tout y marque. Eternel travail de mosaïque ! Les petites pierres s’incrustent par-dessus les grandes, le noir sur le blanc, le bleu à côté du rouge, les privations et les excès, les colères, les découragements et les enthousiasmes hei mihi ! hei mihi ! » — (54).

Que voit-il au cours de son séjour ? Les mêmes lieux déjà visités, moins la visite d’un navire de guerre, c’est-à-dire l’hôpital du bagne — le matin — puis à nouveau cet établissement l’après-midi et Saint-Mandrier. Par rapport au voyage de 1840, il s’attardera, en de très brèves notes, à brosser l’atmosphère du bagne, et à croquer forçats et gendarmes :

« Visite d’hôpital au bagne ; idem pour l’ensemble.

Celui qui se croit le Messie. — Le savant, en lunettes bleues, sa camisole arrangée en robe de chambre, lisant son petit bouquin ; condamné pour viol. — Arabes : moins beaux qu’à ma première visite.

Nous y sommes revenus l’après-midi. Il y a une indécence bien bête à venir voir des forçats. Les honnêtes femmes y viennent et les regardent avec leurs lorgnons pour voir si ce sont des hommes. — Mine du bourgeois se promenant là en gants blancs ! — Leurs lits de planche : c’est là-dessus qu’on rugit et qu’on se m… ! O poète, viens la nuit et entre dans leurs rêves, tu feras ensuite l’histoire de l’humanité ! Que ne donnerait-on pas pour savoir toutes leurs histoires ! — Figure du banqueroutier frauduleux, gras, frais, regard hardi. — Le vendeur, corse, d’objets de coco ; le matin, un autre jeune homme nous en avait proposé, avec un salut exquis, plein de perfidie comme un sourire. — Le brave gendarme qui nous menait était plein de l’amour de la vertu. — Le type de forçat a disparu : en lui ôtant son cynisme (voitures cellulaires, régimes philanthropiques on lui a ôté sa poésie et peut-être toute sa consolation. — Une voiture cellulaire arrivait ; quels étaient ceux qui étaient dedans ? Leurs vieux camarades les attendaient. — On se sent en rage contre la race bête des procureurs du roi, contre leur aplomb profond, contre les messieurs qui envoient là tous ces hommes pour le crime d’avoir agi en vertu de leur position et de leur nature. On serait tenté de briser leurs chaînes et de les relâcher sur le monde. — « Mais, Monsieur, où en serions-nous si tout le monde pensait comme vous ? Où en seraient mes propriétés, mes biens ? Il faut des lois pour contenir la société ; il faut punir les misérables et les empêcher de se livrer à leurs mauvais penchants. Vous-même, Monsieur, qui déclamez contre la société, vous êtes bien aise d’être protégé par elle… ». En raisonnant ainsi ils arrivèrent à Bordeaux. » (55).

Le passage, volontairement non écrit, se présente comme un compte-rendu ne visant pas à l’originalité, et en tout cas incomplet puisqu’on ne trouve rien sur les travaux pénibles exécutés par les forçats. Flaubert a simplement noté quelques types de forçats au passage, et, surtout, les réactions des visiteurs du bagne. Ces réactions entraîneront de la part de l’auteur une exaspération qu’ il fera sentir à la fin du passage (56).

Toutes ces brèves notations se retrouveront bien plus tard dans l’article FORÇAT du Dictionnaire des Idées Reçues :

FORÇAT. — Les forçats ont toujours une figure patibulaire. Ils portent leurs crimes écrits sur le visage.

Sont tous très adroits de leurs mains : ils sculptent les noix de coco, tressent des petits paniers de paille, etc.

Il y a des hommes de génie au bagne (57).

De Saint-Mandrier, il n’estimera pas utile de rajouter quoi que ce soit par rapport à la relation de 1840 : Flaubert préfère retrouver les sensations alors ressenties :

« Promenade dans la rade. — La mer était bien bleue, le vent gonflait la voile, et l’eau murmurait aux flancs du canot, l’eau de la même mer avec le même bruit qui murmurait à la proue de la galère de Cléopâtre ou de Néron. L’immobilité de la Méditerranée semble la rendre éternelle et toujours jeune. Si Homère revenait, il reverrait le soleil aussi chaud sur ses golfes aussi doux. L’Océan est plus dans notre nature ; Il y a la différence du romantique au classique : plus large, mais moins beau peut-être » (58).

Voilà pour les visites obligées. Quant à Hubert Lauvergne, il le voit par deux fois : il déjeune avec lui entre deux visites à l’hôpital du bagne, et dîne le soir en sa compagnie. Il semble bien qu’il déjeune en ville : Flaubert écrit « Maison de Lauvergne », et non « La Malgue ». Il réserve cette dernière appellation à la bastide et l’associe au dîner, le soir. Donc Flaubert — et avec lui sa famille —, dans cette hypothèse, a déjeuné chez Lauvergne en ville, rue Royale au n° 51.

