Les Amis de Flaubert – Année 1963 – Bulletin n° 22 – Page 27
Liste des critiques parisiens
de 1862-1863
BERLIOZ (Hector) (1805-69), compositeur de musique. Il a consulté Flaubert pour son opéra les Troyens de Carthage. Il tenait la chronique musicale au Journal des Débats. Il n’a pu s’empêcher de donner en quelques lignes son jugement sur Salammbô (23 décembre 1862).
CADOUDAL (de) (Louis-Georges) (1823- 85 ), fils du Général et neveu du chef royaliste de la Révolution Française, collabora à plusieurs journaux catholiques et royalistes. Sa critique a paru dans l’Union, quotidien légitimiste (3 janvier 1863). Il reconnaît le talent de Flaubert, mais déplore qu’il ne soit pas resté dans la ligne de Fénelon et de Chateaubriand.
CARO (Elme) (1826-87) a donné son article de critique dans La France, quotidien politique, scientifique et littéraire (1862-66), inspiré et dirigé par M. de la Guéronnière (9 décembre 1862). Il fut repris dans son ouvrage Poètes et Romanciers (Hachette, Paris, 1888, p. 260-70). Il trouve dans le réalisme de Flaubert des marques de pédantisme et que son style manque de simplicité et de sobriété.
CLAVEAU (Anatole) (1835-1914 ), critique à la Revue Contemporaine (n° du 15 décembre 1862, p. 643-52). Reconnaît à Flaubert un incontestable talent, mais lui reproche son réalisme.
CLERGIER (Albéric). Son article a paru dans la Critique Française (n° du 15 janvier 1863, p. I-II). Il lui reproche son réalisme, mais lui reconnaît un grand talent littéraire. Cette revue littéraire et philosophique était dirigée par Ernest Desmarest.
CUVILLIER-FLEURY (Alfred) (1802-87). Il avait été ancien secrétaire de Louis Bonaparte, ex-roi de Hollande, puis précepteur du fils du Duc d’Aumale. Il devint membre de l’Académie Française en 1867. Il appartint à la rédaction des Débats politiques et littéraires depuis 1834, soutenant la cause des d’Orléans. Il a publié deux articles sur Salammbô (9 et 13 décembre 1862). Il ne partage pas les idées de l’école réaliste, mais admire le talent de Flaubert.
DELORD (Taxil) (1815-77), ancien rédacteur du Charivari de 1842 à 1858, collaborateur du Vert-Vert, du Messager et du Siècle jusqu’en 1866. Ce dernier journal était en concurrence avec La Presse. Son article a paru dans Le Siècle, le 8 décembre 1862. Delord reconnaît le talent de Flaubert, mais il regrette les exagérations à ses yeux du réalisme.
DOUHAIRE Pierre-Paul a publié une critique sur Salammbô dans le Correspondant (n° de décembre 1862, p. 801-4). Il reconnaît à Flaubert un grand talent de coloriste, mais il déplore son réalisme.
DUPREZ (de Lyon) ( ?) est l’auteur de l’article sur Salammbô, paru dans la Revue bibliographique (n° du 15 janvier 1863, p. 415-6). La meilleure à notre sens de toutes les critiques parues. Elle devance l’opinion par ses aperçus et ses déductions logiques. C’est la raison pour laquelle nous croyons devoir la publier en entier.
DUPUY (D.) ( ?) a publié une brève critique dans la Vie Parisienne (10 janvier 1863). Il lui attribue des qualités de magicien du style, mais déplore son retour au réalisme.
ESCUDIER (Marie) (1809-80), journaliste. Il a publié son article dans le Pays (2 décembre 1862). Très favorable à Flaubert.
FOURNIER (Édouard) (1819-80), polygraphe, feuilletoniste au Journal du Loiret en 1842, a tenu ensuite le feuilleton dramatique et littéraire de la Patrie et fut bibliothécaire du Ministère de l’Intérieur, en 1872. Deux chroniques sur Salammbô dans la Patrie (12 et 19 janvier 1863). Pour ce critique, la vérité archéologique manquait dans ce livre, comme roman, un livre mort-né.
GAUTIER (Léon) (1832-97), archiviste-paléographe, collabora à de nombreux journaux catholiques, dont Le Monde (20 décembre 1862). Reconnaît un grand talent à Flaubert, mais demeure, en admirant le style et certaines scènes, profondément hostile au réalisme et à la couleur locale.
GAUTIER (Théophile) (1811-72) a publié sa critique dans le Moniteur Officiel qui était le Journal Officiel du Second Empire (22 décembre 1862). Son amitié avec Flaubert le gêne et il redoute que l’on considère son opinion comme étant de parti-pris. Est naturellement favorable à Salammbô.
LEVALLOIS (Jules) (1829-1903), rouennais d’origine. Il fut secrétaire de Sainte-Beuve et critique littéraire à l’Opinion Nationale, de 1859 à 1872. Ce journal était moins d’opposition que d’avant-garde. Sa chronique est du 14 décembre 1862. Il considère Flaubert comme un grand styliste, mais il regrette qu’il ne se soit pas intéressé à un autre roman dans le genre de Salammbô, Il déplore qu’il se soit lancé dans l’exotisme.
