La dispersion des manuscrits de Flaubert : Editorial

Les Amis de Flaubert – Année 1975 – Bulletin n° 47, page 3

 

La dispersion des manuscrits de Flaubert

Editorial

Nous avons parlé, l’an dernier, de la possibilité qu’un ouvrage important de manuscrits, concernant l’élaboration de l’Éducation sentimentale, soit vendu. Nous avons craint que, vu le prix demandé, une trentaine de millions, il ne reste pas en France et se retrouve finalement dans une lointaine université américaine disposant d’importants crédits.

Nous savions que des amis de l’hôtel Drouot étaient inquiets, quant à l’avenir et nous avions cru bon d’alerter nos lecteurs. Nous aurions aimé que la ville de Rouen se portât acheteur, malgré le prix élevé, et nous avions songé à organiser une souscription entre les amis de Flaubert à travers le monde pour dédommager la ville de son achat. Nous avons d’ailleurs reçu quelques lettres d’encouragement et même de souscriptions.

Puis, nous avons appris que cette vente serait différée, ce qui nous a rassurés pour un certain temps. Ces notes et brouillons ne viendront pas à Rouen ayant été acquis par la Bibliothèque Nationale, ce dont nous nous réjouissons en partie.

On sait que ce manuscrit avait été acheté par Sacha Guitry, à la vente qui a suivi le décès de la nièce de Flaubert, Caroline Hamard, veuve en premières noces de M. Commanville et en secondes noces du Quevillais Franklin-Grout, il y a une cinquantaine d’années, à Antibes. Un catalogue de la vente, que nous avons en notre possession, indique en marge le montant des enchères. Il fut alors acheté 35.000 francs.

Le grand collectionneur, qu’était Sacha Guitry, l’avait encore à sa mort et sa jeune et ultime épouse hérita de tous ses biens, après lui avoir fermé les yeux.

Depuis quelques années, elle vend de temps à autre de ces reliques. Vers 1950, il eût été possible de l’acquérir pour 1.500.000 francs et notre ancien président avait fait des démarches en ce sens. La ville, qui sortait de la guerre, eut tort de ne pas s’y intéresser.

Cet ouvrage restera en France : c’est un point acquis. Nous ne mettons dans cette satisfaction aucun point de nationalisme, mais nous estimons qu’étant un ouvrage écrit en langue française, il est mieux placé pour les recherches, que dans tout état étranger, même francophone. Il est répandu dans l’opinion publique, que M. Valéry Giscard d’Estaing n’est pas étranger à cet achat. L’actuel président de la Ve République française n’a-t-il pas confié un jour à un journaliste qu’il aurait voulu être écrivain comme Flaubert et qu’il l’admirait ? Depuis quelque temps, Tolstoï l’émerveille. Mais enfin aucune surprise qu’il ait une faiblesse familiale pour notre Gustave. Il est le petit-fils d’Agénor Bardoux, qui dut être, au début de la IIIe République, ministre de l’Instruction publique et qui a été un des familiers de Flaubert et sa correspondance donne plusieurs lettres qu’il lui a écrites.

Ce que nous regrettons avant tout, est de constater que les œuvres dispersées dans de multiples bibliothèques rendent les recherches plus difficiles à ceux qui ont besoin de les consulter pour la précision de leurs travaux. Il paraîtrait insensé par exemple, que la bibliothèque municipale de Rouen possédât des manuscrits de Montesquieu, alors qu’il serait plus logique de les retrouver à Bordeaux. Pour Flaubert, nous avons la bibliothèque municipale de Rouen, la bibliothèque historique de la ville de Paris, la bibliothèque Lovenjoul à Chantilly, maintenant en plus la bibliothèque nationale, ce qui fait beaucoup pour les chercheurs qui, généralement, ne roulent pas sur l’or. Une ventilation serait logique et nécessaire pour tous.

Comme nous regrettons que la nièce de Flaubert, qui a fait des dons importants, ne les ait pas concentrés en un seul endroit, au lieu de les disperser. Tout rouennais que je suis, je souhaiterais que tout ce qui intéresse Flaubert, Maupassant, Corneille, Alain qui en avait manifesté le désir, soit réuni à la bibliothèque municipale de la ville, où, rappelons-le, Flaubert empruntait des livres.

André Dubuc