Les Amis de Flaubert – Année 1956 – Bulletin n° 8 – Page 46
L’Activité du Musée Flaubert, de Rouen
Tout le monde ne peut lire la presse étrangère. Il n’est donc guère possible d’apprécier, par ce moyen, la renommée entourant nos grands hommes, hors de France.
C’est pourquoi la fonction de conservateur du Musée Flaubert est très instructive. En effet, très nombreux sont, particulièrement à l’époque des grandes vacances, les étrangers visitant ce musée, installé à l’Hôtel-Dieu de Rouen, dans la maison natale du célèbre écrivain. Ce n’est pas un mince régal pour un Conservateur de converser avec ces hôtes de passage qui regrettent seulement de n’avoir pas de loisirs suffisants pour s’intéresser à tout ce qui concerne Gustave Flaubert. C’est alors qu’il est possible de constater combien la personnalité de celui-ci est goûtée à l’étranger. Si l’on consulte le registre des signatures, on remarque les appréciations flatteuses qui y sont consignées. Car elles émanent de visiteurs en provenance de tous pays, notamment des deux Amériques, du Canada, d’Allemagne (beaucoup plus nombreux en 1955), de Hollande, de Belgique, d’Italie, de Grèce, de Yougoslavie, de Chine, du Japon. Pour ces deux dernières nations, nous n’avons pu déchiffrer les deux lignes, consacrées certainement à la gloire de Flaubert, écrites en langues chinoise et japonaise…
Une visite qui nous fut particulièrement agréable à recevoir, l’an dernier, fut celle d’une jeune femme, suédoise, chargée par un éditeur de Suède d’exécuter soixante dessins destinés à illustrer un ouvrage critique sur Madame Bovary. Cette dame, qui s’exprime dans un français sans accent, est demeurée trois jours à Rouen et la région. Arrivée un samedi, elle put, en s’inspirant des très nombreuses gravures exposées au Musée, exécuter, uniquement de la main gauche, mais avec quel art et quel fini ! des dessins et portraits qui ne seront pas le moindre attrait de l’ouvrage à paraître en Suède. Le lendemain, elle visita le bourg de Ry, car, pour les Suédois, ce village est bien le lieu de résidence des Bovary. Sur son album, elle dessina des coins de ferme, des jardins, les paysages bucoliques lui paraissant le mieux se rapporter aux descriptions voulues par Flaubert. Le lundi après-midi fut entièrement consacré, au Musée, à une conversation entre elle et le conservateur, bien entendu relative au romancier. Ce fut une très utile propagande. Avant de nous quitter, cette distinguée visiteuse eut une joie supplémentaire : elle retrouva, sur le registre des signatures, celle de son époux, apposée quatre ans auparavant, à l’occasion de leur voyage de noces.
Le Musée reçut aussi, en 1953, un visiteur de marque, venu assister à l’inauguration, par M. Coste-Fleuret, ministre de la Santé Publique, du Centre Charles-Nicolle à l’Hôtel-Dieu. Ce visiteur : le docteur Georges Duhamel, de l’Académie Française, nous exprima son, vif plaisir de visiter la maison natale de Gustave Flaubert.
Nous avions appris, par une chronique parue quelques mois plus tôt dans le quotidien rouennais « Paris-Normandie », sous la signature de notre ami Gabriel Reuillard, que Georges Duhamel possédait un « macaron », de la dimension d’une pièce de cinq francs, représentant une fleur sculptée sur bois et provenant de l’un des trois trumeaux d’époque Louis XVI ornant la chambre natale. Nous pûmes situer l’emplacement d’origine de ce « macaron » et, sur notre invitation, Georges Duhamel nous dit, en prenant congé : « Alors, je prends note que sur mon testament je dois ajouter un codicille stipulant que je restitue à la chambre où naquit Gustave Flaubert ce « macaron » que m’avait offert Charles Nicolle ».
Un écrivain de talent : M. Marc Chesneau, accompagnant les membres de la Société « L’Art et la Vie », de Paris, vint un dimanche faire une causerie sur Flaubert.
Une cinquantaine de membres du « Touring-Club de France » nous firent également l’honneur d’une visite collective.
Un élève du Séminaire des Jésuites, résidant à Pavie (Italie), M. Vincenzo Poggi, vint se documenter au Musée en vue de la préparation d’une thèse qu’il entreprend sur La Légende de Saint-Julien L’Hospitalier.
