Les Amis de Flaubert – Année 1980 – Bulletin n° 57 – Page 40
Une opinion du Phare de la Loire
Dans les papiers de Flaubert conservés à la bibliothèque municipale de Rouen (ms g7 / 226 f° 289, cet article découpé de ce journal à la date du 14 octobre, sans indication d’année et qui est bien dans la méthode habituelle de Flaubert, notamment dans sa correspondance et certainement antérieure à sa mort. Il a d’ailleurs souligné finement au crayon deux mots (1) « réaliste et naturaliste » deux termes qui avaient l’habitude de l’indigner.
« La librairie Alphonse Lemerre vient d’ajouter à sa petite bibliothèque littéraire déjà si riche, les deux chefs d’œuvre de Gustave Flaubert sur son genre de talent, sur ses procédés, sur son style. Bien que ses rares productions lui aient fait une place un peu à l’écart dans la littérature contemporaine, il n’en demeure pas moins un des maîtres contemporains, le seul peut-être qui ne doive rien à personne et que tout le monde a plus ou moins imité. Madame Bovary a ouvert au roman la voie réaliste ou naturaliste (1) comme vous voudrez, car pour moi le naturel Zola ne fait que continuer le réel Champfleury. Zola a beau crier sur les toits qu’il travaille d’après les documents humains, il ne nous donnera pas le change et son catéchisme poissard est un trompe-l’œil d’une insigne naïveté. Zola continue Balzac, disait un jour devant moi Louis Ulbach, comme la rue de Pantin continue la rue Lafayette. Le mot est très pittoresque et très juste. Les Rougon-Macquart et le trop retentissant Assommoir appartiennent au genre descriptif qui triomphe aujourd’hui dans l’œuvre étincelante d’Alphonse Daudet, et que Flaubert a inauguré dans Salammbô. Relisez aujourd’hui ce livre autour duquel on fait tant de tapage et vous verrez le Nabab et les Rois en exil de Daudet sont tirés de la même veine. Je ne nie pas, remarquez bien la note personnelle de l’auteur des Lettres de mon moulin ; ce serait nier l’évidence, Daudet a dans le jeu du style un brio parisien qui est bien à lui, il excelle à peindre les petites choses, dans les plus petits détails ; c’est un ciseleur, un émailleur qui a beaucoup de charme, mais auquel je conseillerais de se méfier de la richesse de son pinceau ; on a déjà crié au précieux, qu’il garde d’y tomber ! … »