Une source oubliée pour Une ruse de Maupassant

 

Les Amis de Flaubert – Année 1981 – Bulletin n° 58 – Page 31

 

Une source oubliée pour
Une Ruse de Guy de Maupassant ?

 

« Un soir… je dormais profondément… Tout à coup je m’éveillai : cétait ma sonnette qui tintait désespérément ».

« Madame … prie avec instance Monsieur, de passer chez elle immédiatement.

(refus)

« Une demi heure plus tard … la sonnette… appela de nouveau… »

« — Vite, vite … vite … Venez. Mon amant est mort dans ma chambre … Mon mari va rentrer…

« Je sautai. »

« — J’ai un coupé, le sien qui l’attendait. »

« Nous partîmes ; on s’arrêta devant sa porte. »

« … j’ai fait descendre le cadavre ; lorsque nous fûmes devant la porte, je le redressai et je lui parlai… pour tromper (le) cocher ».

« Quand nous fûmes arrivés chez lui j’annonçai qu’il avait perdu connaissance en chemin, j’aidai à le remonter dans sa chambre … je jouai toute une nouvelle comédie devant sa famille … ».

Voilà, coupé aux essentiels, un conte drôle. Quelle imagination bizarre et romanesque chez ce Guy de Maupassant — car c’est bien sûr lui ! — qui l’a faitvivre pour nous dans sa mince nouvelle Une Ruse, paru dans le Gil Blas le 25 Septembre 1882, puis dans la collection Mademoiselle Fifi, dans le « Supplément littéraire » de La Lanterne du 17 août 1884 et enfin dans L’Intransigeant Illustré du 23 octobre 1890.

Mais — personne, il me semble, ne l’a remarqué — Guy de Maupassant ne l’a pas inventé, ce nœud évocatif, tant s’en faut. Et peut-être en somme il est vrai, ou presque.

En fait, Maupassant l’a puisé dans les coulisses de la légende balzacienne.

C’est probablement pour se documenter, et pour regarder de près une fois de plus un de ses principaux modèles, en songeant à achever son roman La dernière incarnation de Vautrin (devenu aujourd’hui le troisième membre de Splendeurs et misères des Courtisanes) que Balzac invite Vidocq à dîner chez lui en 1844. C’était un jour brûlant d’été. Léon Gozlan, qui était un des convives, montait à Passy tout écrasé par la chaleur, espérant d’y trouver, au-dessus de la Seine, une bouffée plus fraîche.

Dans Balzac chez lui (Michel Lévy Frères, Paris, 1863) Gozlan a relaté cette rencontre. Il était avec Vidocq qui a narré, pour le romancier son ami, le drame vécu du cadavre compromettant. Maupassant l’a bien sûr simplifié, il lui a donné un tour moraliste et légèrement ironique, et l’a mis dans un de ses cadres familiers et minutieux.

Que des parentages semblables restent pour nous éclaircir à propos de Maupassant et de la richesse de ses lectures ? On se prend à rêver…

Nous savons qu’il a aimé et imité Balzac, ça va sans dire. Et déjà dans l’année de 1882, au lendemain de la mort de Madame de Balzac, ruinée de sa propre main, Maupassant écrivait, dans le Gaulois du 22 Avril, l’article « Les amies de Balzac ». Pressé, car la vitesse est au cœur du journalisme, il l’a pour la plupart emprunté de ses propres lignes dans La Nation du 17 Janvier 1877. Mais évidemment l’entourage de Balzac n’a pas cessé de l’occuper et nous en avons l’évidence dans Une Ruse, — de ne rien dire du premier grand roman qu’enfin il était en passe d’achever : Une Vie.

Ce sera pour des autres plus documentés que nous d’ouvrir plus largement le dossier Balzac/Maupassant. Mais nous pensons que la moisson s’annonce abondante pour les nouvelles comme pour les romans du disciple de Flaubert.

David BACKUS