L’amiral Wietzel voulut bien, sur le registre des signatures, libeller comme suit l’un de ses souvenirs de voyage : « Déjeunant un jour à Sidi Ben Saïd (Tunisie), chez le baron d’Erlanger, dont les jardins magnifiques descendent vers la mer, mon hôte me dit : « Savez-vous où vous êtes en ce moment ? — Non ! — Eh ! bien, vous déjeunez » actuellement dans les jardins d’Hamilcar Barca, où eut lieu le fameux festin des mercenaires décrit par Flaubert dans Salammbô ». Il est émouvant pour moi d’évoquer un tel souvenir dans la chambre natale du grand écrivain ».
Divers Groupements visitèrent le Musée de l’Hôtel-Dieu au cours des dernières années. Notons : « La Feuille Blanche », Société d’Écrivains et Amateurs de Belles-Lettres de Paris ; Les Secouristes de la Croix-Rouge ; « Les Normands en Picardie » ; la Section départementale de la Seine-Maritime de l’Association, « Tourisme et Culture P.T.T. » ; un groupe de professeurs à la Faculté de Médecine de Paris, appartenant tant à la Société d’Histoire de la Médecine qu’à la Société Internationale d’Histoire de la Médecine, conduits par le Médecin-Général Jean des Cilleuls.
Nous avons aussi reçu la visite du Dr E.-W. Fischer, de nationalité allemande, auteur de plusieurs ouvrages critiques sur Flaubert ; d’André Thérive, qui fit suivre sa signature de cette mention : « En mémoire de Gustave Flaubert, qui a fait du roman une œuvre d’art (— et le premier ! ) »
Plusieurs collèges, lycées, écoles de Rouen et la région envoient leurs élèves par groupes d’une quarantaine environ ; le conservateur se muant en professeur, éprouve alors une grande joie à leur vanter les mérites de Gustave Flaubert et à commenter les 1.500 pièces formant les collections exposées.
Ce Musée, rappelons-le, a été créé en 1901 par le Dr Raoul Brunon, sous le nom de « Musée d’Histoire de la Médecine ». Les Musées de cette nature sont rares. Il en existe trois en France. Les documents composant celui de Rouen étaient alors placés dans la salle de Clinique médicale. Depuis 1947, date à laquelle nous prîmes nos fonctions de conservateur, les collections furent transférées dans la maison natale de l’écrivain ; c’est pourquoi nous désignons désormais ce Musée sous le titre de : « Musée Flaubert et d’Histoire de la Médecine », unissant ainsi, comme ils le furent dans la vie, le romancier, son père Achille-Cléophas et son frère Achille, qui habitèrent ce logis au 19e siècle, ces deux derniers en qualité de chirurgiens-chefs de l’Hôtel-Dieu.
Un tableau très remarqué que grâce au bienveillant intermédiaire de M. Fernand Guey, alors directeur du Musée des Beaux-Arts, nous avons pu exposer et qui appartient à l’ État, a été peint en 1883 par Albert Fourié. Il est intitulé : « La Mort de Madame Bovary ». Celle-ci, revêtue de sa robe de mariée, repose sur son lit ; la pâle lueur d’un cierge donne à sa robe des reflets jaunâtres, tandis que le jour naissant imprègne d’une tonalité grise la redingote de l’infortuné Charles Bovary, debout, la tête abîmée dans ses mains. Et la mention, inscrite au bas du tableau rappelle les lignes sublimes de l’immortel ouvrage de Gustave Flaubert : « Et il fut longtemps à se rappeler ainsi les félicités disparues, ses attitudes, ses gestes, le timbre de sa voix,. Après un désespoir, il en survenait un autre, et toujours intarissablement, comme les flots d’une mer qui déborde ». Deux autres témoins : M. Homais et l’abbé Bournisien sont là, sommeillant dans leur fauteuil après une nuit de veille.
Le Musée comporte huit salles, dont une très vaste. Il est ouvert tous les jours, de 14 à 17 heures (semaine et dimanche, sauf le mardi). L’entrée est gratuite. Les visiteurs sont accueillis par Mme Jabret, qui apporte tous ses soins à l’entretien des collections et qui est, pour nos hôtes d’un moment, un guide serviable et empressé.
Terminons ce résumé de l’activité de ce Musée en signalant que 1.200 entrées ont été constatées en 1955 et que des dons de toute nature sont fréquemment reçus : antiquités, tableaux, gravures, objets d’art, curiosités, etc. Le Centre Hospitalier Régional de Rouen, propriétaire du Musée, exprime aux généreux donateurs sa gratitude pour l’intérêt qu’ils lui témoignent.
René-Marie Martin, Conservateur du Musée.