Il note au cours du déjeuner — remarque banale — que le fils d’Hubert Lauvergne « a grandi » (59) et que les « meubles sont usés », ce qui laisserait supposer qu’il est venu en 1840 au n° 51, rue Royale… Le soir, à la bastide « La Malgue », rien dans le dîner ou dans le jardin ne retient son attention : il n’y a pas de description évocatoire du jardin comme au cours du deuxième séjour de 1840. Rien non plus ne lui paraît digne d’être noté dans la soirée qui suit le dîner : Flaubert se contente de noter télégraphiquement :

« En revenant de La Malgue, théâtre, loge du général » (60).

Par contre la présence d’un petit singe à Lamalgue va déclencher en lui un souvenir d’un rêve qu’il juge digne d’être rapporté :

« … Le petit singe. — Je ne sais jamais si c’est moi qui regarde le singe ou si c’est le singe qui me regarde. Les singes sont nos aïeux. J’ai rêvé, il y a environ trois semaines, que j’étais dans une grande forêt remplie de singes ; ma mère se promenait avec moi. Plus nous avancions, plus il en venait : il y en avait dans les branches, qui riaient et sautaient ; il en venait beaucoup dans notre chemin, et de plus en plus grands, de plus en plus nombreux. Ils me regardaient tous, j’ai fini par avoir peur. Ils nous entouraient comme dans un cercle ; un a voulu me caresser et m’a pris la main, je lui ai tiré un coup de fusil à l’épaule et je l’ai fait saigner ; il a poussé des hurlements affreux.

Ma mère m’a dit alors : « Pourquoi le blesses-tu, ton ami ? Qu’est-ce qu’il t’a fait ? ne vois-tu pas qu’il t’aime ? Comme il te ressemble ! » Et le singe me regardait. Cela m’a déchiré l’âme et je me suis réveillé… me sentant de la même nature que les animaux et fraternisant avec eux d’une communion toute panthéistique et tendre » (61).

Les clefs de ce rêve résident de toute évidence dans l’inconscient flaubertien et se dérobent à l’analyse. Tentons néanmoins d’en dévoiler partiellement la signification et le sens.

La première indication nous est donnée par Gilles Henry qui suggère cette piste : « peut-être un rappel de Djalioh ? » (62).

Dans une lecture au premier degré on pourrait penser effectivement que ce rêve constitue un rappel lointain du Djalioh de Quidquid Volueris, études psychologiques, conte philosophique daté du 8 octobre 1837 dans lequel Flaubert étudiait la parenté de l’homme et du singe (63).

Il écrivait notamment :

« Je n’aime guère les singes, et pourtant j’ai tort, car ils me semblent une imitation parfaite de la nature humaine. Quand je vois un de ces animaux — je ne parle pas ici des hommes — il me semble me voir dans les miroirs grossissants : mêmes sentiments, mêmes appétits brutaux, un peu moins d’orgueil et voilà tout » (64).

De fait si l’on rapproche cette citation des propos prêtés à la mère de Gustave en réaction à son coup de fusil — « ne vois-tu pas qu’il t’aime ? — comme il te ressemble ! —, et au commentaire de Gustave Flaubert : « Je me suis réveillé… me sentant de la même nature que les animaux et fraternisant avec eux d’une communion toute panthéistique et tendre », la suggestion de Gilles Henry est pertinente. Toutefois elle le serait encore plus si le rêve avait eu lieu à Toulon, dans la nuit du 16 au 17 avril. Or Flaubert prend bien soin de dire qu’il a fait ce rêve trois semaines auparavant, ce qui nous renvoie au 21 ou 22 mars environ, c’est-à-dire à quelques jours du départ des Flaubert pour l’Italie. Or, on le sait, la perspective de ce voyage n’avait guère déclenché l’enthousiasme de Flaubert d’autant qu’il n’approuvait pas le mariage de sa sœur avec Émile Hamard. Dès lors est-on amené à penser que la lecture au premier degré est incomplète. Risquons donc une deuxième lecture plus délicate, plus périlleuse aussi dans ses conclusions.

On se souvient que dans le Quidquid Volueris, Djalioh dévoré de jalousie, viole, puis assassine Adèle, femme de Paul de Monville. Jean-Paul Sartre y voit une transposition sur le mode imaginaire des sentiments inexprimés à l’égard de Mme Schlésinger et de son mari :

« … dans le cas de Gustave, la présence indésirable — le mari — réveille l’antique jalousie qui le tourmente et, ressuscitant la scène primitive, le transforme en Djalioh » (65).

