Deux lettres de Laure de Maupassant sur son fils Guy

Les Amis de Flaubert – Année 1965 – Bulletin n° 27 – Page 42

Deux lettres de Laure de Maupassant sur son fils Guy

En 1894, M. Gadeau de Kerville, industriel rouennais, passionné d’histoire naturelle, écrivit à la mère de Maupassant, pour lui demander des renseignements sur la pièce où était né son fils Guy. On remarquera que sa villa niçoise est appelée des « Ravenelles », le nom dialectal normand des giroflées. Elle déclare sans aucune ambiguïté que son fils est bien né au château de Miromesnil qui se trouve sur le territoire de Tourville-sur-Arques et non ailleurs. Une histoire plus ou moins rocambolesque a été lancée, disant qu’il serait né à Fécamp au domicile de sa grand-mère et qu’on l’aurait aussitôt apporté au château de Miromesnil, pour que cet enfant de famille noble, ait un lieu de naissance digne de lui. Les mères doivent savoir mieux que n’importe qui, où elles ont donné naissance à leurs enfants !

Les châteaux étaient fort nombreux dans le Pays de Caux. Il n’était pas rare que des familles, par héritage, possédassent plusieurs domaines, composés de grandes fermes avec généralement un château inhabité, même l’été. À cette époque, les châteaux appartenant à des familles nobles plus que bourgeoises étaient toujours meublés et étaient toujours vendus avec leur mobilier.

Il ne faut pas oublier que depuis 1830, les côtes de la Seine-Maritime étaient recherchées pour les vacances d’été, grâce à la Duchesse de Berry qui en avait lancé la mode avec Dieppe. Il est probable que ces châteaux souvent inoccupés, trouvèrent des locataires pour la saison d’été. Les propriétaires qui les entretenaient étaient heureux de trouver de la sorte quelque dédommagement d’ordre pécuniaire. La venue de la famille de Maupassant à Tourville-sur-Arques s’inscrit dans cet ordre de considérations.

Cette lettre a été donnée en 1931 par M. Gadeau de Kerville à la bibliothèque de Rouen.

La seconde est conservée au Musée-bibliothèque d’Avignon dans l’important fonds légué par Paul Mariéton, félibre et critique, qui semble avoir connu et fréquenté Madame Laure de Maupassant sur la Côte d’Azur. Cette lettre remonte à 1903. Elle a été écrite par la veuve d’Hervé de Maupassant, le frère de Guy, sous la dictée de sa belle-mère qui a tenu à y mettre sa signature. Celle-ci est pénible et son paraphe difficile traduit son état fébrile et nerveux. Une erreur graphique dans la lettre : les deux branches des Maupassant sont celles de Valmont et de Lillebonne et non de Villebonne. Guy appartenait à la branche de Valmont. Il signa ses premiers écrits sous le pseudonyme de Guy de Valmont. Nous avons retrouvé un acte notarié de 1864 dont la purge légale a paru dans le Nouvelliste de Rouen (19 avril 1864) à propos de la vente d’une filature sur l’Aubette, à Saint-Aubin-Épinay, qui appartenait alors à la veuve de Jean-François Paul Le Poittevin, née Thurin, demeurant à Bornambusc. Ce bien avait appartenu à son père Jean-Paul-François Le Poittevin, manufacturier, rue de Lenôtre, à Rouen et ensuite collectivement à ses enfants dont, en plus de Jean-François Paul décédé, Laure-Marie-Geneviève Le Poittevin, épouse de Gustave-François-Albert de Maupassant (les parents de Guy), propriétaire, vivant de son revenu avec lequel elle demeurait (légalement ?) à Saint-Aubin, près de Saint-Romain-de-Colbosc, à sa sœur Virginie Le Poittevin, épouse de Charles-Gustave d’Harnois de Blanques, demeurant à Bornambusc et également à Louis Le Poittevin, enfant mineur, sous la tutelle de Aglaé-Julie-Louise de Maupassant, veuve en premières noces de Paul-Alfred Le Poittevin et épouse en secondes noces de Jacques-Henri Cord’homme (le Cornudet de Boule de Suif), commerçant, demeurant à Rouen, rue des Iroquois, n° 23.

Il semble que dans les familles nobles normandes du XIXe siècle, le prénom usuel des garçons n’était pas le premier, mais le dernier. Ainsi, au Lycée Corneille, le romancier fut inscrit sous les prénoms et nom de Albert-Guy de Maupassant.

A. DUBUC.

Villa des Ravenelles,

140, rue de France, Nice

Le 5 juillet 1894.

Monsieur,

Puisque vous voulez bien vous occuper de mon cher mort, vous ne sauriez être importun et c’est très volontiers que je vous envoie les détails que vous me demandez.

Guy de Maupassant est né au château de Miromesnil, le 5 août 1850.

