Gustave Flaubert dans la région de l’Aube

Les Amis de Flaubert – 1ère Année 1951 – Bulletin n° 1 – Page 17

 

Gustave Flaubert dans la région de l’Aube

et du Nogentais

Parler de Flaubert ? À mon grand regret, il me faut m’incliner devant des nécessités matérielles, et me résigner à ne poursuivre qu’un but précis : placer le père du roman moderne dans un cadre qui ne manquera pas de vous être familier à tous, l’Aube, le Nogentais, notre région, ce qui nous touche et que nous touchons chaque jour … regardez nos villages, regardez nos clochers, celui de Maizières-la-grande-Paroisse, par exemple. Entendez-vous, aujourd’hui, 15 novembre 1784, la joie qui emplit l’air, les rues de ce pays tout proche ? Un baptême, celui d’Achille-Cléophas Flaubert, né la veille, de Nicolas Flaubert, artiste vétérinaire, et de Marie-Appoline Millon, fille d’un chirurgien. Le curé de Maizières-la-Grande-Paroisse, Louis Rivals, va consigner l’événement, au bas d’un registre qui existe toujours, et que chacun d’entre vous pourra utilement consulter… Au XVIIe siècle, déjà, un Michel Flaubert est maréchal expert à Bagneux. Son fils, Constant, lui succède. Je suis allé, il y a quelques mois, à Bagneux… Comme à Maizières, on m’a ouvert sur un pupitre de l’école du village, un très vieux registre d’état civil qui a bravé les guerres et les pillages. Le nom de Flaubert s’y lit à presque toutes les pages. J’ai renoncé à copier les centaines de prénoms groupés sous les chapitres « naissances », « mariages » ou « décès ». Il est incontestable que nous sommes à Bagneux, au berceau même de la famille Flaubert, qui ne compte plus un seul descendant au pays. Victoire Flaubert, la dernière du nom, mourut le 9 octobre 1926…. Achille-Cléophas avait pour sœur Eulalie, celle qui en 1810, épousera l’orfèvre Parain, de Nogent-sur-Seine… Quand nous parcourons la Correspondance de Gustave Flaubert, il nous apparaît nettement, ce petit homme vif, à l’œil malicieux. Il avait droit à toute la reconnaissance de son neveu : « Je pars au mois d’octobre prochain, avec Du Camp, pour l’Egypte. Il nous faut un gars solide, au moral comme au physique. J’ai songé au jeune Leclerc… » (Correspondance). Ce Leclerc en question est originaire de Courtavant sur la route de Villenauxe à Pont-sur-Seine… Le gendre de Parain s’appelle Louis Bonenfant. Sa maison existe toujours, et l’une des pierres tombales du cimetière de Nogent- sur-Seine porte cette inscription : « Ici reposent Louis Bonenfant, 1802-1887. — Olympe Parain, 1810-1893. — Ernest Roux, 1841-1922. —Émilie Bonenfant, 1843-1928. » J’ambitionnerais de vous démontrer, avec des lettres, des citations, combien « L’Éducation Sentimentale » résume la majeure partie des liens qui existèrent entre Flaubert et l’Aube. Vous constaterez, également, avec quelle exactitude Flaubert savait peindre un paysage… Mais voici que, des années après la mort du Père Parain, alors que Gustave a définitivement opté pour Croisset, une femme, une grande amie spirituelle, le rapproche de Nogent-sur-Seine, qui avait enchanté sa jeunesse. Coïncidence mystérieuse… Dès 1852, par l’intermédiaire de Bouilhet, Gustave entretient une camaraderie sans éclipses avec Mme Roger des Genettes… Ouvrez la Correspondance ; sa dernière lettre est pour cette femme d’élite ; et ces lignes émouvantes, parties de Croisset le 18 avril 1880, arrivaient quelques jours après à Villenauxe-la-Grande, en cette demeure bourgeoise que certains de cette salle ont certainement visitée, puisqu’elle est devenue le presbytère. Des témoins, hélas clairsemés, d’un passé encore tout proche, vous raconteront avoir personnellement apprécié l’intelligence, le cœur de celle qu’ils nomment toujours « Mme Roger ». Elle mourut à Villenauxe, le 12 janvier 1891… Plus d’une fois, Gustave Flaubert rendit visite à Mme Roger des Genettes. Il fut l’hôte de cette demeure solide, qui allonge ses murs épais devant un jardin redevenu banal — où M. des Genettes s’adonnait à son culte des arbres fruitiers… À Bagneux, à Nogent, à Maizières, à Villenauxe, le temps a presque tout emporté des bases matérielles du génie… La pensée de Flaubert s’est dégagée, libérée ; elle a conquis son universalité ; elle a grandi à mesure que s’effaçaient les humbles décors de sa vie humaine. Et le monde n’oubliera jamais l’impérissable « Éducation sentimentale » du Nogentais Frédéric Moreau.

J. Mazeraud.