Revenons à notre rêve. Apparemment il n’y a aucune analogie entre Djalioh-FIaubert 1837 et Flaubert 1845 : en 1845 Flaubert n’est pas le singe. Au contraire il blesse le singe. Toutefois la situation est la même : Flaubert est « jaloux » du mari de Caroline, comme en 1837 il est jaloux de Maurice Schlésinger. Mais cette jalousie n’est pas aussi forte sinon Flaubert se serait fait à nouveau Djalioh, et la jalousie aurait été incestueuse. Rien de tel ici : la jalousie est réelle en ce que Hamard lui « vole » une admirable sœur qui sait si bien le comprendre, l’accompagner dans ses promenades, partager enfin ses préoccupations d’ordre littéraire… La relation était donc affectueuse et intellectuelle. De plus, « voler » Caroline à Gustave, c’est renvoyer ce dernier à sa solitude, c’est briser cette relation. Le coup de fusil et la blessure qui en découle apparaissent donc comme un refus de Flaubert de se laisser « apprivoiser » par Hamard, et la blessure comme symbolique. N’y aurait-il pas dans la remontrance rêvée de Mme Flaubert l’écho d’une conversation réelle au cours de laquelle celle-ci aurait manifesté un tendre étonnement devant l’attitude de Gustave dont la froideur croissante à l’égard d’Hamard lui aurait été dévoilée par l’incapacité où se trouvait Flaubert à contenir ses sentiments profonds ? N’y a-t-il pas comme un aveu implicite dans ces phrases à son ami le plus intime Alfred Le Poittevin :

« … Plus je vais, et plus je me sens capable de vivre de la vie de tous, de participer aux joies de famille, de m’échauffer pour ce qui enthousiasme, et de me faire rougir à ce qui m’indigne. Je m’efforce tant que je peux à cacher le sanctuaire de mon âme ; peine inutile ! hélas ! les rayons percent au dehors et décèlent le Dieu intérieur. J’ai bien une sérénité profonde, mais tout me trouble à la surface. Il est plus facile de commander à son cœur qu’à son visage » (66).

Dès lors inclinons-nous à penser que Flaubert a dû exprimer de vive voix ou laisser transparaître cette amertume, ce sentiment très composite de jalousie, de dépit et de rancœur ressenti à l’égard d’un « rival » qui lui vole sa chère Caroline, et l’éloigne de lui. Ce sentiment a dû être exaspéré par ces lignes extraites d’une lettre de sa sœur datée du 22 mars :

« … Je crains, cher Gustave, que l’amour de famille que possède à un si haut point mon mari, n’entre déjà un peu dans mon cœur (…). Le Dr Hamard (…) est tout à fait de mes amis, il a de bonnes manières et j’aime l’entendre causer » (67).

S’il est bien une chose sur laquelle Flaubert n’a jamais varié, c’est son refus catégorique de s’« harmoniser » ou de s’humaniser ! (68). Il manifestera toujours son horreur devant l’institution du mariage, soit dans sa Correspondance, soit dans ses romans.

À sa mère qui lui avait annoncé le mariage de son ami Ernest Chevalier, et qui avait émis l’espoir que lui aussi se marierait un jour, Flaubert répondit par la négative et ajouta :

« L’artiste, selon moi, est une monstruosité, — quelque chose de hors nature » (69).

Après quoi il traça de « ce brave Ernest » le portrait féroce que voici : « Magistrat, il est réactionnaire ; marié, il sera cocu ; et passant sa vie entre sa femelle, ses enfants et les turpitudes de son métier, voilà un gaillard qui aura accompli en lui toutes les conditions de l’humanité » (70).

Ces lignes datent de 1850, mais elles auraient tout aussi bien pu traduire les sentiments de Flaubert en 1845. Sa mère lui aurait-elle aussi suggéré de s’humaniser, donc de se marier lui aussi ? Peut-être avons-nous une réponse indirecte, si nous nous reportons à l’emploi que fait Flaubert du verbe « rêver » dans notre passage. Rêver, ce n’est plus penser au sens classique du mot. C’est plutôt penser « sauvage », laisser son imagination vagabonder. C’est être seul, irréductiblement. Les autres ce sont les singes, c’est-à-dire des hommes qui n’ont de préoccupation que de se ressembler, de se « socialiser », donc de bêtifier… Les singes sont la Bêtise, la bêtise sociale (71)…

 

Jacques Papin.

(Toulon).

(1) Le présent article constitue une version réduite — à paraître dans une revue méditerranéenne.

(2)Le choix du mentor n’avait pas déclenché chez Flaubert un grand enthousiasme (cf. Corr. p. 65. A. Ernest Chevalier. Rouen 7 juillet 1840). De plus flanqué de la sœur du docteur et d’un abbé, Gustave devait ressentir l’impression d’une pesante surveillance. Albert Thibaudet l’avait bien senti lorsqu’il écrivait :

« On voyageait avec la sœur du docteur et un abbé, ce qui même pour une famille déiste, était une manière de garantie. »

(In : Albert Thibaudet, Gustave Flaubert, Gallimard, collection « Leurs Figures », Paris, 1935, p. 29.)

