Les Amis de Flaubert – Année 1955 – Bulletin n° 7 – Page 60
Compte-rendus critiques et bibliographie
Flaubert et les Réalistes dans Visages français d’Edmond Jaloux, p. 60 ‒ Refuges de la lecture ‒ Gustave Flaubert par Georges Duhamel, p. 60-61 ‒ « La pensée circulaire de Flaubert », par Georges Poulet, p. 61‒ Une lettre inédite de Flaubert à Bouilhet, p. 62 ‒ Les Cahiers naturalistes, n° 1, p. 62
Flaubert et les Réalistes
dans Visages Français, d’Edmond Jaloux
Edmond Jaloux, qui fut membre de l’Académie Française et restera comme l’un de nos meilleurs littérateurs, a écrit dans son ouvrage Visages Français, paru au début de 1954 et dont la préface est en elle-même un chef-d’œuvre d’analyse et d’observation, un remarquable chapitre sur l’œuvre de Flaubert, son accession à l’école réaliste et particulièrement sur l’Éducation Sentimentale.
Ed. Jaloux fait d’abord une revue rétrospective de la littérature en cette période de 1830, où le romantisme hugolien était à l’apogée et après l’éclosion duquel (lassé sans doute de ces ambitions démesurées, de ces brutales prises d’assaut de l’Olympe et des Tuileries qui ont abouti aux révolutions de 1830 et de 1848, écrit justement le critique), le réalisme devait presque nécessairement naître. Les premiers réalistes, Balzac, Champfleury, Duranty, Courbet, ouvraient — l’avènement scientifique de 1850 aidant — la voie à Flaubert. Avec ce grand écrivain devait venir également la pléiade de romanciers naturalistes : de Goncourt, Daudet, Feydeau, les sept de Médan, Maupassant, Huysmans, Zola.
Edmond Jaloux donne ensuite ses impressions sur l’Éducation Sentimentale. Elles sont précises, imagées et vivantes. Il retrace à son tour la genèse du célèbre roman : Mme Schlésinger à Trouville, l’amour de Frédéric Moreau pour Mme Arnoux et la dernière rencontre d’entre eux que le critique place à juste titre comme « une des cimes du roman français ». En conclusion, Ed. Jaloux écrit à son tour de très belles pages sur ce roman, remarquant à juste titre encore, qu’il est un tableau fidèle des mœurs et de la vie sociale en France de 1840 à 1870 et qu’il contient des descriptions paysagistes d’un incomparable éclat. (La description des Champs-Élysées en 1840 est citée en exemple).
Ces Visages Français sont un hommage à Gustave Flaubert, qu’on lit avec autant d’intérêt que de recueillement.
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Refuges de la lecture – Gustave Flaubert
Par Georges Duhamel
Il n’est jamais trop tard pour parler de bons livres. Aussi est-ce un agréable devoir pour nous que de dire tout le bien que nous pensons du livre de Georges Duhamel, intitulé Refuges de la Lecture, publié en 1944, et du chapitre consacré à Gustave Flaubert.
Georges Duhamel ne cache point son admiration pour Flaubert qui, selon lui, a été « son premier maître ». Comme nous le comprenons et l’approuvons ! Il vante en premier lieu la Correspondance de Flaubert où « là, tout est naturel et jailli », malgré les fautes de syntaxe et parfois d’orthographe. Flaubert écrit G. Duhamel, « était un écrivain spontané, libre, généreux ». Il était aussi d’une probité scrupuleuse, ne manquant jamais une description, chaque fois qu’il annonçait l’événement devant s’y dérouler.
Le grand écrivain moderne s’applique ensuite à considérer l’œuvre de Flaubert sous tous ses aspects : histoire, roman, théâtre. On sent qu’il est en admiration devant la phrase de Flaubert — la fameuse phrase ternaire (« elle saluait, rougissait, ne savait que répondre… ») et devant la richesse parfois musicale de cette phrase. Tel mot, tel adjectif, tel adverbe ne correspond pas parfois exactement à la réalité des faits. (Ex. dans Hérodias : « Comme elle était très lourde, ils la portaient alternativement », l’écrivain eût dû écrire, à tour de rôle, mais cela eût été moins orchestral). Mais que de richesse en l’image !
« Peu d’écrivains français ont soulevé, de par le monde, une telle passion critique, une plus dévorante curiosité », conclut Georges Duhamel. Pour les nombreux amis de Flaubert, quelle route merveilleuse que celle qui s’ouvre à eux, sur les pas du grand romancier.
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La Pensée circulaire de Flaubert
Par Georges Poulet
M. Georges Poulet vient de publier dans la Nouvelle Revue Française (juillet 1955), une très curieuse étude sur la Pensés circulaire de Flaubert. Il y a là des réflexions de premier ordre sur la méthode flaubertienne dans sa pensée et dans son style, méthode qui, comme l’écrit justement M. Poulet, « consiste donc à présenter comme objet de contemplation un être qui, à son tour, a pour objet de contemplation la réalité émouvante ». Cette remarque liminaire est d’autant plus pertinente et précise que Flaubert ne cessait de proclamer que « La Bovary, c’est moi ! » C’est bien, en effet, lui qui se plaçait au centre de son roman, lui qui décrivait les fadeurs de sa propre existence, lui qui, dans le sillage d’Emma, parcourait la campagne cauchoise, les bois, les forêts et les étangs du Pays de Bray. « Le milieu flaubertien, écrit encore le critique, traversé en deux sens différents par un mouvement successivement contractif et expansif, apparaît comme un espace ambiant qui s’étend de la circonférence au centre et du centre à la circonférence ».
