Les Amis de Flaubert – Année 1953 – Bulletin n° 4 – Page 48
Nos correspondants à l’étranger
En Italie
Nos correspondantes en Italie, Mme Lorenza Maranini-Balconi (Pavie) et MIle Maria Guerri (Milan) font preuve l’une et l’autre d’une remarquable activité.
Mme Lorenza Maranini, professeur de Littérature française à l’Université de Pavie, a publié une thèse sur La Fatalité et La Nature dans Madame Bovary. La traduction en français de cette thèse paraît en tête du présent Bulletin.
Notre correspondante a publié également un opuscule sur Novembre, l’œuvre de jeunesse de Gustave Flaubert, éditée après sa mort. Nous publierons la traduction de cette étude dans le prochain Bulletin.
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Mlle Maria Guerri, après un fructueux séjour en France, à Rouen et à Chantilly, a eu l’heureuse possibilité de compulser de précieux documents sur la thèse qu’elle prépare : L’Influence de Bouilhet sur Flaubert. Elle a obtenu notamment à Chantilly (propriété de l’Institut de France, collection Lovenjoul), communication des 500 lettres écrites par Bouilhet à Flaubert. La lecture de ces lettres a été particulièrement profitable à Mlle Maria Guerri.
Cette érudite infatigable, dans La Revue de Littérature Moderne (Université Bocconi de Milan) et en collaboration avec M. le professeur Bruno Revel — dont nous reproduisons ci-dessus la belle étude sur L’Influence de Bouilhet sur Flaubert — présente quelques-unes de ces lettres que nous publierons dans notre prochain Bulletin.
MIIe Guerri accompagne cette publication de la note suivante, dont elle nous a envoyé le texte traduit et que nous insérons volontiers :
« Les lettres de Bouilhet adressées à Flaubert, qui font partie actuellement de la Collection Lovenjoul de Chantilly (Oise) et parmi lesquelles ont été choisies celles qui précèdent, sont à peu près 500.
» Tandis que la correspondance de Flaubert s’enrichit continuellement, et plusieurs volumes de lettres médites vont paraître prochainement, grâce aux travaux de R. Dumesnil et de J. Pommier, la correspondance de Bouilhet restait jusqu’à présent plutôt dans l’ombre. Les spécialistes de ce « chapitre » d’histoire littéraire s’étaient montrés à un premier moment bien incertains sur son sort. Les uns en affirmaient sa destruction, les autres en soutenaient son existence.
» En réalité, les lettres de Bouilhet à Flaubert étaient restées en possession de Mme Franklin-Grout à Antibes. Seulement, en 1919, M. le chanoine Letellier put les voir et, en 1927, M. Albalat. Après quoi, à la mort de Mme Franklin-Grout, on en perdit la piste.
» C’est avec l’aide charmante de quelques flaubertiens passionnés, auxquels je tiens à exprimer ici mes remerciements les plus vifs, à savoir : M. Jacques Toutain-Revel, président de l’Association des Amis de Flaubert ; M. le chanoine Letellier, membre de l’Académie de Rouen et de Mlle Gabrielle Leleu, bibliothécaire dans la même ville et auteur d’Une Source inconnue de Madame Bovary : le Document Pradier, que j’ai pu parvenir à en retrouver les traces, d’Antibes à Chantilly.
» Après la mort de Mme Franklin-Grout, la correspondance de Bouilhet ne fut pas envoyée, avec d’autres documents flaubertiens, à la Bibliothèque de Rouen, mais fit partie du don Franklin-Grout à l’Institut de France : d’ici, elle fut incorporée à la Collection Lovenjoul de Chantilly, précieuse collection de manuscrits, de lettres, de livres concernant Balzac, George Sand, de Musset, Sainte-Beuve et Gautier. À ce point, la bienveillance de Marcel Bouteron, de l’Institut, conservateur excellent et scrupuleux de la Collection, me donna la permission non seulement de pénétrer dans le « sacraire » du vicomte belge, mais aussi de consulter les lettres Bouilhet-Flaubert.
» Dans le choix qui précède, j’ai tâché d’ordonner chronologiquement les différentes lettres. Rarissimes, hélas ! sont les lettres datées de la main de l’auteur : certaines d’entre elles portent une date au crayon,d’ailleurs approximative, à moins qu’il ne s’agisse de la date du timbre poste.
» Les lettres de Bouilhet que j’ai examinées appartiennent presque entièrement à la période de Mantes (1857 à 1867). Dans les mêmes années, aux lettres de Bouilhet ne correspondent que sept lettres de Flaubert, presque égarées dans les neufs volumes de l’Édition Conard. Il est presque impossible de mettre en relation les lettres du premier avec les réponses du second. Les lettres de Bouilhet ne sont d’ailleurs pas toutes déchiffrables : l’encre presque effacée et le manque presque total de ponctuation rendent souvent la tâche difficile.
» Une partie de cette correspondance concerne des questions familiales, une autre montre une écriture pressée, écrite sous l’emportement du moment, ou bien pour communiquer précipitamment à l’ami quelques désirs urgents. Une grande partie contient pourtant des scénarios détaillés de pièces théâtrales que Bouilhet, devenu, pour vivre, auteur de théâtre, soumettait à Flaubert pour en avoir des conseils, des idées, des données, des encouragements.