L’appartement que j’occupais alors et dont la disposition n’a pas dû être changée, est situé au premier étage en tournant à droite au haut du grand escalier : une chambre un peu étroite, éclairée par une grande fenêtre au midi, s’ouvrant sur le petit parc, donne accès dans une petite pièce de forme ronde — petite chambre ou cabinet de toilette — où eut lieu, comme on vous l’a dit, la naissance de mon fils. C’est la tourelle qui se trouve à gauche du spectateur s’il se place dans le petit parc et regarde le château qui de ce côté-là fait face au midi.

La vraie façade, celle du nord, est sur la cour d’honneur, où aboutissaient les avenues et n’offre aux yeux que deux toutes petites tourelles, avec lesquelles il n’est pas possible de confondre.

Il était huit heures du matin lorsque naquit Guy de Maupassant et le plus radieux soleil sembla souhaiter la bienvenue à celui qui devait mourir jeune et non sans quelque gloire. J’espère, Monsieur, que je me serai fait bien comprendre, mais j’écris avec peine, je suis très vieille et très malade et la plume tremble dans ma main. J’ajoute cependant que je reste à votre disposition, si quelque nouveau renseignement vous était nécessaire.

Veuillez agréer Monsieur, l’expression de mes meilleurs sentiments.

Laure DE MAUPASSANT.

(Bibliothèque municipale de Rouen Ms p. 54 n° 28).

Nice, le 10 septembre 1903.

Cher Monsieur,

Je suis toujours bien malade et tout à fait incapable d’écrire une lettre ou même de la dicter et je ne sais ce que j’aurais pu faire si je n’avais eu la bonne chance de recevoir aujourd’hui la visite de ma belle-fille.

Elle accepte très volontiers l’agréable tâche de vous envoyer quelques mots à ma place, mais j’ai bien peu de chose à vous dire ne m’étant jamais occupée, je l’avoue des questions que vous venez de me soumettre.

Ce sont des souvenirs très lointains qu’il me faut évoquer et ils peuvent manquer un peu de précision. Je sais pourtant que j’ai eu dans les mains il y a plus de cinquante ans aujourd’hui, une traduction de titres concernant les Maupassant. Cette famille a été anoblie par François 1er de Lorraine, mari de la célèbre Marie-Thérèse, François de Lorraine, empereur d’Allemagne.

Les titres portaient cette mention, pour services rendus sur terre et sur mer, par plusieurs générations successives (je me crois sûre des premiers détails). Les Maupassant sont bien originaires de la patrie de Jeanne-d’Arc. Ils viennent, soit de Domrémy, soit d’un lieu tout proche. On trouve un Maupassant qui s’illustra au siège de Rhodes, sous François 1er.

Cette famille était divisée en deux branches. Les Maupassant de Vallemont et les Maupassant de Villebonne ; les armes portant la couronne de marquis, a mis ce titre venant d’une fonction élevée n’était pas transmissible aux descendants, qui ne portent cette couronne que sur leur cachet.

Quant à ce qui me concerne personnellement, c’est très simple à dire, hélas ! Je ne sais pas si j’ai dans les veines le sang de l’illustre compagnon du Conquérant. Les Le Poittevin savent qu’ils remontent très haut, mais ne possèdent aucune preuve de cette parenté. Il est vrai que le nom s’écrit exactement de la même façon avec Le particule et en deux mots. Ce nom ainsi orthographié se trouve inscrit dans l’antique église de Dives, sur le rivage de basse Normandie, mais est-ce bien un ancêtre de la branche actuelle des Le Poittevin ? Voilà ce que je pense malgré l’aplomb de certains membres de ma famille qui se prétendent sûr de cette brillante origine. On retrouve au quinzième siècle dans une chronique que je n’ai point eue dans les mains des Le Poittevin, avec la description de leurs armoiries, mais de tout cela rien, n’est venu jusqu’à moi.

Vous voulez de mes nouvelles, cher Monsieur ; elles sont assez tristes. L’attaque dont j’ai été atteinte, il y a quelques mois m’a laissée des traces profondes : ma voix est toute changée et si faible qu’elle s’éteint à chaque instant, j’ai bien peur de ne pouvoir reprendre l’hiver prochain les bonnes causeries que j’aime tant ; mes idées ne circulent plus dans mon pauvre cerveau. C’est bien triste mais c’est ainsi.

Pardonnez-moi donc cette lettre très décousue et recevez la très vive assurance de ma cordiale amitié avec une bonne poignée de main.

Laure DE MAUPASSANT.

Merci pour la très jolie carte postale.

M.-T. DE MAUPASSANT.

P.S. — Merci aux admirateurs restés fidèles à la mémoire de mon cher mort. (Musée Calvet, Avignon (Fonds Paul Mariéton) 4403 fo 389).