Les Amis de Flaubert – Année 1984 – Bulletin n° 65 – Page 38

 

 

Le baccalauréat au temps de Flaubert

Les résultats de G. Flaubert et de L. Bouilhet

Gustave Flaubert a passé et réussi les épreuves du baccalauréat en août 1840. Il était sorti du collège royal – ainsi s’appelait alors le lycée Corneille – depuis la rentrée précédente et il avait préparé seul chez ses parents cet examen. Le « bac » d’alors était d’un niveau moins élevé que celui d’aujourd’hui et c’était la dernière année où il était complètement oral. Qu’était-il en réalité ?

Nous pouvons en avoir une idée sommaire grâce à un ouvrage d’Émile Bersot, un philosophe moraliste du siècle dernier, auteur de plusieurs ouvrages et notamment de « Questions d’enseignement » dans lequel il a traité de l’histoire du baccalauréat (p. 32 et s.).

« Le décret impérial du 17 mars 1808 qui constitue l’Université remet aux facultés la collation des grades. Le premier grade à prendre au sortir des études est le baccalauréat ès lettres. Pour être admis à l’examen il faut : 1° être âgé d’au moins 16 ans. 2° répondre sur tout ce qu’on a enseigné dans les hautes classes des collèges ». Cet enseignement comprenait dans le règlement du 19 septembre 1809 l’explication des auteurs latins et grecs, la rhétorique, l’histoire et bientôt la philosophie.

L’arrêté du 16 février 1810 exige la condition d’une année de philosophie soit dans un collège, soit dans un lieu autorisé à compter du 1er septembre 1810 ; en novembre 1812, le certificat des études domestiques (à la maison avec ou sans précepteur) est admis, mais l’examen est de rigueur au chef-lieu.

« Dès le commencement, le baccalauréat ès lettres fut la condition de tous autres grades et de toutes les études : baccalauréat ès sciences, examens de droit et de médecine, baccalauréat en théologie. Le baccalauréat ès sciences comprenait les mathématiques élémentaires. Dans les universités où il n’y avait pas de facultés, l’examen était assuré par des commissions de fonctionnaires de collèges. Dans ce temps-là, voici comment les choses se passaient. Muni du certificat d’études, le candidat se présentait devant la faculté ou la commission qui mettait dans ses mains un auteur expliqué dans les classes et s’entretenait avec lui de divers objets de ses études. Après avoir travaillé neuf ou dix ans, on était naturellement bachelier. C’était l’âge d’or du bac, il était d’innocence, ce que nos candidats d’aujourd’hui appellent l’école des bacheliers fainéants. Il faut tout dire : le diplôme ne conférait pas toujours la science. Je trouve la circulaire de M. Siméon du 19 septembre 1820 : « Monsieur le Recteur, depuis longtemps on se plaignait de la facilité que certaines facultés mettaient à la réception des bacheliers et nous devons avouer que nous avons reçu des lettres ou des réclamations d’individus pourvus de ce grade par la voie d’examen et dont le style et l’orthographe offraient la preuve d’une honteuse ignorance… » Cela ne se voit plus maintenant ! »

L’année 1821 apporta des changements considérables. Le ministre Siméon introduisit dans le baccalauréat ès lettres les sciences mathématiques et physiques. L’interrogatoire était libre jusqu’en 1823 où il fut obligatoire. À partir de cette date, les candidats tirèrent au sort les numéros des questions qui étaient réparties en trois tableaux : le premier contenant les auteurs grecs et latins et la rhétorique, le second l’histoire et la géographie, le troisième la philosophie. Ce dernier programme devait être en latin et l’interrogatoire de même. Par le règlement du 25 septembre 1821, le baccalauréat ès sciences se scinda en deux : le baccalauréat ès sciences mathématiques comme d’ordinaire et le baccalauréat ès sciences physiques pour ceux qui voulaient se livrer aux sciences naturelles et à la médecine.

