Les Amis de Flaubert – Année 1976 – Bulletin n° 48 – Page 38
Victor Hugo en Normandie
On doit se rappeler que, sous le Second Empire, Flaubert recevait par Londres des lettres de Victor Hugo, qui étaient renvoyées ensuite par lui à leurs destinataires. Le courrier échappait ainsi au contrôle de la police secrète de Napoléon le Petit. Nous avons trouvé un article sur les vacances de Victor Hugo en Normandie, en septembre 1879, dans le Journal de Rouen, qui a aussi sa place dans notre revue. (A. D.).
Victor Hugo en Normandie.
« Après une villégiature de quinze jours à Veules, chez M. Paul Meurice, et à Villequier, chez M. Auguste Vacquerie, Victor Hugo est rentré à Paris avant-hier soir (22 septembre), dit le Figaro, et a repris possession de son appartement de l’avenue d’Eylau, où il prépare en ce moment, pour l’impression, un nouveau volume de vers Toute la Lyre, volume dont il a déjà été parlé et qui paraîtra dans le courant du mois de novembre prochain.
Victor Hugo n’est resté que cinq jours à Veules, non qu’il ne se plût pas dans cette ravissante petite station de bains de mer, toute peuplée de souvenirs de l’architecture du XIIe siècle, mais Villequier l’attirait, par des raisons plus particulières, et il avait hâte de s’y rendre.
C’est l’artiste Mélingue qui, habitant déjà Veules, donna l’idée à M. Paul Meurice de s’y faire construire une maison voisine de la sienne. La maison de M. Paul Meurice est située tout au bord de la mer qui, gagnant toujours de ce côté, en baigne pour ainsi dire les murs à chaque marée un peu forte. Avant qu’il soit longtemps, il faudra, de toute nécessité, reculer ou faire disparaître tout à fait la terrasse-promenade construite en avant de la maison et que le flot ronge sans relâche.
Le séjour de Victor Hugo à Veules n’a pas été précisément favorisé par le beau temps. Le vent et la pluie s’y partagèrent les journées : peut-être ont-ils même contribué, dans une certaine mesure, à abréger la villégiature du poète qui, tout en aimant beaucoup la mer, aime aussi les longues promenades en plein air, par les champs empourprés de soleil.
Relégué forcément à l’intérieur, vivant là avec quelques intimes, causant ou lisant le soir, travaillant peu et le matin seulement, Hugo n’a guère laissé à Veules qu’un souvenir. C’est un grand dessin à la plume représentant les ruines d’un vieux moulin battu constamment par les vagues et menaçant de s’écrouler. Le moulin existe, d’ailleurs, et sert de but de promenade, à marée basse.
De Veules, Victor Hugo est allé directement à Villequier, où M. Auguste Vacquerie possède une fort belle propriété qui lui vient de son père.
Villequier a toujours été cher à Victor Hugo, qui aime à y retrouver les premiers souvenirs douloureux de sa vie. C’est là, on s’en souvient, que sa fille Léopoldine trouva la mort en 1843, dans une promenade en bateau. Mariée à M. Charles Vacquerie, qui se jeta courageusement à l’eau pour la sauver ; on retira quelques heures après leurs deux corps enlacés.
À Villequier, le poète trouva enfin le soleil et se livra dix jours durant à ses excursions favorites. Toujours levé avant l’aube, il s’en allait droit devant lui à l’aventure, longeant tantôt les bords de la Seine, si joyeux et si coquets de ce côté, et tantôt s’enfonçant sous les arbres tout peuplés du gazouillement matinal des oiseaux.
Cette première promenade durait deux heures, puis Victor Hugo rentrait et s’enfermait chez lui pour travailler jusqu’à l’heure du déjeuner.
On sait que Victor Hugo a l’habitude de travailler debout. N’ayant pas à Villequier de meuble assez haut pour lui servir convenablement de pupitre, il s’en était confectionné un lui-même. Au moyen d’une superposition de tabourets et d’in-folios, recouverts d’un tapis, et c’est sur ce pupitre improvisé qu’il écrivait.
Deux pièces de vers datées l’une du 15 et l’autre du 18 septembre ont été composées par le poète à Villequier. Elles se rattachent toutes deux, quoique d’une façon différente, à la mort tragique de sa fille et de son gendre ; seulement, tandis que la première s’adresse exclusivement aux victimes, la seconde est adressée à M. Auguste Vacquerie, le frère survivant. Toutes deux trouveront sans doute place dans le volume en cours, dont nous parlions en commençant.
Un grand nombre de parents et d’amis s’étaient donné rendez-vous à Villequier pendant la durée du séjour de Victor Hugo, notamment M. et Mme Gleize, etc. Il n’y a pas eu, une seule fois, moins de seize personnes à dîner.
Hugo est rentré à Paris samedi soir, bien portant de corps et reposé d’esprit. L’absence de toute préoccupation politique, jointe aux distractions d’une vie active et bien remplie, semblent avoir rendu au poète une santé que ses amis avaient pu croire, un instant, sérieusement compromise. »
La demeure de Paul Meurice, à Veules, subsiste près du casino, malgré les défenses organisées dans cette petite ville par l’armée allemande, entre 1940 et 1944. Celle d’Auguste Vacquerie, à Villequier, qui avait souffert dans sa couverture, avec les derniers combats sur les bords de la Seine, à la fin d’août 1944, a été achetée quelques années plus tard par le département de la Seine-Maritime qui y a installé un musée Victor Hugo.