Cette impression devait se dissiper — en partie — par la suite, et déboucher sur une amitié avec le docteur Cloquet et sa sœur Lise.

(3) La datation est facilitée par la Correspondance (cf. pp. 71-72). Dans la lettre adressée à sa sœur Caroline et écrite à Marseille le dimanche soir après la poste (28 septembre 1840). Flaubert écrit à la fin en guise de post-scriptum :

« Après-demain nous partons pour Toulon et de là je vous dirai le jour de mon départ pour la Corse. Il est bien décidé que notre retour sera avant le 1er novembre. » La lettre suivante, toujours adressée à sa sœur Caroline, a été écrite à Ajaccio le 6 octobre 1840 :

« Je t’écris aujourd’hui ma bonne Caroline, parce que j’en ai le temps, mais je ne sais quand cette lettre te parviendra ni même quand je la mettrai à la poste. Vous avez dû recevoir une lettre d’Ajaccio, où je suis arrivé hier 5. À Toulon j’ai reçu la tienne dans laquelle tu me demandes de longues épîtres. Je suis prêt à satisfaire ton désir et à te donner tous les détails possibles sur mon voyage. » La lecture et la comparaison attentive de ces deux lettres nous amène à faire plusieurs observations.

Tout d’abord Flaubert, contrairement à son intention exprimée dans le post-scriptum de la lettre du 28 septembre, n’a pas eu le temps d’écrire une lettre qu’il aurait postée à Toulon. M. Jean Bruneau, consulté sur ce point, a eu l’obligeance de nous écrire qu’il partageait ce point de vue. Nous pouvons donc en inférer de manière implicite que le premier séjour de Flaubert i Toulon a été bien rempli.

Pour se rattraper, Flaubert écrit d’Ajaccio deux lettres : la première le 5 octobre, la seconde datée pour sa première partie du 6 octobre et pour sa deuxième partie du 9 octobre. Seule la deuxième lettre nous est parvenue, non la première. Cette disparition est assurément regrettable car Flaubert devait y développer ses Impressions de voyage à Toulon, sa rencontre avec Hubert Lauvergne, puis son trajet mouvementé sur le navire qui l’emmenait en Corse (sur la disparition de nombreuses lettres, voir Bruneau, Corr., p. 881, note 1).

(4) Jean Bruneau, Les débuts Littéraires de Gustave Flaubert. Paris, Armand Colin, 1962, p. 299. Voir aussi Pierre Danger, Sensations et objets dans le roman de Flaubert Paris A Colin 1973, p. 50.

(5) À sa décharge il convient de dire que ce voyage constitue sinon l’un de ses premiers textes littéraires, du moins sa première relation dans le « genre littéraire », et que d’autre part il prenait des notes incomplètes et partielles dans la mesure où les moments où il pouvait coucher par écrit ses observations étaient rares.

Ses journées étant bien occupées il ne pouvait que prendre des notes très brèves sur le moment ou le soir à l’étape. Enfin n’oublions pas qu’il devait aussi écrire à ses parents, à sa sœur et à ses amis !

La relation elle-même que nous possédons a été retranscrite à Rouen d’après ces notes. Nous partageons l’avis de M. Jean Bruneau :

« Flaubert avait-il pris des notes en cours de route, ou a-t-il rédigé d’après ses souvenirs ? Nous pencherions plutôt pour la seconde hypothèse, car les deux catalogues de la succession Franklin-Grout ne font nulle part mention de notes ou de brouillons concernant le premier voyage de Flaubert, excepté un « manuscrit de 7 pages : itinéraires du voyage Bordeaux-Pyrénées-Toulon, 22 x 18 cm. Il semble donc que Flaubert ait rédigé son récit avec la seule aide de cet Itinéraire qui lui fournissait les données matérielles de son voyage ».

(Cf. Jean Bruneau, op. cit., p. 293.)

Est-Il besoin au surplus de rappeler que la conception que se fait Gustave Flaubert du Voyage est parfaitement romantique. N’écrit-il pas :

« (…) Il n’y a rien de si fatiguant que de faire une perpétuelle description de son voyage et d’annoter les plus minces impressions que l’on ressent ; à force de tout rendre et de tout exprimer, il ne reste plus rien en vous, chaque sentiment qu’on traduit s’affaiblit dans notre cœur, et dédoublant ainsi chaque image, les couleurs primitives s’en altèrent sur la toile qui les a reçues. » (Voyage, p. 32.)

Voir aussi D.L. Demorest, op. cit., pp. 162-163.

(6) Voyage, p. 54.

(7) Voyage, pp. 54-55.

