Les Amis de Flaubert – Année 1974 – Bulletin n° 45 – Page 39
D’une lettre d’Octave Mirbeau
Octave Mirbeau a demeuré aux Damps près de Pont-de-l’Arche. Il écrivait à Mallarmé, le 24 novembre 1890
« Hier j’étais à Rouen ; j’avais voulu voir la fête de Flaubert. Quelle tristesse ça a été, si vous saviez ! Et quelle ironie. Flaubert célébré par Bouvard et Pécuchet… Il y avait avec nous — Ah ! que la vie est affolante ! — un notaire. Ce notaire est tout simplement un homme de génie, un des plus profonds et hardis penseurs de ce temps. Il s’appelle Toutain et occupe la plus grosse étude de Rouen. Il a sous le nom de Jean Revel, écrit deux admirables livres, décousus de forme, mais bouillonnants d’idées grandioses, de vues lointaines : une intelligence lumineuse et qui comprend tout. Ces livres s’appellent : « Chez nos Ancêtres » et « Le Testament d’un moderne ». Lisez-les. Et, en les lisant, de savoir que l’auteur de toutes ces nobles choses est un notaire, cela vous jette en une sorte de fantamasgorie. Mais à Rouen, on ne connaît pas Jean Revel, on ne connaît que Toutain. Il me disait : « Si l’on savait que j’ai écrit ces livres, je serais perdu, je serais obligé de vendre mon étude ». Il n’y a que quelques mois que sa femme sait la vérité ! Et ça été une rupture soudaine dans le ménage ! Je vous conterai cette vie ; elle est extraordinaire… ».
Mirbeau était allé la veille à l’inauguration du bas-relief de Flaubert en marbre par Chapu, qui se trouve actuellement dans les réserves du musée des BeauxArts. Le notaire dont il s’agit est le fondateur de notre société et a été à l’origine du rachat du pavillon de Flaubert à Croisset. Il a encore une fille existante, fidèle amie de notre société. Son fils a rétabli les Amis de Flaubert en 1945 et a été président de l’Association jusqu’à sa mort. L’opinion de Mirbeau était sans doute vraie en 1890, aujourd’hui elle serait admise plus facilement.