Les Amis de Flaubert – Année 1955 – Bulletin n° 6 – Page 51
Compte rendus critiques et bibliographie
Louise Colet, par le Dr Benassis, p. 51-52 ‒ Flaubert. Une biographie par Philipp Spencer, p. 52 ‒ Guy de Maupassant et l’Art du roman, p. 52 ‒ La mort de Mme Delamare (Bovary), p. 52-53 ‒ Nouvelle Lumière sur la jeunesse de Flaubert, par Philipp Spencer, p. 53-54 ‒ En marge de Salammbô. Une thèse sur Flaubert, p. 54
Bibliographie
Louise Colet, par le Dr Benassis (André Finot)
Sous sa signature d’homme de lettres (Dr Benassis), le Docteur André Finot, qui nous fait l’honneur d’être l’un des membres les plus actifs de notre Société, a édité récemment un ensemble d’articles parus dans une Revue médicale sur Louise Colet.
Il s’agit là, disons-le tout de suite sans vaine flatterie, d’un ouvrage de 80 pages de tout premier ordre, abondant, varié, clair et précis, étayé des meilleurs renseignements et remarquablement écrit.
On connaît suffisamment les éléments orageux des nombreuses passions de la muse blonde et autoritaire, mais M. André Finot a su montrer, en cette courte et excellente brochure, la vraie physionomie de Louise Colet.
Peut-être dans quelques années sera-t-on moins dur et moins ironique envers une poétesse dont le talent n’est certainement pas de cette platitude dont il est de bon ton de le parer actuellement. Des poétesses modernes devant lesquelles on s’incline, n’ont peut-être point le don d’image qu’avait Louise Colet, et qui est la vraie caractéristique du poète.
Mais le mérite de M. André Finot est — dût la figure de Flaubert en pâlir un peu — d’avoir tenté de réhabiliter celle qui fut femme avant tout, c’est-à-dire sentimentale, impulsive, ambitieuse peut-être, mais dont l’amour envers Flaubert (car sûrement elle l’a aimé — indique justement M. Finot) doit aujourd’hui mériter envers elle et sa mémoire, un peu d’attachement et beaucoup de respect.
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Flaubert. Une Biographie par Philipp Spencer
Voici un maître livre écrit par l’un des plus distingués professeurs de l’Université d’Angleterre, M. Philipp Spencer, que nous avons eu la bonne fortune de recevoir à Rouen il y a quelques années, a écrit là non seulement une des meilleures biographies que nous ayons du grand romancier, mais encore une des plus pénétrantes études qui existent sur Flaubert et sur son œuvre.
Dès les premières lignes « Flaubert’s life is the history of a predicament… » traduisons : la Vie de Flaubert est l’histoire d’une destinée… on se sent pris par le sujet que M. Spencer a traité en une large synthèse et avec la plus grande objectivité. Le biographe a parfaitement exposé l’influence des lieux où l’écrivain façonna son œuvre, la destinée sévère, étroite parfois, rude toujours qui s’imposa au romancier.
La vie de Flaubert, sinon jour par jour, du moins année par année, est expliquée, et expliquée aussi la grandeur de cette destinée, d’abord « d’un homme puis d’un artiste », dont l’auteur détaille les rayons et les ombres.
La création d’une œuvre est bien le reflet et la conséquence de la vie de l’homme. M. Spencer qui connaît admirablement l’œuvre de Flaubert et la région où il a vécu, a tiré de ses fructueuse études un ouvrage remarquable qu’on doit placer sans hésiter à côté de ceux qui sont désormais classiques.
Guy de Maupassant et l’Art du Roman
Bien que ne relevant pas directement du cycle flaubertien, les ouvrages sur Guy de Maupassant doivent être signalés dans notre Bulletin. M. André Vial vient de publier l’importante thèse qu’il soutint en Sorbonne sur Guy de Maupassant et l’art du Roman (Éd. Nizet, Paris). Il s’agit là, comme l’écrit justement M. Aimé Dupuy, « d’un examen des plus attentifs, d’un vrai travail à la loupe » qui fait honneur au patient érudit qui l’a élaboré. On sait l’influence profonde de Flaubert et de son œuvre sur le disciple. M. André Vial a parfaitement montré cette influence, puis a décrit avec justesse comment l’émancipation littéraire de Maupassant, ce grand faiseur de nouvelles, eut finalement lieu.
La Mort de Madame Delamare (Bovary)
Sous ce titre (et en sous-titre : Critique de sources) Mlle Gabrielle Leleu publie dans les Annales de Normandie de mai 1954, un bref article où elle démontre aisément que Mme Delamare, prototype d’Emma Bovary, ne s’est jamais empoisonnée.
Encore une légende qui tombe !
Il n’était pas besoin au surplus, pour justifier que le 6 mars 1848, Delphine-Véronique Delamare était décédée de mort naturelle, de rappeler que l’officier de santé Delamare avait, dès le 12 août 1847, été appelé à constater les effets d’empoisonnement par l’arsenic, et que si l’arsenic eût été pour quelque chose dans la mort de Delphine Delamare, son époux eût réagi autrement que par sa carence et par ses pleurs.