La scène que rapporte Flaubert a dû se dérouler place de la Cathédrale bien que le texte — « un coin de rue » — soit imprécis dans sa formulation, car ce genre de spectacle était étroitement réglementé par les édiles toulonnais qui n’autorisaient leur tenue qu’en un seul endroit. En outre, ce que l’on peut observer, c’est que ces deux personnages appartenaient vraisemblablement à une troupe de saltimbanques, voire à une troupe théâtrale : « un nain fort laid », « une grande fille assez jolie » font songer à un embryon de troupe. Enfin, ils s’expriment « en français » pour être compris par le plus grand nombre de spectateurs : ne serait-ce pas le fait d’une troupe en tournée ?

(8) Sur ce point voir Jean Bruneau, op. cit., p. 300.

(9) Alexandre Dumas, Impressions de Voyage. Un hiver à Florence, Paris, Calmann-Lévy 1923, pp. 33-34.

(10) Sur ce vaisseau Marengo voir un article en préparation.

(11) M. Reynaud Joseph-Ferdinand-Alphonse, médecin et fils d’un médecin ami d’Hubert Lauvergne, personnage dont nous reparlerons.

(12 et 13) La raillerie de Flaubert est Ici trop facile : Il oublie de dire que l’hôpital du bagne a été entièrement construit par les bagnards qui, pour quelques-uns d’entre eux, y laissèrent leur vie !

(14) Flaubert est pris ici en flagrant délit d’exagération manifeste. Citons ce qu’écrit Bérenger-Féraud

« La citerne de Saint-Mandrier a un écho très remarquable : on entend quand on se met dans les meilleures conditions jusqu’à neuf fois la répétition des mots prononcés à haute voix. On avait, il y a quelques années, placé dans le vestibule du réservoir une caisse qu’on faisait tomber sur le plancher et dont le bruit sonore ressemblait à un coup de canon se répercutant de loin en loin d’une manière curieuse. » S’agirait-il là des « coups de fusil » de Flaubert ?

In : Bérenger-Féraud, Saint-Mandrier, Marseille, éd. Jeanne Lafitte, 1977, XX, 524 p. Reproduction en fac-simile de l’éd. de Paris. E. Leroux, 1881, pp. 297-300.

(15) Maurice Agulhon ne cite pas ce passage de Gustave Flaubert dans sa note 58 de la page 56 de son ouvrage : il ne note que l’exploitation qui a été faite de ce thème par Zola dans la Fortune des Rougon. Voir Une ville ouvrière au temps du socialisme utopique : Toulon de 1815 à 1851. Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. Centre de Recherches historiques. Coll. « Civilisations et Sociétés » n° 18. Mouton, Paris-La Haye, 2e édition, 1977,

Voir aussi D.L. Demorest, op. cit., p. 173.

(16) Voyage, p. 58.

(17) Voyage, p. 58.

Flaubert en citant l’ouvrage d’Hubert Lauvergne, Histoire de la Révolution Française dans le Var en tronque le titre qui comportait également… depuis 1789 jusqu’à 1798. Le livre avait paru en 1838-1839 chez Monge et Baume, puis chez Monge et Villamus, libraires-éditeurs n° 6, rue de la Miséricorde à Toulon. Cet ouvrage — le plus connu de tous les écrits d’Hubert Lauvergne a été réédité depuis par les éditions Jeanne Lafitte à Marseille. Les détails cités par Flaubert concernant les événements révolutionnaires à Toulon, auxquels Bonaparte prit la part que l’on sait, se trouvent aux pages 370 et suivantes.

Remarquons pour terminer que Flaubert n’a pu prendre connaissance de l’ouvrage fort copieux (709 pages) qu’à son retour à Rouen : Hubert Lauvergne lui aurait donc fait don de son livre ( ?).

(18) Voyage, p. 58.

(19) La bibliographie la plus complète des divers écrits publiés d’Hubert Lauvergne est celle des docteurs Charles Berger et Henri Rey, dans leur ouvrage Répertoire bibliographique des travaux des médecins et des pharmaciens de la marine française 1698-1873. Paris, J. Ballière et fils, 1874. La notice consacrée à Hubert Lauvergne se trouve aux pages 148-150.

(20) A. Dumas, op. cit., p. 33.

Sur le frère d’Hubert Lauvergne voir notre article dans le B.A.V.T., note 27.

(21) Nous ne pouvons en l’espèce que procéder de manière conjecturale car, au moment où ces lignes ont été écrites, nous n’avons pu encore déterminer quel était le degré de connaissance réciproque d’Hubert Lauvergne et de Jules Cloquet, faute d’avoir découvert les papiers de famille et les archives d’Hubert Lauvergne et de Jules Cloquet.

(22) Dr J. Fontan, Les romantiques à Toulon. La Malgue et la villa Cloquet. Conférence faite par le Dr Fontan le 4 novembre 1926. —  Gustave Flaubert — H. Lauvergne — J. Cloquet in : Bulletin de la Société des Amis du Vieux Toulon, no 12, octobre-novembre-décembre 1926, pp. 286-287.

