Flaubert politique, Yvan Leclerc et François Vanoosthuyse (dir.), Cahiers Flaubert Maupassant, n° 42, hors-série, septembre 2023.
« Flaubert politique », en raccourci, et non « Flaubert et la politique », avec une coordination qui aurait additionné deux éléments extérieurs l’un à l’autre (ce que la politique fait à Flaubert et ce que Flaubert pense de la politique), mais plutôt un adjectif qualificatif qui modifie le nom propre et en définit la nature. Certes, Flaubert n’est pas un bon « sujet politique »: lui-même cultive le dégagement ou le désengagement, prend la position du spectateur indifférent à la manière de Frédéric Moreau. Mais cet écrivain singulier qui méprise la presse lit régulièrement les journaux, locaux et nationaux ; il assiste aux événements parisiens, entretient de nombreuses relations avec des hommes politiques, et il les rencontre dans les antichambres ou dans les lieux du pouvoir impérial. En retrait, il reste cependant sensible à la vie sociale et à l’histoire en train de se faire. Entre le Flaubert de la correspondance qui exprime à haute voix, mais en privé, ses haines et ses adhésions, et le romancier qui met en sourdine ses partis pris dans une œuvre qu’il veut impersonnelle mais qui peut être lue comme une interrogation permanente sur l’histoire, depuis les violences de l’Antiquité jusqu’à la cacophonie des idéologies contemporaines, on entend deux voix qui tiennent des discours différents et qui pourtant se renvoient des échos lointains.
Le volume s’ouvre sur les positions politiques de Flaubert, ce qu’on appelle en terme savant l’éthos, l’image morale de l’auteur qui se construit dans le discours. Nous suivons ensuite son parcours chronologique, au long des périodes et des figures historiques, et des réactions aux événements contemporains, la Commune en particulier. Enfin, une dernière section regroupe les études sur L’Éducation sentimentale, au sommet pyramidal de l’œuvre et du siècle.
Sommaire
Introduction
Yvan Leclerc
Positions
Christèle Couleau
« Tonner contre »: Un ethos politique flaubertien ?
Ian Byrd
Ironie et apolitisme : le cas des lettres à Marie-Sophie Leroyer de Chantepie
François Vanoosthuyse
Le roman et l’enjeu de la démocratie. Un autre savoir de Flaubert
Yvan Leclerc
Pouvoir de la littérature
Parcours
Jacques Neefs
Politique, religion, barbarie : l’Antiquité de Flaubert
Stéphanie Dord-Crouslé
Mirabeau tribun, Mirabeau intime : regards flaubertiens croisés
Jean-Marc Hovasse
« Pourquoi la politique ? » Flaubert lecteur de Victor Hugo en exil à Jersey
Jordi Brahamcha-Marin
« Le Sentiment est tout, le droit rien ! » : Flaubert contre la Commune
1848
Mathieu Roger-Lacan
Épaissir le temps de 1848 avec L’Éducation sentimentale
Éric Le Calvez
L’Éducation sentimentale : « La chute de la monarchie… ». Étude génétique
Philippe Dufour
Un roman fin de règne
Annexes
Yvan Leclerc
Flaubert à la Cour impériale : quelques documents iconographiques
Yvan Leclerc
Flaubert « rouge » : une lettre à Louise Lepic, commentée par la destinatrice
Les Auteur.e.s
Éditorial
Le bicentenaire de la naissance de Flaubert, en 2021, a été l’occasion, à Rouen, en Normandie, en France et partout dans le monde, en cercles concentriques, de nombreux événements : sans doute n’avait-il pas besoin de nous, aujourd’hui, pour occuper la place qui est la sienne depuis longtemps ; c’est nous qui avions besoin de lui pour éclairer notre présent, savoir qui nous sommes, et nous demander comment faire partie de la « famille éternelle » née de ses livres, et sur quel tabouret s’asseoir à sa table, selon les mots qu’il adresse à Louise Colet : « Tous ceux qui vivront de votre pensée, ce sont comme des enfants attablés à votre foyer1. »
Les Amis de Flaubert et de Maupassant ont tenté d’honorer la longue histoire de leur association en proposant cette année-là un programme à la mesure de la célébration. Parmi les nombreux rendez-vous, trois manifestations donnent lieu à autant de volumes des Cahiers Flaubert Maupassant, groupés en hors-séries : Flaubert au collège royal de Rouen, dirigé par Joëlle Robert, a paru en janvier 2023, avec le numéro 41 ; le numéro 43, placé sous la responsabilité de Guy Pessiot, et prévu pour le début de l’année 2024, sera consacré à la reconstitution de la maison de Croisset et à la vie des Flaubert entre 1844 et 1880. Le présent volume, qui porte le numéro 42, sortant à l’automne 2023, reprend les communications présentées au Palais du Luxembourg les 15 et 16 octobre 2021, sur le thème de Flaubert politique.