LUCAS (Hippolyte) (1807-77) a publié dans la Revue Bibliographique (20 décembre 1862) un article sur Salammbô. Ne peut s’associer aux éloges à cause du caractère trop archéologique de ce roman, lui reconnaît un grand talent de photographie idéale, mais il déplore que les critiques aient fait peu de cas du dernier livre de Louise Colet, L’Italie des Italiens, qu’il trouve beau et plus intéressant que Salammbô.
PICHOT (Amédée) (1796-1877) a dirigé la Revue Britannique dès 1834. Sa chronique a paru dans le n° de janvier 1863 (p. 249-50). Il admire sans réserve la science de ce volume et sa prose poétique hasardant l’épithète homérique ou virgilienne.
PONT-MARTIN (Armand de) (1811-90), légitimiste convaincu, a collaboré pendant vingt-neuf ans à la Gazette de France, signant tous les samedis un feuilleton littéraire (21 décembre 1862). Il est contre le naturalisme, mais reconnaît un grand talent à Flaubert. Il termine son article par des bouts-rimés.
SAND (George) (1804-76) ; lettre adressée en janvier 1863 au Temps et reprise dans Questions d’Art et de Littérature, (p. 305-12, Paris, Lévy, 1878). Elle est enthousiaste à l’égard de Salammbô, trouvant le roman « étrange et magnifique, plein de ténèbres et plein d’éclats ».
SCHERER (Edmond) (1815-89), d’origine protestante et helvétique, mais rompit avec sa confession. Il fut rédacteur à la Revue des Deux Mondes et collabora au National et au Temps, fut sénateur de la Seine après 1870. Il s’occupa surtout de la littérature étrangère. Son article paru dans le Temps, journal du soir et du matin, ne relevant d’aucun parti et défendant seulement la liberté (16 décembre 1862). Il avait été favorable à Salammbô et admirait le talent de Flaubert. Il retrouvait dans Salammbô les qualités de l’écrivain avec un cynisme fâcheux pour l’art, manifestation du beau et non du grotesque et de l’hideux, si bien que ce roman faisait à son avis le tourment et le désespoir du lecteur.
SAINTE-BEUVE (Charles) (1804-69), critique connu et ami de Flaubert, a eu les mêmes scrupules que Th. Gantier pour la critique de Salammbô. Il lui a consacré trois articles dans Le Constitutionnel (8, 15, 22 décembre 1862), repris dans Nouveaux Lundis (tome IV, Lévy, Paris, 1865, p. 30-96), critique favorable mais embarrassée.
SAINT-RENÉ TAILLANDIER (René) (1817-79). Il fit ses études littéraires à Heidelberg, fut professeur à Strasbourg, Montpellier, Paris, à la Sorbonne (chaire de la poésie française), critique de la Revue des Deux Mondes (15 février 1863, p. 840-60). Il reconnaît à Flaubert un tempérament artiste, mais reproche son système naturaliste. Il souhaite que pour ses prochaines œuvres, il abandonne son imagination un peu sadique et qu’il soit plus respectueux de la grande nature humaine.
SAINT-VICTOR (Paul de Binsse) (1827-81). Il avait été secrétaire de Lamartine en 1848. Il écrivit dans de nombreux journaux des articles d’art et de critique dramatique. Inspecteur des Beaux-Arts sous Napoléon III. Il a réuni ses chroniques en volumes et est considéré comme l’un des grands critiques du XIXe siècle. Il a publié sa critique dans la Presse, le journal de Girardin (15 décembre 1862). Il ne reprocha pas le sujet, mais regretta dans le style l’abus de la forme et l’excès du relief. Il pensa que les œuvres de cette trempe ne périssent pas.
SYLVESTRE (Théophile) (1823-76), chronique du Figaro (8 janvier 1863). Elle est la plus foncièrement hostile à Salammbô. Nous en donnons de larges extraits afin que les détracteurs aient leur place dans cette rubrique des articles critiques.
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La presse de 1862-63 ne comportait pas, en raison du Second Empire, de journaux de gauche, ni d’extrême-gauche. L’Empire dit libéral croissait lentement. Par conséquent, la gamme de la critique est naturellement incomplète. Il faut cependant considérer que partisans ou adversaires discrets du Second Empire ont manifesté leur opinion littéraire. Il est possible et probable que des journaux de gauche auraient été favorables à Salammbô comme ils l’auraient été à Salammbô, en raison des idées libérales et voltairiennes de Flaubert et aussi du réalisme de ses œuvres. Cet ensemble permet de juger ce que les spécialistes littéraires de cette époque ont pensé de Salammbô. Ce tableau permet de se rendre compte que presque tous étaient plus âgés que Flaubert. Ils avaient connu les batailles romantiques pour le souvenir desquelles plusieurs demeuraient discrètement fidèles. Le réalisme suggéré par Flaubert dans Salammbô et dont ils retrouvaient des échos dans ce nouveau roman, les troublait. Certains même s’en montraient délibérément hostiles, si bien que Salammbô fut accepté avec méfiance, tout en admettant dans l’ensemble le talent et le style de son auteur.