(23) Le titre complet est : Juvénales de 1840. Le Passé, le Présent. Toulon, imprimerie d’Eugène Aurel, 14 p., 1840, in 8.

(24) Voyage, p. 81, note 1.

Flaubert cite un « curieux mémoire que M. Lauvergne a publié sur la Corse

Il s’agit du Mémoire sur la Corse In : Le Journal des Voyages, découvertes et navigations modernes ou Archives géographiques du XIXe siècle, rédigé par une société de géographes et de voyageurs français et étrangers et publié par N. Devilleneuve. Paris, Bureau du Journal, t. XXIX, mars 1826, 89e cahier.

Les voyages d’Hubert Lauvergne en Corse, l’Influence de ceux-ci sur celui de Gustave Flaubert ont été analysés de manière très précise par Madame Perette Jeoffroy-Faggianelli dans sa thèse de doctorat d’Etat, L’Image de la Corse dans la littérature romantique Française, Paris, Presses Universitaires de France, 1979, p. 446. Voir pour Lauvergne pp. 181-185 et pp. 251-255 ; pour Flaubert pp. 290-294 et surtout pp. 382-401.

Voir aussi le mémoire de maîtrise de Dominique Mondoloni : le « cher Voyage en Corse » de Gustave Flaubert, p. 115 ; (M. M. Nice 1972-29).

(25) J.R. Quoy, Mémoires (édition partielle par Barbotin), Rochefort, 1925, cité d’après Jacques Léonard, Les Officiers de Santé de la Marine Française de 1814 à 1835. Thèse pour le doctorat de 3e cycle (Mention Histoire). Faculté des Lettres et Sciences Humaines deRennes. Institut de Recherches Historiques. Librairie Klincksieck, Paris, 1967, p. 244, note 58.

(26) D’après Léonard, op. cit.. pp. 169-171 ; p. 194 ; p. 258.

(27) Sur l’hospitalité d’Hubert Lauvergne, voir mon article en préparation.

(28) On voit mal dans un calendrier si serré, que ce soit au cours du premier comme du deuxième séjour, comment Gustave Flaubert aurait pu aller visiter le château des Adrets comme le soutient Antoine Youssef Naaman qui, dans les Lettres d’Egypte de Gustave Flaubert (Nizet. 1965), écrit p. LXXVIII :

« Hubert Lauvergne, médecin en chef de la marine et de l’hôpital des forçats de Toulon, visite, en 1840, avec Flaubert, le château des Adrets, lors du voyage aux Pyrénées et en Corse. »

Rien dans le texte du Voyage ne mentionne cette visite. Rien non plus dans la Correspondance (mais nous n’avons pas, hélas I, la lettre du 5 août 1840 qui aurait peut-être pu nous éclairer). Sur quelle autorité se fonde donc M. Antoine Youssef Naaman ? Gustave Flaubert a bien visité les Adrets, mais seulement en 1845 :

« … j’ai vu sur la droite l’immortelle auberge des Adrets. Je l’ai regardée avec religion, en songeant que c’était là d’où le grand Robert Macaire avait pris son vol vers l’avenir, qu’était sorti le plus grand symbole de l’époque et comme le mot de notre âge ». (Cf. Corr. p. 227 et p. 957, note 3 ; Voyage, p. 120.)

Enfin en 1840, Hubert Lauvergne était médecin-professeur, et non médecin en chef. Il n’y a pas non plus de château aux Adrets si l’on suit L. Henseling, Zigzags dans le Var. I séries 1 à 6, Lafitte, Marseille, 1977. 1ère série 1929. pp. 62-63 ; 6e série, pp. 44-45.

(29) Voyage, p. 101.

(30) Voyage, pp. 101-102.

Pour une description du même jardin, vingt-et-un ans après, il faut lire les pages 304-305 de la Sorcière de Jules Michelet. Edition de Paul  Viallaneix, Garnier, Flammarion, 1936.

(31) Voyage, p. 104.

(32) Pierre Danger, op. cit., p. 14.

(33) Corr., p. 76. A Ernest Chevalier (Rouen). 14 novembre 1840.

(34) Gustave Flaubert avait déjà lu — et apprécié — Rousseau dont il connaissait bien l’œuvre. Voir l’article de Geneviève Bollême, L’écriture comme expérience limite chez Rousseau et Flaubert, in : Charles Carlut, Essais sur Flaubert. En l’honneur du professeur Don Demorest, Nizet, 1979, pp. 121-143.

