ÉDITORIAL
par Yvan Leclerc
PORTRAITS
Se faire tirer le portrait, à Rouen, au temps de Flaubert et de Maupassant.
Du daguerréotype à la pellicule souple Kodak (1840-1893)
par Guy Pessiot
AUTOUR DE FLAUBERT ET DE MAUPASSANT DANS LE FONDS WITZ DE LA BIBLIOTHÈQUE VILLON DE ROUEN
Présentation du fonds Witz de la Bibliothèque Villon de Rouen
par Guy Pessiot
Quelques proches et relations de Flaubert dans le fonds Witz de la Bibliothèque Villon de Rouen
par Sandra Glatigny
Robert Pinchon
par Gilles Cléroux
Faux portraits de Maupassant jeune ?
par Marlo Johnston et Guy Pessiot
DESSINS
Portraits de l’écrivain Maupassant
par Gilles Cléroux
80 portraits de Flaubert par Maxime Adam-Tessier
par Baptiste-Marrey, Joëlle Robert, Alain Ferry, Yvan Leclerc
FIGURES DE L’ÉCRIVAIN ET PORTRAITS LITTÉRAIRES
La médiatisation des écrivains au XIXe siècle
par Élisabeth Parinet
Du portrait comme amitié : autour de Flaubert et de la portraitomanie
par Adeline Wrona
Les portraits de Flaubert et de Maupassant dans le Journal des Goncourt
par Stéphanie Champeau
Éditorial par Yvan Leclerc
Réunir en albums les riches iconographies de Flaubert et de Maupassant, voilà un rêve ancien qui deviendra peut-être un jour réalité. C’était déjà l’ambition des albums de la Bibliothèque de la Pléiade, qui a consacré un volume à chacun de nos auteurs[1], mais le petit format de la collection, la qualité datée des reproductions de l’Album Flaubert, paru il y a quarante-cinq ans, et le tirage limité de ces volumes recherchés par les bibliophiles, laissent ouverte la possibilité de nouveaux projets.
Flaubert et Maupassant ont été si souvent représentés qu’on ne saurait envisager une collection iconographique exhaustive : certes, les photographies de Flaubert sont en nombre limité, celles de Maupassant beaucoup plus nombreuses, mais si l’on étend les portraits des deux écrivains aux tableaux, aux dessins et aux statues, on entre alors dans une production très volumineuse dont il serait difficile de rendre compte en totalité.
Ce numéro intitulé « Albums », inclus dans la série des Cahiers Flaubert-Maupassant, a l’ambition plus modeste de ne présenter que quelques portraits choisis, mais en les situant dans le contexte de l’invention de la photographie et de la médiatisation de l’écrivain. Il bénéficie également de la récente numérisation et de l’exploration systématique de l’exceptionnel fonds Witz conservé à la Bibliothèque Villon de Rouen.
Sur deux générations successives, Flaubert et Maupassant ont vécu la naissance et la démocratisation d’une nouvelle manière de représenter les personnes. Guy Pessiot expose cette histoire, à la fois technique et sociale, telle qu’elle s’est développée à Rouen, à partir de 1842 et jusqu’à la fin du XIXe siècle. Thiébaud Witz a été le troisième photographe à y exercer son activité, continuée par sa veuve et son fils. Une partie des photos provenant de cette maison est entrée dans les collections de la Bibliothèque Villon en 1992, à l’initiative de Marie-Françoise Rose, ainsi que le rappelle Guy Pessiot dans la présentation de ce fonds.
Parmi les personnes qui ont posé devant l’appareil des Witz, on ne trouve pas trace de Flaubert ni de Maupassant, mais des membres de la famille et des amis, dont Sandra Glatigny précise les identités : Caroline Commanville et aussi le grand amour de sa vie, le préfet Ernest Le Roy, ou encore le fidèle Edmond Laporte. On y rencontre également une photo de Robert Pinchon (commentée par Gilles Cléroux), le complice de la pièce peu convenable À la feuille de rose, maison turque, avant d’être le sérieux bibliothécaire de Rouen. Grâce aux registres qui permettent d’identifier les photos du fonds Witz, Marlo Johnston et Guy Pessiot, aidés par Virginie Beaunier et Catherine Hubbard, peuvent démontrer que certains portraits donnés comme représentant Maupassant sont des faux. Ainsi avance-t-on dans la connaissance, par cumul du nouveau et par correction et soustraction de ce qu’on a tenu jusqu’ici pour vrai.
On connaît les réserves de Flaubert à l’égard de la photographie : « Ce n’est jamais ça qu’on a vu », disait-il. Le portrait dessiné ou peint lui paraissait au contraire dégager l’idée, ou l’idéal de la personne, fût par une caricature, qui est encore une manière d’aller à l’essentiel, au trait caractéristique. Flaubert et Maupassant ont été bien servis par les dessinateurs : Gilles Cléroux commente une série de dessins et de gravures qui ont assuré la diffusion privée et publique de de l’auteur d’Une vie. Du côté de Flaubert, Maxime Adam-Tessier est sans doute l’artiste le plus inspiré, variant son sujet comme Monet la cathédrale. Le dépôt de ses 80 portraits à la Ville de Rouen est l’occasion de reprendre ici des textes naguère publiés en brochure, dus à son ami Baptiste-Marrey, à Joëlle Robert, Alain Ferry et Yvan Leclerc.
« Nos œuvres appartiennent au public, mais pas nos figures » : Élisabeth Parinet, auteur d’un livre consacré à l’Histoire des auteurs, rappelle cette formule de Maupassant, que Flaubert aurait pu cosigner, dans une étude où elle situe les positions des deux écrivains vis-à-vis de la diffusion de leurs portraits, écrits et graphiques, par rapport à la médiatisation croissante au XIXe siècle, liée au développement de la presse et aux progrès techniques favorisant la reproduction des images, pour le plus grand plaisir des journalistes indiscrets et des lecteurs voyeurs. Adeline Wrona poursuit cette réflexion sur le statut de l’écrivain au temps de l’iconographie triomphante en interrogeant « le double régime du portrait » dans la correspondance de Flaubert : il rejette la « portraitomanie » industrielle qui vise la publicité, mais il affectionne le portrait à usage intime, dès l’instant où il reste dans le cadre de l’échange privé entre deux figures singulières. C’est de portraits textuels, littéraires, qu’il est enfin question dans l’étude de Stéphanie Champeau : elle réunit les deux individus « normands », provincial donc lourd pour l’aîné, écrivain de second rang et individu peu recommandable pour le cadet, tels qu’ils sont épinglés dans le Journal des Goncourt. S’il y eut des « portraits-charges », comme on disait au XIXe siècle, « frappés au coin de la cruauté » autant que des caricatures par le crayon, c’est bien sous la plume acérée des deux frères qu’on peut les trouver.
Les articles regroupés dans ce volume proviennent en majeure partie de la journée sur le portrait organisée le samedi 21 mai 2016 par Sandra Glatigny et Gilles Cléroux, en collaboration avec la Bibliothèque municipale de Rouen.
[1] Album Flaubert, avec une iconographie présentée et commentée par Jean Bruneau et Jean A. Ducourneau, Gallimard, 1972 ; Album Maupassant, avec une iconographie choisie et présentée par Jacques Réda, Gallimard, 1987.