Les Amis de Flaubert – Année 1980 – Bulletin n° 57 – Page 3
Bilan du Centenaire
Éditorial
L’année du centenaire de la mort de Flaubert se termine. Devons-nous nous en montrer satisfaits ? Moyennement, c’est une sage réponse de Normand.
Il a été célébré en France et à l’étranger par des colloques et des expositions. Des colloques à Rouen, au début de mai, à Paris, en octobre et novembre, dans une université des États-Unis au début d’octobre et un autre en Angleterre, à Liverpool, dont nous ignorons la date. Des expositions ont été faites, à Rouen, à Paris et aussi à Evreux, sans doute quelques autres de moindre importance dans d’autres villes. Malgré le recul du temps, Flaubert est toujours commenté, analysé et son œuvre continue à être lue, peut-être pas autant que nous le souhaiterions. Pour beaucoup, il est devenu un classique, un auteur qui ne s’efface pas avec l’âge et qui demeure un sujet d’admiration et de réflexion.
Nous pouvons nous en montrer surpris, car tout vieillit et s’oublie si rapidement de nos jours. Il bénéficie d’une sorte de culte discret parmi les véritables lettrés, dont le nombre par la transformation des études scolaires et universitaires tend à diminuer dangereusement. En Flaubert, on admire autant l’homme que l’écrivain. Il aurait pu vivre tout autrement avec son aisance familiale primitive. Il a voulu être écrivain et rien d’autre. Il a préféré des périodes d’isolement pour écrire en paix, loin des bruits de la ville et des obligations de son milieu, afin de parfaire et de moduler son style qui fut son angoisse continuelle : être un artiste, produire peu, mais le mieux possible. Cela, autant pour tous ceux qui écrivent, qui aiment le beau, le vrai, le travail bien fait, autant que ceux qui s’intéressent à la littérature compte beaucoup dans l’admiration générale. On admire Flaubert, c’est un auteur sûr et complet, un exemple, un modèle qui durera autant que la littérature française sera enseignée.
Dans notre société, nous avons fait pour ce centenaire ce que nous pouvions. Les Rouennais n’ont pas été aussi « motivés » que nous l’aurions souhaité. Nous aurions dû être plus nombreux au Cimetière monumental, lorsque nous sommes allés déposer des lilas en fleur sur sa tombe et celle de sa famille. Des sociétés ont manqué de courtoisie en organisant, l’une le samedi, l’autre le dimanche, une réunion et une excursion qui auraient pu attendre une semaine. Il s’agissait d’une déférence non pas à l’égard de notre société, mais à l’égard de Flaubert, ce qui est différent. Il faudrait incriminer la presse locale et la télévision régionale de ne pas avoir attiré davantage l’attention de la population sur ce centenaire d’un Rouennais. Dans l’ensemble, avec notre petit ouvrage sur Les Rouennais et la famille Flaubert, tirage bientôt épuisé, nous avons marqué comme nous le pouvions cette date du 8 mai 1980. Il en restera un témoignage. Par contre, nous jugeons que la municipalité rouennaise et le conseil général du département ont fait financièrement et matériellement ce qu’ils devaient. Cependant, sur le plan national, nous avons été complètement négligés : c’est un peu l’habitude.
Nous avons donc passé ce cap sans trop de mal. Maintenant il faut songer à l’avenir proche. Tant que nos forces physiques nous le permettront, nous continuerons la publication de ce bulletin. Andrieu et moi, les deux principaux animateurs de la revue et des excursions, avons dépassé les soixante-quinze ans et la relève que nous souhaitons depuis quelques années tarde à apparaître, pour reprendre le flambeau accepté il y a trente-deux ans. Nous avons maintenu et développé ce bulletin, c’est notre seul mérite. Notre bénévolat a été total. Nous mesurons les difficultés de demain. Nous savons que notre société ne peut être que rouennaise. Nous sommes inquiets pour après nous : trouver des remplaçants qui aient la flamme au cœur et assez d’articles pour composer notre bulletin. Il nous semble, à moins que ce soit une erreur d’optique, qu’actuellement en France, des personnes compétentes (il n’y a jamais eu autant de bacheliers, de licenciés, d’agrégés), s’intéressent peu à la recherche régionale au-delà de leurs diplômes, tenant à apporter leur contribution intellectuelle. Il suffit de regarder et d’analyser la bibliographie flaubertienne à la fin de ce numéro. Pour dix-huit articles publiés à travers le monde en 1978, douze sont des étrangers francophones et six seulement des Français, alors qu’il serait normal que ce soit le contraire. Il en est de même tous les ans : c’est inquiétant. Nous devrions avoir en réserve deux numéros d’avance. Nous craignons après cette année du centenaire et des communications qui auront été données dans les colloques et publiées comme il se doit par eux, de devoir publier des numéros de cette revue avec un nombre de pages réduit, car nous tenons à la qualité et à la nouveauté. Il y a encore beaucoup de recherches à faire autant du côté de Flaubert que de Maupassant.
Ceci dit, sans aigreur avec la douce philosophie que l’âge confère, parce qu’il est toujours bon d’aviser ceux qui éprouvent une joie et un plaisir le jour où leur parvient notre bulletin.
André DUBUC