Pour Homère, c’est Flaubert qui, à la fin du Voyage, indique (cf., p. 105) :

« J’irai bien en Grèce ; me voilà lisant Homère, son vieux poète qui l’aimait tant… »

Ceci ne veut pas dire qu’au moment où Flaubert rédige notre passage, il lit en même temps Homère. Toutefois il le connaissait déjà, ne serait-ce que de manière scolaire puisqu’il figurait au programme des études suivies par Flaubert, et peu de temps auparavant, au baccalauréat (voir Corr, p. 65. Rouen, 7 Juillet 1840).

Voir aussi Jean Bruneau. Les Débuts Littéraires…, op. cit, chapitre II. Les lectures de Flaubert de 1835 à 1842, pp. 17-38.

(35) Voir  à ce sujet le remarquable article de A.W. Raitt, L’Éternel Présent dans les Romans de Flaubert in : Flaubert et le comble de l’Art. Nouvelles recherches sur Bouvard et Pécuchet. Actes du Colloque tenu au Collège de France les 22 et 23 mars 1980. Editions SEDESCDU réunis, Paris, 1981.

(36) Dr Louis André, Le Jardin Public de Toulon In : Annales des Sciences Naturelles de Toulon et du Var, 1965, pp. 52-53.

Ajoutons qu’Hubert Lauvergne avait suivi les cours de ce collège…

(37) Ainsi Le Cicerone Toulonnais, guide du voyageur (Toulon). Imprimerie d’Eugène Aurel) de J.D. Henri paru en 1840, s’il recommande la visite du jardin botanique reste vague el ne décrit rien (cf. p. 51). Il est à noter que Flaubert ne consultera aucun guide sur Toulon lors des deux voyages en 1840 et en 1845. Par contre La Notice sur le Jardin de la Marine Royale à Toulon dressée par J.L. Hemon en 1846 et conservée aux Archives Municipales, confirme les dires de Flaubert point par point.

(38) Voyage, pp. 102-103.

(39) Jean Bruneau. Le Conte Oriental de Flaubert, coll. « Dossiers des Lettres Nouvelles », Paris, Denoël, 1973, p. 45.

Sur l’Orient de Flaubert voir les pages 37-80.

Voir aussi D.L. Demorest, op. cit., p. 168.

(40) Flaubert. Souvenirs. Notes et Pensées Intimes, op. cit., n 78. « Cher » aussi à Jules Cloquet qui achètera une bastide à côté de la « Villa La Malgue ». Voir Fontan, op. cit., pp. 289-290.

(41) Voyage, p. 105.

Flaubert commet, semble-t-il, un lapsus en mentionnant la « bastide de Raynaud ». Sans doute voulait-Il dire « la bastide de Lauvergne » ?

Ce désir de revenir à Toulon sera — ne l’oublions pas — partagé par le Dr Jules Cloquet et sa sœur, qui ne tarderont pas à acheter une propriété voisine de La Malgue.

Voir sur ce point J. Fontan, Les Romantiques à Toulon…, op. cit., pp. 289-290.

(42) Voir sa lettre à Ernest Chevallier du 11 novembre. Corr., p. 213 et p. 949, note 2.

(43) Lettre du 2 avril 1845 à Alfred Le Poitevin. Corr., p. 222. Lettre du 1er mai 1845, au même. Corr. p. 225 et p. 956, note 6 et surtout lettre du dimanche 15 juin 1845 (Croisset) ou même. Corr., pp. 236-237.

(44) Lettre du 15 avril 1845. 10 heures, à Alfred Le Poitevin. Corr., p. 223. Voir aussi Jean Bruneau, Les Débuts Littéraires de G. Flaubert. A. Colin, 1962, p. 575, qui avoue préférer au voyage en famille de 1845, le Voyage de 1840.

(45) Francis Claudon,  À propos des Voyages de Flaubert — Le Voyage en Italie et en Suisse (1845), p. 92 in : Flaubert et Maupassant écrivains normands. Actes du Colloque International de Rouen des 8 et 9 et 10 mai 1980. Publications de l’Université de Rouen. Institut de littérature Française. Centre d’Art Esthétique et Littérature. Paris, Presses Universitaires de France, 1981.

Voir aussi J. Bruneau dans : Mélanges J.-M. Carré : Les deux voyages de Flaubert en Italie, Didier, 1964, pp. 164-180.

Voir encore André Merquiol, La Côte d’Azur dans la littérature Française. Essai sur la formation d’un Paysage Littéraire. Thèse pour le doctorat ès-Lettres de l’Université d’Aix-Marseille. 1947, pp. 122-128.

(46) Corr., p. 225.

(47) Voyage, p. 116.

(48) L’arrêt qui suit celui de Cuges est bien mystérieux. Flaubert écrit : « arrivée à M… à 3 heures. » Or on ne voit pas entre Cuges et Ollioules de village dont le nom commence par un « M ». Flaubert a-t-il mal entendu ? Le nom est-il mal orthographié sur le manuscrit de l’Itinéraire (cf. note 9) ? Défaillance de la mémoire de Flaubert ? Le seul village dont le nom débute par un « M » est Méounes-les-Montrieux, mais il se situe en dehors de l’itinéraire normalement suivi par les diligences…

(49) Annuaire de la ville de Toulon suivi du Cicerone Toulonnais ou guide du Voyageur, op. cit., p. 108.