Cette ambiance circulaire baigne, il y a lieu de le reconnaître, la plupart des romans de Flaubert. Il y a même en eux, parfois, une sensation d’étouffement et de contrainte qui n’est peut-être, après tout que le réflexe de cet étouffement physique (Flaubert avait des crises comitiales, exactement les nerfs noués, qui l’étouffaient), dont l’écrivain souffrit toute sa vie et qui, ne furent peut-être pas étrangères à sa mort. Emma est emmurée à Tostes et à Yonville ; les mercenaires de Salammbô le sont ; au défilé de la Hache, Saint Antoine est enserré par un cercle de luxure et de feu, Bouvard et Pécuchet n’achèvent point la vie étroite. Au centre des romans de Flaubert, il y a, conclut l’auteur de l’article, un centre lumineux où l’ensemble des choses converge. De nombreuses citations prises dans les phrases flaubertiennes corroborent cette étude dont nous nous plaisons à redire tout l’intérêt.
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Une Lettre inédite de Flaubert à Bouilhet
Revue de l’Histoire – Littérature de la France, Janvier-Mars 1955
Avec quelques précautions liminaires, la Revue de l’Histoire Littéraire de la France, — que nous tenons à remercier vivement de la bienveillance qu’elle témoigne à notre Bulletin — a publié une lettre évidemment bouffonne voire un tantinet obscène, adressée par Flaubert, alors qu’il était à Vichy, à Bouilhet, le 10 juillet 1863, et alors aussi que le thermomètre enregistrait 36 degrés de chaleur ! L’ermite de Croisset donne à Monseigneur des conseils sur Faustine, la pièce que Bouilhet fit représenter à Paris, en février 1864. Puis Flaubert parle du Château des Cœurs, cette féerie qui donna tant de soucis au romancier et n’eut jamais les honneurs de la scène. Il est, en compagnie de Jules Lecomte et de Lambert Bey, et déclare avoir lu La Vie de Jésus, de Renan, « ouvrage qui, entre nous, excite peu mon admiration ».
La lettre, pleine de documentation et de truculence, méritait d’être publiée.
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Les Cahiers naturalistes n°1
La Société Littéraire des Amis d’Émile Zola, qui vient de se rénover sous l’impulsion du Dr Jacques Émile-Zola, de J.-Cl. Le Blond-Zola et de Pierre Cogny, vient de publier son premier fascicule des Cahiers Naturalistes. Ce premier numéro est excellent et fort bien présenté. Voici d’abord le discours de Jean Guéhenno, Grand-Prix de la Ville de Paris, lors du pèlerinage annuel de Médan, le 3 octobre 1954, et le discours qui le suivit d’Armand Lanoux. Voici ensuite une remarquable évocation de Denise Zola, la fille du grand romancier, devenue Mme Maurice Le Blond et décédée prématurément en 1942. Georges-Gustave Toudouze, le fils du romancier naturaliste (1847-1904), donne le récit de ses différentes entrevues avec Émile Zola, commentant l’admiration si vive et si naturelle qu’il eut pour le grand écrivain, et avec quelle émotion, alors qu’il était en Grèce, et en 1902, il apprit la mort soudaine de Zola.
Le numéro de cette Revue contient encore une excellente étude de Marcel Girard sur Émile Zola et le Critique Universitaire, une courte analyse par Pierre Cogny sur un Inédit de Zola (Les Esclaves Ivres), de bons comptes rendus bibliographiques et des Éphémérides zolistes qui seront précieux pour les biographes du célèbre romancier.
Les Cahiers veulent bien, en terminant, mentionner l’existence de notre Société des Amis de Flaubert. Nous l’en remercions bien vivement en mentionnant à notre tour l’existence, rénovée, de la Société Littéraire des Amis d’Émile Zola.
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Bibliographie (page 69)
GUSTAVE FLAUBERT : Bouvard and Pécuchet. Transl, by T. W. Earp and G. W. Stonier whith an introd. by Lionel Trilling. Norfolk, Conn., New Directions, 1954.
GUSTAVE FLAUBERT : The dictionary of accepted ideas. Transl, with an introduction and notes by Jacques Barzun, Norfolk, Conn., New Directions, 1954.
Lettre (inédite) de Gustave Flaubert (à Olympe Bonenfant, 14 juin 1857). Quo Vadis, juillet-septembre 1954.
BURNS (C. A.) : The manuscripts of Flaubert’s. Trois contes. F. S. October 1954.
DUMESNIL (René) : Le Romancier et ses modèles. L’énigme de Madame Bovary. Le Monde, 20 juillet 1954.
MASON (Germaine-M. S.) : Les deux clairs de lune de Madame Bovary, F. S. July 1954.
RAT (Maurice) : Avant d’ « être Flaubert », Emma Bovary fut bien, pour une part, Mme Schlesinger et Mme Pradier. Figaro littéraire, 25 septembre 1954.
TRILLING (Lionel) : Sur Bouvard et Pécuchet. Preuves, novembre 1954.
DUPUY (Aimé) : En marge de Salammbô. Le Voyage de Flaubert en Algérie-Tunisie (avril-juin 1858). A. G. Nizet, 1954.
BART (B. F.) : Aesthetic distance in Madame Bovary. P. M. L. A., décember 1954.
BILLY (André) : Flaubert a-t-il oublié d’enterrer le Père Bovary ,F. L., 27 novembre 1954.
CAYE (Marc) : À la recherche de Monsieur Homais — sur les travaux récents. Revue d’Histoire de la Pharmacie. Décembre 1954.
RAT (Maurice) : Comment Flaubert, à la Marsa, découvrit la Fille d’Hamilcar. (D’après A. Dupuy). Figaro Littéraire, 8 janvier 1955.
RICHARD (Jean-Pierre) : La Création de la forme chez Flaubert.
Littérature et Sensation. Ed. du Seuil, 1954.