Les Amis de Flaubert – Année 1961 – Bulletin n° 19 – Page 80
Flaubert et le vin de Sauterne
Le Mercredi 15 Mars 1961, les Hôteliers, Restaurateurs et Hauts Dignitaires du Vin mettent leur IXe Congrès, tenu à Bordeaux, sous le haut patronage de Gustave Flaubert
Il est des choses que l’on ne découvre pas sans étonnement ; ainsi cette présence spirituelle de la Normandie en Guyenne. Faire de Gustave Flaubert le premier grand défenseur du vin de Sauternes et voir « les jurats » de Saint-Émilion présider à des cérémonies dont le rite fut fixé une fois pour toutes le 8 juillet 1199 à Falaise par Jean sans Terre, ressemble au prime abord à une divagation conduite par l’abus des crus de Médoc.
Se livrer, dans ces chais où les vignerons vous accueillent en frappant douze coups de maillet sur les barriques, à d’innombrables « travaux pratiques » dicte parfois d’audacieuses comparaisons. Mais à l’heure où j’écris, ces rêves qu’imposent les millésimes se sont dissipés ; les vignobles rouillés qu’émaillaient, contrairement à la chanson, le rose des pommiers et le blanc des cerisiers en fleurs, ne m’assaillent plus qu’à la façon des dernières mesures de quelque sacre d’un printemps qui se serait trompé d’heure.
Le maître de chais ne m’apparaît plus comme un personnage redoutable, mais comme un sage citant Montesquieu, et Saint-Émilion n’est plus seulement un cru célèbre, mais une extraordinaire cité romane. C’est assez dire que le lecteur doit m’accorder créance.
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Flaubert, premier grand défenseur du Vin de Sauternes
À peine arrivés à Bordeaux, les soixante-dix journalistes gastronomes emmenés par M. Jacques de Lacretelle, de l’Académie Française, se souvinrent qu’ils étaient réunis en un neuvième congrès. Avec une sagesse digne de « l’esprit des lois », ils décidèrent de traiter des problèmes professionnels avant d’entreprendre le périple dans l’entre-deux-mers. Deux restaurateurs normands : M. Étienne Bouvachon, de Deauville, et M. Jean Chauvigny, de Forges-les-Eaux, participèrent avec fougue aux discussions sur l’hôtellerie qu’ils estiment en grand péril si l’État ne se résout pas à des allégements fiscaux.
Nombre de motions allant dans ce sens furent votées à l’unanimité et puis on passa à la défense du vin, et c’est alors qu’un chantre bordelais proposa de placer ce congrès sous le signe de Flaubert.
Avec une éloquence héritée, bien sûr, des « Girondins », il commenta le carnet de voyages et en particulier le passage où l’auteur de Madame Bovary pris, avec quelques amis, dans une tempête de neige quelque part à la limite de la Grèce et de la Macédoine, joue à inventer le menu qu’il aimerait trouver le soir à l’auberge.
— Messieurs, lança l’orateur d’une voix de stentor, le grand Flaubert proposa le menu suivant : des huîtres et du Sauternes, une pièce de bœuf, un feu d’enfer et un cigare.
Les dés en étaient jetés. En 1961, l’ermite de Croisset fut enrôlé dans la brigade des défenseurs des vins de Bordeaux et, pour nos hôtes, ces quelques lignes des carnets ont pris une importance considérable. Flaubert était devenu l’auteur du premier essai sur le Sauternes, un ouvrage capital dont le mérite n’est pas loin d’éclipser, entre la Gironde et la Dordogne, Salammbô et l’Éducation Sentimentale.
Pierre Joly.
Paris-Normandie, Jeudi 16 mars 1961.