(50) Lettre du 1er mai 1845 à Alfred Le Poitevin. Corr., p. 227.

(51) Cette brève passion a fait couler des flots d’encre. Voir sur ce point notamment Jean Bruneau, Les Débuts Littéraires, op. cit., en particulier les pages 313-319, ainsi que Gilles Henry, l’Histoire du Monde c’est une farce ou la vie de Gustave Flaubert, éditions Charles Corlet, 1980, pp. 46-50.

Voir enfin la très longue note de Jean Bruneau. Corr., pp. 905-907.

(52) Lettre à Louis Bouilhet : Damas, 4 septembre 1850, Corr., p. 681.

(53) Corr., p. 224 et p. 227.

(54) Voyage, pp. 116-117.

(55) Voyage, pp. 117-118.

(56) Lointain écho ( ?) de cette exaspération, la dispute, qui oppose Bouvard et Pécuchet aux notables de Chavignolles à propos de Touache le galérien, montre la permanence de la pensée de Flaubert sur ce point (cf. Gustave Flaubert, Bouvard et Pécuchet avec un choix des scénarios, du Sottisier, l’Album de la Marquise et le Dictionnaire des Idées Reçues. Edition présentée et établie par Claudine Gothot-Mersch, Professeur aux Facultés Universitaires Saint-Louis de Bruxelles, Gallimard, coll.  « Folio » no 1137. 1979, pp. 316-318).

Il ne semble pas que Flaubert ait pris connaissance de l’ouvrage de Hubert Lauvergne, Les forçats considérés sous le rapport physiologique, moral et intellectuel, observés au bagne de Toulon. Paris, J.B. Baillière, 1841.

La correspondance n’en fait pas mention. Il est toutefois probable que Jules Cloquet ait montré l’ouvrage à Flaubert à Paris, lorsque celui-ci suivra son Droit…

(57) Gustave Flaubert. Bouvard et Pécuchet…, op. cit., p. 518.

(58) Voyage, p. 118.

Il est à noter que Flaubert retrouve les mêmes termes pour qualifier la Méditerranée à cinq ans d’intervalle. En 1840 II écrivait : »l’éternelle jeunesse de la mer sourit en face àchaque rayon de soleil, dans chaque vague azurée » (cf., p. 102) ; en 1845 ;

« l’immobilité de la Méditerranée semble la rendre éternelle et toujours jeune. »

(59) Sur la filiation d’Hubert Lauvergne,  et ce fils qui pose un petit problème sur la demeure à Toulon de celui-ci.

(60) Sur la pièce, le théâtre et le général.

(61) Voyage, pp. 118-119.

(62) Gilles Henry, op. cit., p. 68.

(63) Sur Quidquid Volueris voir Jean Bruneau, Les Débuts Littéraires, op. cit., pp. 129-131.

(64) Gustave Flaubert. Œuvres de Jeunesse, édition Conard, Tome 1, pp. 232-233.

(65) Jean-Paul Sartre, L’idiot de la famille. Gustave Flaubert de 1821 à 1857. Paris, Gallimard, 1972, Bibliothèque de Philosophie, vol. 2, p. 1527 et note 1.

La note 1 est extrêmement discutable, car Gustave Flaubert a rencontré les Schlésinger en août 1836 — et non en 1837 comme l’affirme trop légèrement Sartre pour les besoins de son argumentation (cf. Jean Bruneau, op. cit., p. 366 ; Corr., pp. 894-894, note 3 ; P.G. Castex, Flaubert. L’Éducation sentimentale. Paris, 1980, CDU — SEDES, p. 15).

(66) Lettre à Alfred Le Poitevin, Marseille, mardi soir 15 (avril 1845), 10 heures. Corr., pp. 222-223.

(67) Lettre de Caroline Hamard à son frère Gustave (Paris. 22 mars 1845). Corr., p. 218.

(68) Tout ce passage doit beaucoup au travail de Jeanne Bem. Flaubert lecteur de Kafka, ou l’écriture de l’existence, in : Revue d’Histoire Littéraire de la France, juillet, octobre 1981, 81e année. n° 4-5, pp. 677-687.

(69) Corr. A sa mère. 15 décembre 1850. Constantinople, p. 720.

(70) Corr. Ibidem, p. 721.

(71) Jean Seznec en reste, pour sa part au panthéisme, alors que ce rêve nous semble autrement plus révélateur de l’inconscient flaubertien.

Voir Jean Seznec. Nouvelles études sur la Tentation de Saint Antoine, Studies of the Warburg Institute (vol. 8), Londres, 1949 ; p. 82.