Les Amis de Flaubert – Année 1963 – Bulletin n° 23 – Page 18
Quelques billets inédits de Flaubert
à la famille Sand
Une édition de la Correspondance Générale de Flaubert est annoncée par le catalogue de la collection de la Pléiade. Réjouissons-nous, mais ne nous impatientons pas, car on n’en est encore qu’aux travaux préparatoires, et les publications de ce genre demandent de longues marches d’approche.
En attendant, livrons quelques petites pierres qui prendront place dans l’édifice futur, en temps et lieu. Les documents qu’on trouvera ici sont adressés à des personnes de l’entourage de George Sand, et postérieurs, sauf le premier, à la mort de la romancière. Ils constituent une sorte d’appendice à la très belle correspondance, bien connue, qu’échangèrent le solitaire de Croisset et la Bonne Dame de Nohant, et dont M. A.F. Jacobs envisage de son côté une réédition attendue.
à Charles Sagnier (1)
[4 ou 5 juin 1876]
4 h.
Aucune nouvelle.
Ce soir à partir de 7 h. je serai chez le Prince Napoléon, bd Malesherbes, 86. S’il y avait du neuf faire parvenir s.v.p.
Gve FLAUBERT.
[Adresse :]
M. Sagnier.
à Mme Maurice Sand (2)
[Mai 1877 ?]
Madame,
Je vous demande pardon de ne pas vous avoir encore envoyé un exemplaire de mon livre.
Vous le recevrez d’ici à très peu de temps. Ce retard est tout à fait involontaire.
Je prends la liberté de vous baiser les mains, en vous assurant, Madame, que je suis tout à vous.
Gve FLAUBERT.
mercredi matin.
à Mme Maurice Sand
([juin 1879 ?] (3)
Chère Madame Lina,
J’irai vous voir un de ces après-midi, vers 5 h., soit demain mardi, vendredi ou lundi.
Comme je dois quitter Paris la semaine prochaine tout mon temps est pris, et je ne pourrai dîner chez vous. Mais je tiens à vous voir — vous et les chères belles petites.
Amitiés à Maurice.
Votre bien affectionné Gve FLAUBERT.
Lundi matin.
à Maurice Sand
[3 février 1880]
Mon cher Maurice,
Parbleu ! je vous livrerai tout ce que je possède (4). Mais il me faut un peu de temps p[ou]r faire des fouilles dans mes innombrables tiroirs ! — êtes-vous très pressé ? Si oui, je vais m’y mettre illico.
Je commence mon dernier chapitre et suis éreinté (5).
Il me reste p[ou]rtant assez de force p[ou]r vous embrasser, vous et les vôtres.
Votre vieux Gve FLAUBERT.
Mardi.
Donnez-moi 8 ou 15 jours, n’est-ce pas ?
[Adresse :] M. Maurice Sand, 16, chaussée de la Muette, Passy-Paris.
[Poste :] Déville-lès-Rouen, 4 février 80. Paris, 5 février 80.
à Maurice Sand
[23 février 1880]
Parbleu ! oui, il faut venir ici (6).
Prévenez-moi 24 heures d’avance. Comme vous ne pouvez faire ce voyage (retour compris) dans une seule journée, je vous attends pour coucher dans une quinzaine, n’est-ce pas ?
Votre vieux CRUCHARD
vous embrasse ainsi que les vôtres.
Lundi.
[Adresse : M. Maurice Sand. chaussée de la Muette. 16, Passy-Paris. [Poste :] Rouen 23 février 80. Paris 24 février 80.
