Les Amis de Flaubert – Année 1966 – Bulletin n° 29 – Page 44
En attendant l’Éducation sentimentale
Courrier de Paris de Charles Yriarte :
Il y a longtemps que ceux qui sont à la piste des nouvelles de tout genre avaient fait pressentir que M. Gustave Flaubert allait donner un nouvel ouvrage. Aujourd’hui c’est un fait acquis ; le livre existe, on sait le titre, et un peu a ussi le genre et le sujet.
C’est, Dieu merci, encore un événement dans notre chère France (dont on dit beaucoup de mal depuis quelque temps), que la publication d’un livre d’un de ces hommes dont s’honore la littérature : et tous nous attendions le nouveau roman de Gustave Flaubert avec quelque impatience.
Je ne suis pas de ceux qui disent que Flaubert a besoin de prendre sa revanche de Salammbô ; j’estime que c’était là une œuvre forte, et qui n’a fait qu’ajouter à l’estime que les gens de lettres et les personnes du monde accessibles aux joies littéraires avaient conçue pour l’auteur de Madame Bovary. Sans doute il était naturel qu’on préférât rester dans ce monde moderne de Balzac, d’Eugène Sue, de Charles, de Bernard, s’intéressant à des passions modernes, des caractères d’aujourd’hui, des propensions qu’on connaît, qu’on a coudoyées. Mais il y avait là quelque chose d’excessif, d’énorme, une volonté inouïe, une science, sans rivale peut-être, que les plus exigeants et ceux auxquels le livre déplaisait en soi, c’est-à-dire par la nature même du sujet, se sont plu à reconnaître.
Je conseille à ceux qui font leur joie de l’étude des belles-lettres de lire la réponse que M. Gustave Flaubert fit à la critique que M. Sainte-Beuve a faite de Salammbô. Le grand critique a voulu donner au public les pièces du procès, et a inséré cette docte protestation à la fin du volume des Lundis qui contient les articles sur le livre de M. Gustave Flaubert.
Le nouveau volume s’appellera : Le cœur à droite. Voilà un titre qui n’est pas indifférent, même dans cette époque où on a fait tant d’efforts pour trouver de beaux titres, bien attractifs et bien sonores. Il y a même des gens qui n’ont trouvé que cela. Le cœur à droite fait penser à je ne sais quel cas monstrueux, de pathologie en déroute. C’est un roman moderne, physiologique, et dans lequel les caractères politiques trouveraient une place.
Alexandre Dumas fils, par ses lettres insérées dans le Gaulois, et qui ont fait quelque bruit dans notre monde, a déclaré qu’il en avait assez de l’art pour l’art, et sera content du nouveau roman de Gustave Flaubert, qui s’attaque à autre chose qu’à l’intrigue.
Le Monde illustré – 10 juillet 1869 — page 19