» Après un examen de la correspondance de Bouilhet, on ne peut que conclure en constatant comment Bouilhet faisait continuellement appel aux conseils de Flaubert. On peut affirmer que cela est le refrain continuel de toute cette correspondance. Et non seulement des lettres que nous publions ici. Les appels réitérés se répètent continuellement : « L’époque juste me manque, il y a trop à choisir. As-tu quelque idée ou quelque préférence, toi ? Dis-moi cela dans ta prochaine lettre (1er sept. 1861) ». Ou encore : « Tâche de me trouver un fait quelconque. Creuse ta tête profonde et envoie-moi une idée, un thème, réponds-moi vite… ». Et on pourrait multiplier les exemples.
Maria Guerri.
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Gustave Flaubert en Suisse
À la Société d’Histoire de Genève
Manuscrits inédits de Gustave Flaubert
Les membres de la Société d’Histoire ont eu le privilège d’entendre, hier soir, Mr Théodore Besterman parler de Voltaire jugé par Flaubert. C’était la première fois que le Directeur de l’Institut Voltaire prenait la parole publiquement dans notre ville. Il est donc réjouissant que cette causerie ait eu lieu sous les auspices de la Société d’Histoire, dans l’ambiance hospitalière de l’Athénée.
Le conférencier, qui est de langue anglaise, s’excusa d’abord avec bonne grâce de son accent et du fait qu’il lirait sa communication. Puis il entra dans le vif du sujet en présentant un manuscrit de Flaubert qu’il vient d’acquérir pour l’Institut des Délices. Il s’agit de notes et d’extraits faits par l’auteur de « Madame Bovary » en lisant l’ « Essai sur les mœurs » de Voltaire. C’est un grand cahier où sont disposées avec beaucoup de soin les citations de Voltaire avec leurs références exactes, et les notes de Flaubert en regard. L’écriture est petite et minutieuse.
Les passages commentés sont choisis avec un éclectisme un peu déroutant. Ils vont du cérémonial pontifical à la politique suisse, en passant par Tamerlan. Les appréciations de Flaubert sont tout aussi variées : tantôt il approuve aveuglément ; tantôt il ironise ou morigène…
Il ressort pourtant de ces textes que Flaubert a été constamment préoccupé par Voltaire. Le talent laborieux de l’un ne pouvait qu’être ébloui par la géniale facilité de l’autre. Flaubert va jusqu’à dire du patriarche de Ferney : « C’est pour moi un Saint », et plus loin, il déclare qu’il « aime Voltaire » autant qu’il « déteste Rousseau ». On comprend dès lors l’intérêt que présente pour l’Institut Voltaire la possession d’un tel manuscrit.
(La Tribune de Genève. — Vendredi 14 novembre 52).
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République de Cuba
Notre Société a reçu une correspondance particulièrement chaleureuse de M. le Docteur Antonio Barreras, domicilié à LA HAVANE, République de Cuba, qui accepte volontiers d’être notre correspondant en Amérique latine.
M. le Dr Barreras s’exprime en ces termes :
La Havane, 5 Avril 1953.
Mon cher Président Toutain,
Mille remerciements pour votre généreuse lettre du 26 mars dernier que j’ai lue avec une grande émotion et que je garde parmi mes papiers les plus chers.
Dans le désir de faire partie des Amis de Flaubert, je vous envoie un chèque adressé à vous, qui représente à peu près 300 francs français.
J’espère que vous m’enverrez les règlements, les bulletins et ma carte d’associé-correspondant à Cuba, distinction, celle-ci, que j’accepte enchanté et que je vous promets d’exercer de mon mieux pour la mémoire du grand auteur de Madame Bovary.
Dans ma situation comme votre représentant à Cuba, je vous enverrai un merveilleux travail, en espagnol, dû à la plume de notre plus grand homme, José Marti (1853-1953), dont nous célébrons maintenant le centenaire. Ce travail date de 1880 et il a comme sujet : Flaubert et surtout Bouvard et Pécuchet. José Marti est l’écrivain le meilleur de Cuba — et j’ose affirmer qu’il est aussi le meilleur de l’Amérique — en plus d’être notre libérateur, notre cher apôtre, qui nous a donné l’indépendance de Cuba. Son amour pour la France, son amour pour Victor Hugo, son adhésion à l’esprit français qu’il trouva dans deux voyages en France proclament son esprit universel. Dans ce livre, il parle de sa connaissance et de son admiration pour Flaubert. Nous venons de célébrer à La Havane un Congrès d’Écrivains Martiniens pour célébrer le centenaire de José Marti. À ce Congrès a assisté l’écrivain français Francis de Miomandre. Je me permets de vous suggérer la convenance que ce livre, dont je vous enverrai un de ces jours-ci, soit traduit par Miomandre. De cette manière, on fait un hommage à Flaubert et, indirectement, l’immortelle France, ayant les Amis de Flaubert comme intermédiaires, rendra hommage elle aussi au génial écrivain José Marti à l’occasion de son centenaire.
Je vous enverrai peu à peu tout ce qu’on a publié sur Flaubert : des livres anciens ou récents publiés à Cuba et écrits par des Cubains, et même des citations ou des allusions à propos de Flaubert.
Mes respects aux amis et camarades des Amis de Flaubert. Et pour vous, mon cher Président Toutain, mes considérations les plus distinguées.
Signé : Dr Antonio Barreras.