Tout empoisonnement est un suicide, et le suicide de Mme Delamare eût fait éclore plus d’un commentaire (tous les contemporains, interrogés, même la servante Augustine Ménage, ont déclaré n’avoir jamais entendu parler de pareille chose). De plus, la mort par empoisonnement entraîne une enquête judiciaire (rien n’eut lieu). Enfin, l’église n’eût point apporté à Delphine Delamare, au cas éventuel d’un suicide qu’elle réprouve, les secours religieux (Delphine reçut les derniers sacrements et fut enterrée aux pieds de l’église de Ry).
Si cette « critique de sources » détruit définitivement une légende et suscite les biographes à ne plus affirmer que Mme Delamare s’est empoisonnée, il faudra s’en réjouir.
Et souhaiter aussi que d’autres légendes concernant les origines du célèbre roman disparaissent à leur tour.
Mlle Leleu suggère de laisser le temps opérer lui même.
D’accord, mais à condition de pousser quelquefois à la roue.
Nouvelle Lumière sur la jeunesse de Flaubert, par Philipp Spencer
M. Philipp Spencer, le savant professeur de littérature française et étrangère et l’un de nos plus fidèles adhérents, actuellement à La Jamaïque, vient de publier, après son bel ouvrage sur Flaubert, et dans la collection French Studies, une brochure sur la Jeunesse de Flaubert.
C’est surtout la famille Collier, d’origine anglaise, à laquelle M. Spencer a consacré son étude. Le savant biographe indique que le capitaine anglais Collier vint en France, non pas sur les ordres de l’amirauté anglaise (encore une légende qui tombe !) mais pour échapper au désastre dans lequel le plongeait brusquement la faillite de la banque Stephenson, de Londres. Le capitaine Collier fut, à Paris, l’attaché naval de l’Ambassade britannique, en 1823. Il vint avec sa famille à Trouville, dans l’été de 1835 et y connut la famille Flaubert. C’est là que Gustave Flaubert, alors âgé de treize ans et demi, rencontra Gertrude Collier qui en comptait quinze et pour laquelle il eut une affection non déguisée.
Alors que le futur auteur de Madame Bovary confiait aux Mémoires d’un Fou, demeurées manuscrites, ses premières impressions, Gertrude Collier écrivait ses mêmes impressions dans des notes confidentielles, aujourd’hui retrouvées, et qui portent les titres de : Recollections, Mémoires, Réminiscences, Writen by Request, dont on regrette que la publication n’ait pas été encore effectuée. Gustave y est appelé César et sa sœur Caroline est appelée Marguerite.
Gertrude Collier, devenue Mrs Tennant, est une figure très attachante. Elle vécut jusqu’en 1918, presque centenaire, et assez longtemps pour avoir vu cette époque qui va de la Restauration à l’Armistice.
C’était à l’Agneau d’or, tenue à Trouville par la mère David, que les rencontres familiales avaient lieu. Mais à côté de la plage trouvillaise, il était constant que les jeunes gens se rendissent dans les bois de Saint-Gatien où les plaisirs ne manquaient point.
M. Spencer a écrit là une page d’histoire flaubertienne demeurée moitié inconnue. Il faut l’en féliciter.
En marge de Salammbô. Une thèse sur Flaubert
M. Aimé Dupuy, vice-recteur honoraire de l’Académie d’Alger, qui fit à Rouen et à la Société des Amis des Flaubert, en décembre 1952, une brillante conférence sur le voyage de Flaubert en Tunisie, d’avril à juin 1858, vient de publier, d’abord dans la Revue Méditerranée, puis en brochure spéciale éditée par la librairie Nizet, de Paris, une remarquable étude sur le sujet.
On sait, qu’après la parution et le procès de Madame Bovary, Gustave Flaubert, après un court moment d’incertitude et même de découragement, se mit à écrire un roman historique dont l’intrigue se situait à Carthage, après les premières guerres puniques, et relatant la révolte des mercenaires contre la cité africaine. Au bout de quelques semaines, Flaubert (qui était la conscience même) s’aperçut bien vite qu’il n’avait guère d’éléments pour mener à bien son ouvrage et résolut de partir se documenter sur place.
C’est ce bref voyage qu’il a consigné dans l’un de ses Carnets de voyage, sur lequel les érudits flaubertistes se sont penchés pour parler des origines du roman carthaginois.
M. Aimé Dupuy, avec sa parfaite connaissance du nord-africain, a tracé au travers de ces notes de Flaubert, la genèse de l’une des plus belles œuvres du grand écrivain. On le voit, traversant d’abord l’Algérie, « royaume du sabre » rudement militarisée en 1858, pour atteindre Tunis, où l’on vivait sous la protection du Bey. Conduit à Carthage par M. de Saint-Foix, consul, deux physionomies frappèrent vivement le grand observateur. La première fut celle du père Jérémie, un débrouillard, qui vendait des lions pour entretenir le culte ; la seconde, séduisante entre toutes, fut la jolie Nelly Rosenberg, pur type zingaro, prototype de Salammbô. Il y a là un point d’histoire autour duquel les érudits et critiques ne manqueront pas de s’ébattre, comme ils l’ont fait et le font encore autour de Madame Bovary.
La brochure de M. Aimé Dupuy fait honneur à son auteur. Elle intéressera vivement les Normands auxquels tout ce qui touche à Flaubert ne demeure étranger.
G. P.
BIBLIOGRAPHIE
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Maurice RAT. — Est-il vrai que Mme Bovary n’est pas Mme Delamare ? Le Figaro Littéraire, samedi 25 septembre 1954.