* * *
Je profite de cette occasion pour rectifier la date de la lettre à Mme Maurice Sand qui a été publiée à plusieurs reprises comme étant du 25 mai 1876. L’allusion à une maladie grave de George Sand qu’elle contient a trompé les précédents éditeurs. Sur l’enveloppe jointe à la lettre se lit un cachet postal du 26 mars 1875 : l’autographe portant « jeudi », il faut adopter jeudi 25 mars 1875 ; à ce moment, George Sand avait souffert d’une grippe et de douleurs, maladies que la rumeur publique avait beaucoup grossies, par amour du sensationnel. Des recoupements convaincants sont donnés par sa lettre écrite le 25 au reçu du télégramme de Flaubert à Maurice, et par la réponse de Flaubert en date du 27, correctement classée à la bonne date.
Georges LUBIN.
Remerciements aux Flaubertistes qui m’aideraient à retrouver le texte d’une lettre de George Sand à Flaubert du 31 août 1868, lettre que Flaubert ne paraît pas avoir reçue. Il y était question de Sylvanie Arnould-Plessy, actrice connue qui tombait dans la dévotion sous l’influence du Père Hyacinthe, celui-là même qui devait quitter l’Église d’une façon retentissante quelques années plus tard. George Sand s’y exprimait avec quelque verdeur sur l’actrice et son moine.
La lettre a existé : George Sand en parle dans celle du 18 septembre suivant ; et d’autre part, une phrase en a été reproduite dans un article du Bulletin de l’Académie du Centre (juillet 1935, p. 85) dont l’auteur n’a pu me donner, après tant d’années, ses références. Cette phrase, la voici : « Elle est toquée de son moine et ne pense qu’à le violer ; elle en est coiffée… » Il y avait encore des termes plus pittoresques et plus hardis, paraît-il.
G. L.
(1) L’autographe est tiré d’une collection particulière. II provient des papiers de Charles Sagnier, nîmois que George Sand avait connu par l’intermédiaire de Jules Boucoiran, ancien précepteur de son fils. Sagnier s’était trouvé à Nohant dans les derniers jours de mai, alors que la maladie de la romancière (qui allait mourir le 8 juin), prenait un tour alarmant.
(2) Nous proposons la date de mai 1877, parce qu’il n’y a aucune publication nouvelle de Flaubert, après la mort de George Sand, que les Trois Contes parus le 24 avril 1877.
Ce document et ceux qui suivent sont conservés à la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris, Fonds Sand, sous les numéros H 741, H 740, H 508, H 509 (dans l’ordre de notre publication). Les autographes de quatre autres lettres publiées sont dans le même fonds : 25 mars 1875 (H 739), 3 juin 1876 (H 742), 31 octobre 1876 (H 507), 20 ( ?) avril 1880 (H 510).
(3) Là encore, c’est une hypothèse que nous faisons : en juin 1879, Flaubert est à Paris, et très surmené.
(4) Tout ce que je possède : ce sont les lettres de George Sand à Flaubert que Maurice lui a demandées, afin d’en insérer une partie dans la correspondance de sa mère, dont il prépare la publication. C’est d’abord dans la Nouvelle Revue des 15 février, 1er et 15 mars 1883 que paraîtront 77 lettres, avant de figurer, avec 12 autres, dans les trois derniers tomes de la Correspondance.
Le 22 février, Flaubert écrit à Mme Roger des Genettes qu’il en a retrouvé 174. Mme Franklin-Grout dut en découvrir d’autres par la suite, car on en dénombre actuellement plus de 200 dont le texte est connu. Une vingtaine, dont l’envoi est attesté par les carnets de George Sang, manquent encore.
(5) Ce « dernier chapitre » est le chapitre X de Bouvard et Pécuchet qui, comme on sait, demeura inachevé.
(6) Il est peu probable que Maurice Sand se soit rendu à cette invitation. Une lettre de Flaubert, datée « mardi matin » et que je crois du 20 avril, nous paraît sous-entendre que Maurice n’est pas encore venu. « Jusqu’au 8 ou 10 mai, je serai à Croisset. Ainsi, mon vieux, quand vous voudrez y venir, vous y serez le bien venu ».
Le 8 mai, ce sera le dernier chapitre de la vie de Flaubert…