En 1830, paraît l’épreuve écrite encore. L’arrêté du 9 février prescrit que tout candidat au baccalauréat ès lettres sera tenu d’écrire instantanément un morceau en français, soit de sa composition, soit en traduisant un passage d’un auteur classique. Un an après, cet examen du baccalauréat ès lettres fut supprimé et remplacé par un examen en français (11 septembre 1831, ministère de Broglie). Le programme en latin disparut en 1832 (ministère Girod de l’Ain) et le programme en français fut installé à sa place avec la philosophie et l’histoire de la philosophie qui comprenait 42 questions. On alla ainsi jusqu’au 15 juillet 1840. L’arrêté de cette date (ministère Cousin) introduisit l’épreuve de la version en forme, la rendit exclusive et modifia les programmes ».

Flaubert a donc passé les épreuves du baccalauréat suivant le règlement de 1832 ; c’est-à-dire en grec, en latin, en rhétorique, en histoire et géographie, en philosophie, en mathématiques élémentaires et en éléments de physique, le tout oralement. Nous avons retrouvé dans les quelques liasses de l’ancien rectorat de Rouen aux Archives départementales de Rouen, le certificat d’aptitude dont nous donnons maintenant la copie :

Université de Rouen

Académie de Rouen

Certificat d’aptitude

Nous soussignés, docteurs ès lettres, membres d’examen de l’Académie de Rouen à la commission d’examen de l’Académie de Rouen.

Après avoir vu les certificats des études en rhétorique et en philosophie faites par le Sr Gustave Flaubert, né à Rouen, dépt de la Seine-Inférieure, le 8 décembre 1822, dans le Collège royal de Rouen et dans la maison paternelle, lesquels certificats sont annexés au présent.

Avons examiné ledit Sr Gustave Flaubert pendant 3/4 d’heure sur les objets suivants :

Les réponses ont été :

1° en grec sur Démosthène : passables

2° en latin sur Tite-Live : assez bonnes

3° sur la rhétorique : assez bonnes

4° sur l’histoire et la géographie : assez bonnes

5° sur la philosophie : passables

6° sur les mathématiques élémentaires : passables

7° sur les éléments de physique : passables

Après avoir pris lesdites réponses en considération ou avoir délibéré nous I’avons juge digne du grade de bachelier ès lettres.

En foi de quoi nous lui avons délivré le présent certificat.

Fait à Rouen, le 3 août 1840

Dainez, C. Mallet, Paillet, M. Grout, Magnier.

Nous, Recteur de l’Académie de Rouen,

Vu le certificat d’aptitude ci-dessus et les certificats y annexés et conformes aux statuts du 13 septembre 1820,

Après nous être assurés de la capacité et de la bonne conduite du candidat approuvons le susdit certificat qui sera immédiatement adressé à Monsieur le Ministre de l’Instruction publique, Grand Maître de l’Université, avec prière de le ratifier et d’accorder au candidat le diplôme de bachelier.

Fait à Rouen le 15-7bre 1840.

***

Flaubert est né en 1821 et non pas en 1822.

Il avait été élève du collège royal de Rouen, sauf la dernière année, ce qui explique et dans la maison paternelle.

Rouen était en 1840 le siège d’une académie comme possédant une Cour d’appel de justice, ce qui explique la composition du jury d’examen, tous professeurs au collège royal, jugeant leurs propres élèves ou leurs anciens élèves comme Flaubert, ce qui justifie peut-être la sévérité de certaines appréciations qui n’étaient pas chiffrées.

Le proviseur du collège Dainez était en même temps le recteur de l’Académie, comme il n’y avait pas de facultés de lettres ou de sciences. Les élèves étaient surtout forts en latin et en grec. Les professeurs étaient exigeants les parents aussi.

En marge, le certificat d’aptitude porte la signature de Gustave Flaubert qui n’a pas varié au cours de son existence.

Louis Bouilhet

Nous avons retrouvé le certificat d’aptitude de Bouilhet Louis Hyacinthe né à Cany le 27 mai 1821 qui passa le même jour que Flaubert son baccalauréat. Il fut interrogé en grec sur Démosthène (bonnes), en latin sur Virgile (bonnes) en rhétorique (assez bonnes), en histoire et géographie (assez bonnes), en philosophie (passables), en mathématiques (passables) et en physique (médiocres) Donc, des appréciations un peu supérieures à celles de Flaubert. Les meilleures appréciations de cette année-là furent celles de Nion qui devait devenir avocat à Rouen et rester ami de Flaubert. Elles sont toutes bonnes.

A. DUBUC