« Flaubert politique », en raccourci, et non « Flaubert et la politique », avec une coordination qui aurait additionné deux éléments extérieurs l’un à l’autre (ce que la politique fait à Flaubert et ce que Flaubert pense de la politique), mais plutôt un adjectif qualificatif qui modifie le nom propre et en définit la nature. Certes, Flaubert n’est pas un bon « sujet politique » : lui-même cultive le dégagement ou le désengagement, prend la position du spectateur indifférent à la manière de Frédéric Moreau, et il théorise l’impersonnalité romanesque qui, dans l’interdiction faite à l’auteur de laisser paraître son opinion, inclut ses idées sur les affaires de la cité. Mais cet écrivain singulier qui méprise la presse lit régulièrement les journaux, locaux et nationaux ; il se tient au courant de l’actualité, ne serait-ce que pour alimenter sa haine de la bêtise ; le solitaire qui se sent bien dans sa « cabane » de Croisset et dans le « silence de son cabinet » pour écrire assiste aux événements parisiens, entretient de nombreuses relations avec des hommes politiques, et il les rencontre dans les antichambres ou dans les lieux du pouvoir impérial, toujours en observateur, mais en situation de témoigner dans une prochaine fiction. En retrait, il reste cependant sensible à la vie sociale et à l’histoire en train de se faire, flairant tout de suite dans le procès intenté contre Madame Bovary « une affaire politique,parce qu’on veut à toute force exterminer la Revue de Paris,qui agace le pouvoir2 ». Entre le Flaubert de la correspondance qui exprime à haute voix, mais en privé, ses haines et ses adhésions, et le romancier qui met en sourdine ses partis pris dans une œuvre qui peut être lue néanmoins comme une interrogation permanente sur l’histoire, depuis les violences de l’Antiquité jusqu’à la cacophonie des idéologies contemporaines, on entend deux voix qui tiennent des discours différents et qui pourtant se renvoient des échos lointains.
Chaque œuvre aborde à sa manière une question politique : la montée en puissance du notable Homais qui s’épanouira après la Monarchie, l’affirmation du pouvoir personnel avec Hamilcar, la domination de classe dans Un cœur simple, la confrontation pratique et théorique des systèmes pour gouverner les hommes dans le chapitre « Politique » de Bouvard et Pécuchet. Au centre géométrique de l’œuvre comme au cœur de la journée « Flaubert politique », s’est trouvé L’Éducation sentimentale, le roman de formation aux illusions et aux échecs des idéaux de 1848, pour toute une génération, la sienne. Sans doute la pièce Le Candidat, que Flaubert concevait comme une « comédie politique » était-elle trop caricaturale pour réussir sur les planches et pour retenir l’attention aujourd’hui ; de même que la seule intervention publique dans les affaires de la cité, par La Lettre à la municipalité de Rouen, est-elle trop ouvertement polémique et circonstancielle pour constituer un terrain d’observation favorable à notre sujet.
L’idée première du colloque revient à Jean-Luc Brière, personnellement sensible à cette question, puisqu’il descend de Jules Senard, l’avocat de Flaubert, on le sait, mais aussi président de l’Assemblée nationale pendant les journées de juin 1848, puis ministre de l’Intérieur. L’organisation a été coordonnée par l’Association des Amis de Flaubert et de Maupassant, par le Centre Flaubert, dirigé par François Vanoosthuyse, composante du laboratoire CÉRÉdI (Centre d’Études et de Recherche Éditer / Interpréter) de l’Université de Rouen Normandie, et par le Comité de liaison des associations dix-neuviémistes, présidé par Antonia Fonyi, spécialiste du sénateur Prosper Mérimée, dont elle dirige les Œuvres complètes aux éditions Champion. Sous sa responsabilité s’est réuni un comité scientifique, composé de Thomas Boucher, Yvan Leclerc, Judith Lyon-Caen et François Vanoosthuyse. Il a examiné et choisi les communications qui ont été présentées lors des deux journées et qu’on trouvera réunies dans ce volume.
Mme Catherine Morin-Desailly, qui a joué un rôle de premier plan dans le collectif « Flaubert 21 » chargé de coordonner les manifestations du bicentenaire, a bien voulu nous ouvrir les portes du Palais du Luxembourg, en sa qualité de sénatrice de la Seine-Maritime, pour ce colloque placé sous le haut patronage de M. Gérard Larcher, président du Sénat. Une réunion universitaire dans un lieu de pouvoir a trouvé son équilibre dans les présidences de séances également réparties entre les mondes politiques et culturels : nous remercions d’avoir bien voulu se prêter à l’exercice académique des présentations et de l’animation des débats Mme Catherine Morin-Desailly elle-même, Mme Sonia de La Prévôté, sénatrice du Calvados, Mme Laure Darcos, sénatrice de l’Essonne, Mme Sandrine Treiner, directrice de France Culture, Mme Éléonore Reverzy, professeur à Paris Sorbonne nouvelle et M. Michel Winock, historien, professeur émérite à Sciences Po, auteur de la biographie de référence sur Flaubert paru chez Gallimard en 2013 – biographie historique dans laquelle la position politique du romancier occupe une grande place ; il a également rédigé l’article « Politique » pour le Dictionnaire Flaubert paru chez Champion en 2017, et en cette année du bicentenaire, il a publié Le Monde selon Flaubert aux éditions Taillandier. Que toutes les personnes qui ont contribué à la réussite de ces deux journées trouvent ici l’expression de nos vifs remerciements.
Et en premier lieu nos collègues qui ont accepté de partager leurs analyses avec l’auditoire avant d’en fixer la trace écrite pour les lecteurs. Le volume s’ouvre sur les positions politiques de Flaubert, ce qu’on appelle en terme savant l’éthos, l’image morale de l’auteur qui se construit dans le discours. Nous empruntons ensuite son parcours chronologique, au long des périodes et des figures historiques, et des réactions aux événements contemporains, la Commune en particulier. Enfin, une dernière section regroupe les études sur L’Éducation sentimentale, au sommet pyramidal de l’œuvre et du siècle.
1 Lettre à Louise Colet, 25 mars 1854, Corr., t. II, p. 541.
2 Lettre à son frère Achille, 1er Janvier 1857, Corr., t. II, p. 657. C’est Flaubert qui souligne.