Les Amis de Flaubert – Année 1962 – Bulletin n° 21, page 12
La vérité historique
La part historique dans le roman de Flaubert n’est pas négligeable, mais les lecteurs connaissant vraiment dans les détails, l’histoire romaine, sont assez rares et les souvenirs scolaires assez éloignés. Nous pensons qu’en publiant la partie de l’histoire universelle (Encyclopédie de la Pléiade, Gallimard, Paris, tome I), consacrée par M. Jean-Rémy Palanque à l’Occident et la République romaine sur la première guerre punique (page 896), nous mettrons Salammbô dans son ambiance véritable. Cet ouvrage d’ailleurs est récent (1957) et sa renommée n’a point besoin d’être rappelée.
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« … La guerre avait été ruineuse pour les deux États : Rome s’était lourdement endettée pour équiper ses flottes, elle avait perdu sept cent navires, Carthage cinq cents. Rome avait subi aussi un réel ébranlement social, du fait d’une guerre si longue : une réforme des comices est effectuée dès — 241, pour tenir compte sans doute de la dépréciation monétaire et des aspirations de la classe moyenne. Pour chacune des classes de citoyens (sauf la dernière), le cens est relevé, doublé pour la quatrième et la troisième, quadruplé pour la deuxième, décuplé pour la première, chacune eut un nombre de centuries de iunores et de seniores égal à celui des tribus (trente-cinq désormais, une fois créées deux nouvelles tribus rustiques), ce qui porta à trois cent soixante-treize le nombre total des centuries : l’axe de la majorité était nettement abaissé au sein de l’assemblée centuriate.
À Carthage, la crise de la démobilisation fut plus grave qu’à Rome en raison du caractère de son armée et de la pénurie financière où la laissait sa défaite. Que faire des vingt mille mercenaires sans emploi, quand on ne pouvait leur verser du jour au lendemain tout l’arriéré qui leur était dû ? Le gouvernement punique avait bien rassemblé de grosses sommes pour s’acquitter de la solde ; un conflit surgit pour l’évaluation du blé et des chevaux dont les combattants avaient fait l’avance et dont ils entendaient être remboursés au plus haut prix ; et bientôt ce fut la révolte aggravée par celle des Lybiens, au nombre de soixante-dix mille, mécontents des exactions des Généraux. Contre ces quatre-vingt-dix mille rebelles, le Général Hannon, puis Hamilcar Barca n’ont que dix mille hommes ; Utique et Bizerte font défection et la famine menaçait Carthage. Les mercenaires en garnison en Sardaigne se révoltent, à leur tour, mais la population indigène les expulse et ils font appel à Rome. Celle-ci en profite pour mettre la main sur la Sardaigne et la Corse, prétendant qu’elles faisaient partie des « îles entre la Sicile et l’Italie » mentionnées au traité (qui visait uniquement les Lipari et autres petits archipels). Carthage doit reconnaître cette cession par un nouveau traité avec l’accroissement de son indemnité de guerre (— 239).
Du moins, cette aggravation de conditions de la paix lui permet-elle de venir à bout de ses adversaires. Rome l’autorise à enrôler en Italie de nouveaux soldats et surtout la ravitaille. Hamilcar obtient aussi l’aide du numide Naravas, réussit à bloquer les révoltés dans le défilé de la Scie c’est « la lutte inexpiable », où jamais, au dire de Polybe, l’on ne vit autant de cruautés et de crimes. Finalement, le chef lybien Mâtho fut écrasé, Bizerte et Utique soumises de force, Carthage ne respira qu’après trois ans de cette lutte atroce, livrée sur son propre sol (— 237)… »
On trouve dans le dernier paragraphe, avec Hamilcar, le numide Naravas, le lybien Mâtho, les données militaires et politiques du roman de Flaubert.