Les Amis de Flaubert – Année 1976 – Bulletin n° 48 – Page 42
Alfred Darcel et l’école impressionniste
Nous avons souvent parlé de cet autre Rouennais devenu Parisien qui fut le critique d’art du Journal de Rouen. Art et littérature se tiennent tout au moins dans la mode. Dans la critique du salon de Paris qui comporte plusieurs articles, un d’eux est intitulé « Le genre ». Bonne raison pour lui d’exprimer son sentiment le 27 mai 1879 : « … Le chef de l’école des impressionnistes, M. Manet l’a exposé. L’école le suit religieusement dans la voie d’insignifiance qu’il lui a ouverte. Dans la serre ou en bateau, ses personnages n’expriment aucun sentiment et sont placés par hasard et comme le hasard l’a voulu. Quelques touches franches sont chargées de les écrire et de les modeler dans la lumière. Mais M. Manet s’arrête quand l’ébauche demanderait quelque travail pour se transformer en tableau. Ses disciples s’arrêtent aussi et renchérissent naturellement sur lui, d’abord parce qu’ils n’ont pas son talent, puis parce qu’il est dans la condition des disciples d’exagérer les défauts du maître.
« Le canotage est leur principal champ d’études et ils ne craignent pas de vous montrer le soulier ou la main d’un personnage dont tout le reste du corps est en dehors du cadre, où ils nous montrent l’avant ou l’arrière d’un bateau quelconque où un monsieur en maillot et chapeau de paille s’esquinte à ramer.
« Ces excentriques qui ont ouvert dernièrement une exposition intransigeante, avenue de l’Opéra, rêvent aussi une révolution dans l’art de peindre. Au lieu de mélanger leurs couleurs sur la palette, afin d’en faire des tons composés, ils juxtaposent les tons francs sur la toile avec l’espoir que, vus à distance, ils se combineront ensemble pour former dans l’œil des tons composés, c’est le procédé qu’emploient méthodiquement aujourd’hui les tapissiers des Gobelins. Il n’est pas nouveau, car Eugène Delacroix l’a pratiqué et Jonckind l’a remis en honneur. C’est même à lui que les impressionnistes l’ont surtout emprunté. Il peut avoir du bon, mais le public à qui les procédés importent peu, pourvu qu’on arrive à un résultat, reprochera à celui-ci d’abord de donner un aspect flocheté à la peinture puis à la transformer chez les moins habiles en un bariolage inintelligible… » Texte intéressant par un critique qui connaît la peinture classique et qui se trouve un peu épouvanté des tendances en germination. Nous ne reprendrons seulement, que le côté du canotage qui est très en vogue chez les Parisiens pour donner un intérêt à leurs dimanches et à leur plaisir de découvrir l’effort par le sport et le plein air dont ils sont privés durant la semaine. Du point de vue littéraire, c’est Maupassant qui va lancer le goût du canotage, dont il est lui-même un ferme partisan et à une date rapprochée de la parution de cet article. (A.D.)